Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la forte prévalence au sein de la société française des violences sexuelles est inacceptable.
Parce qu’elles atteignent la victime dans son intimité, les violences sexuelles diffèrent des autres types de violences et justifient la mise en place de dispositifs spécifiques de prise en charge et d’accompagnement des victimes.
Je rappellerai que l’INSEE et l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ont mené une enquête conjointe auprès de personnes âgées de dix-huit à soixante-quinze ans. Selon les évaluations réalisées, cela a été dit, 383 000 personnes ont été victimes de violences sexuelles en 2010 et 83 000 femmes ont été victimes de viol ou de tentative de viol.
Ces chiffres alarmants démontrent à quel point ce type de violences constitue un véritable fléau contre lequel nous devons lutter. Qui plus est, comme l’a souligné Muguette Dini, l’ampleur de ces phénomènes est largement sous-estimée : d’une part, les enquêtes ne comptabilisent pas les agressions perpétrées sur les mineurs – or l’on sait les ravages de ces agressions sur les enfants ; on touche souvent là à l’inimaginable –, d’autre part, les déclarations auprès des autorités et les dépôts de plainte ne correspondent qu’à un faible pourcentage du nombre réel d’abus.
En effet, une victime sur six de violences conjugales, physiques ou sexuelles déclare avoir porté plainte et une victime sur dix de viol ou de tentative de viol porte plainte. Le nombre de condamnations inscrites au casier judiciaire s’élève en moyenne entre 7 000 et 8 000 par an, alors que les faits de violences sexuelles constatés par la police et la gendarmerie sont de l’ordre de 22 000 à 23 000.
Les victimes d’agressions sexuelles éprouvent toujours les plus grandes difficultés à parler du drame qu’elles ont vécu. Les raisons en sont multiples : la peur, la honte, le déni, mais aussi, cela a été souligné, l’amnésie traumatique qui suit le choc émotionnel profond. Le traumatisme subi peut placer la victime dans l’impossibilité de dénoncer les faits subis pendant une période très longue.
À l’occasion des assises nationales sur les violences sexuelles organisées au mois de janvier dernier par notre collègue Muguette Dini, en partenariat avec l’association Stop aux violences sexuelles, le docteur Violaine Guérin, médecin endocrinologue et gynécologue et présidente de cette association, a bien exposé ce traumatisme. Elle a d’ailleurs précisé – ce point est important – que l’amnésie traumatique pouvait être médicalement constatée : un médecin psychiatre formé à cette problématique est en mesure de l’établir scientifiquement.
Dans le même sens, dans le cadre de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, le docteur Muriel Salmona nous a présenté ses travaux sur la mémoire traumatique, qui peut être révélée scientifiquement par l’imagerie médicale.
Plusieurs raisons peuvent expliquer que ces violences sont souvent occultées par les victimes. Tout d’abord, lors du viol, la perte de connaissance n’est pas rare. De plus, un viol peut également engendrer des mécanismes de déconnexion du cerveau. Muguette Dini l’a rappelé, le viol est en outre de plus en plus souvent perpétré sur des personnes alcoolisées ou droguées, qui n’ont plus le souvenir de ce qui s’est passé. Enfin, un viol subi dans la très jeune enfance peut faire partie des souvenirs oubliés ou n’être pas conscientisé comme tel.
Le syndrome de stress post-traumatique peut conduire la victime à trois types de réactions. Elle peut tout d’abord se remémorer périodiquement les événements ou bien être sujette à cauchemars ou à des rappels d’images récurrents. Elle peut ensuite tout faire pour éviter d’être confrontée à une situation lui remémorant l’événement traumatisant. Dans ce cas, la victime éprouve un sentiment de culpabilité qui la conduit au silence et au repli sur soi. Enfin, elle peut rencontrer des difficultés à se concentrer et à mener à terme ses activités, ce qui provoque des phénomènes d’insomnie, d’instabilité, d’irritabilité ou d’agressivité. C’est ce que l’on appelle l’hyperstimulation. Et je n’évoque pas toutes les conséquences physiques multiples que décrivent les victimes.
Selon plusieurs études, chez 42, 8 % des femmes et 33, 3 % des hommes, la conscientisation des agressions est apparue après l’âge de trente-huit ans. Dans plus de 90 % des cas, la possibilité de parler des faits n’est survenue qu’après un travail thérapeutique de réparation et au-delà des trente-huit ans. Cet âge de conscientisation tardif a pour conséquence d’empêcher la victime d’obtenir réparation, puisque le délai de prescription est écoulé. Les délais de prescription actuels sont donc inadaptés.
Partant de ce constat, je soutiens, à titre personnel, l’esprit de la proposition de loi déposée par mes collègues Muguette Dini et Chantal Jouanno visant à reporter le point de départ du délai de la prescription à partir du moment où la victime est en mesure de révéler l’infraction dont elle a été victime.
Bien entendu, je suis consciente des obstacles juridiques soulevés par ce texte. Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, transposer aux agressions sexuelles la jurisprudence relative aux infractions occultes est délicat.
D’autre part, et Mme la secrétaire d’État l’a souligné, il existerait un risque d’inconstitutionnalité au regard du principe de légalité et du principe d’égalité. Mais Chantal Jouanno l’a bien dit, ce risque est souvent présent dans les textes que nous examinons.