Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 28 mai 2014 à 14h30
Prescription de l'action publique des agressions sexuelles — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la modification du délai de prescription des agressions sexuelles est désormais un sujet que nous connaissons bien. Notre collègue Muguette Dini avait déjà déposé une proposition de loi à ce sujet qui avait été rejetée par le Sénat au mois de janvier 2012.

Une nouvelle fois, je tiens à le dire d’emblée, les membres du RDSE ne voteront pas le texte présenté en l’état. Bien que les intentions de ses auteurs soient louables, nous nous prononçons, entre autres, contre les modifications à tout va des prescriptions en matière pénale, qui créent des prescriptions « à la carte ».

Au final, la non-prescription des crimes contre l’humanité a transformé le sens de la loi de prescription en établissant une sorte d’échelle de gravité concurrente de celle des peines, ce qui n’était pas la fonction première de ce texte.

Le législateur n’a cessé d’introduire des exceptions à la règle, qui était celle du « un, trois, dix » : prescription d’un an pour les contraventions, de trois ans pour les délits et de dix ans pour les crimes. Les années soixante ont vu naître des exceptions à la règle générale relative au point de départ du délai de prescription. Puis, dans les années quatre-vingt-dix, ont été introduites des exceptions aux règles générales relatives aux délais de prescription eux-mêmes.

Les précédents orateurs l’ont souligné, les infractions sexuelles font déjà l’objet d’un régime dérogatoire au titre de la prescription, notamment lorsque les victimes sont mineures. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique a été reporté à la majorité de la victime, qu’il s’agisse d’un crime ou d’un délit.

Ainsi, les interventions du législateur se sont succédé à un rythme soutenu. Elles ont créé de réels problèmes d’application de la loi dans le temps sans pour autant parvenir à résoudre les difficultés inhérentes au mécanisme de la prescription.

La suppression de toute prescription en matière pénale peut paraître séduisante à bien des égards. C’est ce vers quoi tendrait in fine la proposition de loi de nos collègues centristes, si elle était votée. Si l’on se fondait sur un critère purement subjectif, à savoir la prise de conscience de la victime, pour faire courir le délai de prescription, les agressions sexuelles deviendraient pour ainsi dire imprescriptibles.

Non seulement cette suppression de la prescription irait à l’encontre de l’équilibre aujourd’hui atteint entre droits des victimes et procès équitable, mais elle emporterait d’innombrables conséquences pratiques, qu’il semble difficile de gérer sans lui substituer d’autres mécanismes juridiques.

En effet, comment rendre la justice quand le dépérissement des preuves empêche toute reconstitution des faits, notamment en matière d’agressions sexuelles ? L’argument est imparable ; il a été invoqué à de nombreuses reprises. À ce titre, la prescription paraît être un mal nécessaire de la procédure pénale. Par ce biais, le législateur parvient à contenir une expansion sans fin de la réponse pénale.

La modification des prescriptions exige un peu plus de réflexion. Cela a été dit en commission des lois, la prescription en matière pénale mériterait une véritable remise à plat, sur la base du rapport de nos collègues Hyest, Portelli et Yung.

Nous ne nions pas les difficultés liées à la prescription en matière d’agressions sexuelles, mais nous contestons le bien-fondé et l’efficacité du dispositif proposé via le présent texte. Comment ne pas laisser les infractions sexuelles tomber dans l’oubli et se banaliser ? Telle est la véritable question qui se pose. La modification des règles de prescription n’est manifestement pas une réponse adaptée à la nature des agressions sexuelles.

Alors que le sujet restait tabou pour les générations précédentes, des études attestent que « la reconnaissance sociale de ces violences contribue à une modification du seuil de rejet à l’égard des agressions sexuelles. »

Toutefois, aujourd’hui encore, seule une minorité des infractions sexuelles – probablement les plus graves – est portée à la connaissance des autorités. Une enquête de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales montre que seuls 11 % des femmes et 2 % des hommes ont porté plainte pour des infractions à caractère sexuel hors ménage. Ainsi, parce que ces dernières sont le fruit de certaines mentalités et de certains comportements parfois institutionnalisés et normalisés, des moyens supplémentaires doivent être mobilisés pour faire connaître leurs droits aux victimes, les inciter à porter plainte ou leur permettre d’être mieux prises en charge par des professionnels du monde judiciaire et par des psychothérapeutes.

Ce chantier passe également par une sensibilisation du grand public à la violence des agressions sexuelles.

L’agression survenue dans le métro de Lille au mois d’avril dernier montre combien il est urgent d’agir. Poursuivie sur le quai puis dans la rue, une jeune femme a subi pendant une trentaine de minutes les assauts d’un jeune homme alcoolisé, avant d’aller chercher elle-même du secours, et ce devant une dizaine de témoins impassibles et indifférents.

C’est cette indifférence-là qu’il faut désamorcer, afin que le taux des agressions sexuelles diminue.

C’est également cette indifférence qui rend parfois difficile une dénonciation de tels faits.

En l’occurrence, le droit à l’oubli mis en jeu dans la prescription est moins en cause que l’inadaptation des réponses pénales vingt ou trente ans après les faits d’agression sexuelle.

Dans ces conditions, je le répète, les membres du RDSE ne pourront apporter leur soutien à ce texte, car il constitue, à leurs yeux, une fausse bonne réponse juridique.

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