Je rappellerai, à titre liminaire, que notre association résulte d'un projet de santé communautaire, rassemblant des personnes prostituées dites traditionnelles, c'est-à-dire exerçant librement leur activité, et s'est progressivement adressée aux autres catégories de personnes prostituées dont vous a parlé Franceline Lepany. Il s'agit davantage de « visages de la prostitution » puisqu'il importe, selon nous, de reconnaître la grande diversité des situations personnelles et de faire, par conséquent, la différence entre une activité librement choisie et l'aliénation dans un réseau prostitutionnel.
Notre association n'a pas vocation à émettre un quelconque jugement de valeurs ; elle s'insurge cependant contre la violence faite aux femmes, la traite des êtres humains et le proxénétisme.
Si la pénalisation des clients était instituée, les femmes ne pourraient plus choisir ni prendre de précautions, fussent-elles sanitaires. Une telle disposition conduirait à davantage de clandestinité et induirait d'énormes conséquences en matière de santé publique. Et pour notre association, qui va au-devant des personnes lors de ses huit maraudes hebdomadaires à Paris intramuros, dans les bois de Boulogne et de Vincennes, en forêt de Fontainebleau, ainsi que sur les boulevards des Maréchaux, la pénalisation entraînerait un accroissement des distances à parcourir et des difficultés pour approcher des prostituées dont la mobilité est l'une des caractéristiques. Nous n'avons pas non plus de certitudes quant à la pérennité des financements qui nous seront alloués. J'en profite, d'ailleurs, pour vous adresser les remerciements des personnes prostituées que les membres de votre commission ont pu approcher lors de leur participation aux maraudes : celles-ci ont été touchées par la qualité de l'écoute des commissaires qui y étaient présents.
Pour certaines personnes, qui ont dépassé l'âge de quarante-cinq ans, la prostitution relève d'un choix d'exercer une activité rémunératrice afin de subvenir aux besoins de leur famille. D'ailleurs, la proposition de loi est très hypocrite : pourquoi le politique doit-il s'immiscer dans une relation conduite entre deux adultes consentants ? N'a-t-il pas d'autres choses à faire ? Pourquoi ne pas renforcer plutôt la police pour améliorer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains ? Certes, la prostitution subie et violente est atroce, et notre association ne peut que s'élever contre.
Mais oublier l'humain, à l'instar de l'actuelle proposition de loi, qui est celui du visage de chaque prostituée, nous semble condamnable. Vous avez auditionné deux représentantes du mouvement du Nid qui ont connu des moments terribles et ont vécu leur prostitution de manière affreuse. Ces personnes ne doivent pas être oubliées, mais d'autres assument cette activité et l'exercent volontairement. Légiférer sur cette prostitution aux multiples visages est bel et bien difficile !