Intervention de Franceline Lepany

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 20 mai 2014 : 1ère réunion
Audition de mmes franceline lepany présidente et france arnould directrice de l'association les amis du bus des femmes

Franceline Lepany, présidente de l'association Les Amis du bus des femmes :

Notre association combat la proposition de loi au sujet de laquelle nous avons l'honneur de nous exprimer devant votre commission spéciale. Ce texte nous paraît aborder les problèmes de la prostitution de manière périphérique en s'inscrivant dans une perspective ouvertement prohibitionniste.

Permettez-moi tout d'abord de présenter notre association et ses objectifs. Nous sommes une association communautaire qui propose aux personnes prostituées qui le sollicitent un accompagnement global, que ce soit dans le domaine social, professionnel ou de la santé. Notre démarche s'adresse à trois grandes catégories de personnes prostituées : les prostituées traditionnelles, celles qui sont victimes de la traite des êtres humains et celles qui sont dans une situation intermédiaire et représentent l'essentiel des personnes que nous rencontrons.

Le dispositif proposé par la proposition de loi, qui vise à pénaliser le client, nous parait d'emblée contestable, puisqu'il remet en cause la jurisprudence communautaire et celle de la Cour européenne des droits de l'homme, qui autorisent les relations sexuelles librement consenties et rémunérées comme relevant de la libre prestation de services.

Une fois encore, il s'agit, dans cette proposition de loi, non pas d'interdire directement la prostitution en elle-même mais d'entraver l'exercice d'une activité qui n'est pas considérée, en soi, comme illégale. La démarche suivie est la même que celle de la loi de 2003 sur la sécurité intérieure, qui a interdit le racolage. La proposition de loi nous semble dangereuse en ce qu'elle remet en cause la capacité des personnes prostituées à consentir à un rapport sexuel contre rémunération et, d'un point de vue également juridique, qu'elle s'inscrit en faux contre un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 17 février 2005 qui rappelle la liberté de faire usage de son propre corps, fût-ce de manière violente. Le dispositif proposé va ainsi induire des effets contraires à ceux projetés, en entraînant les personnes prostituées vers plus de clandestinité.

Notre association accompagne les femmes qui le demandent. A ce titre, elle oriente notamment les femmes d'origine étrangère, qui sont parfois victimes de la traite, vers des formations en langue française qui sont la condition liminaire de leur réinsertion. Nous sommes pleinement d'accord avec l'idée qu'il faut combattre la traite.

Mais le plan d'action proposé par le Gouvernement pour la période 2014-2016 pour combattre la traite des êtres humains, d'ailleurs récemment définie dans le code pénal, nous inquiète. Les moyens d'action et d'accompagnement, en particulier sur le plan financier, ne nous semblent pas adaptés. Le plan paraît également entériner l'adoption de cette proposition de loi qui fait, pourtant, encore débat. Son dispositif nous semble encore problématique en ce qu'il conditionne l'obtention d'un titre de séjour renouvelable à l'acceptation d'un parcours de sortie de la prostitution qu'il est difficile de débuter lorsqu'on est victime d'un réseau sans disposer, au préalable, de moyens financiers nécessaires pour s'en extirper.

Certes, notre association reconnaît que cette possibilité, impartie par le plan d'action, d'obtenir un titre de séjour sans pour autant s'engager dans une procédure judiciaire, constitue une avancée. Mais des dispositifs existent déjà, qu'il s'agisse de la reconnaissance du droit d'asile ou de la délivrance de carte de séjour à titre humanitaire par le préfet.

Davantage, la mise en oeuvre d'un parcours de sortie de la prostitution nourrit les inquiétudes de notre association qui, du fait de son opposition à la pénalisation du client, risque de ne pas se voir délivrer l'agrément qui lui permettrait de participer aux instances chargées de veiller à son bon déroulement. Je ne vois d'ailleurs pas comment nous pourrions apprécier la sortie de la prostitution autrement que sur une base purement déclarative. Mais il ne faudrait pas que le fait de ne pas être associée à l'évaluation de ce parcours conduise notre association, dont le travail auprès des personnes prostituées est durable et reconnu, à la perte des subventions nécessaires à son fonctionnement !

La conditionnalité de la délivrance du titre de séjour à l'engagement dans ce parcours de sortie de la prostitution représente ainsi un double carcan : pour les personnes qui doivent obtenir un titre de séjour et pour notre association qui risque, à terme, de ne plus percevoir de subventions. Le parcours de sortie sera inapplicable si aucune mesure financière n'est prévue. Or, il est nécessaire que les personnes prostituées disposent des ressources suffisantes pour changer d'activité. Les Amis du bus des femmes les aide bien souvent, sur ses fonds propres. Car lorsque des moyens ne sont pas mis en place immédiatement, les personnes qui parviennent à échapper aux réseaux sont souvent condamnées à devenir proxénètes à leur tour !

Il faudrait avant tout faire en sorte que les dispositifs qui existent déjà en matière de droit d'asile ou au titre de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, soient appliqués. Mais la volonté politique n'existe pas.

En somme, notre association vous demande de ne pas voter la proposition de loi !

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