Intervention de Chantal Jouanno

Réunion du 28 mai 2014 à 14h30
Prescription de l'action publique des agressions sexuelles — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno :

Certes, mais les lobbies sécuritaires sont là ! Quand sont en cause plusieurs milliers de cas, il s’agit non pas de faits divers, mais d’un fait de société.

Cela étant, nous devons évoluer parce que nos connaissances ont progressé. La réalité des viols est mieux documentée et révélée.

L’amnésie post-traumatique ne cesse pas en fonction de la loi ; elle peut prendre fin après le délai de prescription.

Oui, le délai de prescription est nécessaire à notre société pour sa stabilité, pour le droit à l’oubli et, surtout, au pardon. Mais quand l’amnésie prend fin, la victime se retrouve à la case départ, c'est-à-dire très exactement dans la peau de la petite fille ou du petit garçon qu’elle était, avec la peur. Elle ne peut commencer son travail de reconstruction, de pardon ou de recherche de vérité qu’à compter de ce moment.

Aussi, le délai de prescription, tel qu’il est – vous l’avez d’ailleurs très bien souligné dans votre rapport, monsieur Kaltenbach –, est inadapté. Il constitue même presque une source d’inégalité.

J’ai également lu dans les comptes rendus de la commission des lois que l’agresseur pouvait avoir reconstruit un nouvel équilibre social qu’il ne fallait pas bouleverser trop longtemps après. Mais qui peut croire qu’un adulte qui viole un enfant, qui l’oblige à la fellation ou à la sodomie est un adulte normal ? Qu’il pourra, même très longtemps après les faits, retrouver, sans traitement, sans accompagnement, une vie normale ? Qu’y a-t-il de plus inconcevable et d’ignoble que ces actes de torture physique et morale sur des enfants, qui ont d’ailleurs bien souvent lieu au sein des familles ?

Oui, c’est certain, notre texte n’est pas parfait. Oui, il prend le parti des victimes, précisément parce qu’on ne l’a peut-être pas assez fait jusqu’à présent.

Oui, les conditions proposées pour exercer l’action publique sont peut-être incertaines pour être légales. Et encore ! L’amnésie post-traumatique peut être médicalement constatée et être intégrée à l’expertise d’une autorité judiciaire. En l’espèce, je veux bien prendre le risque de voir cette proposition de loi frappée d’inconstitutionnalité. Il est cependant étrange de constater que, pour certains textes, on n’hésite pas à prendre ce risque...

J’ai lu que cette proposition de loi crée une imprescriptibilité de facto. L’enquête permettra peut-être d’éviter ce risque, un risque qui, d’ailleurs, ne semble pas avoir posé de problème pour les abus de biens sociaux…

Certains s’inquiètent des difficultés probatoires. Or les techniques ont évolué. Est-ce plus difficile d’apporter la preuve d’un fait trente ans après que vingt ans après ? Non !

Je sais que vous auriez préféré une remise à plat de l’ensemble des régimes de prescription. Nous aussi ! Voilà un sujet qui a d’ailleurs été brillamment examiné lors de la rédaction d’un rapport sénatorial remis en 2007. Il y a deux ans, j’ai entendu qu’on allait procéder à cette remise à plat, qu’elle était imminente. Les promesses sont identiques. Mais, sept ans après, rien n’a bougé !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion