Je l’ai laissé entendre au cours de la discussion générale, le groupe CRC va s’abstenir sur les trois amendements déposés par M. le rapporteur. En effet, ils ne répondent pas au problème soulevé en commission des lois lors de l’examen du texte dans sa version initiale, émanant notamment de Muguette Dini.
En réalité, ces amendements vont à l’encontre des principes dont nous nous targuons souvent en séance, et qui font l’unanimité au sein de la commission des lois, selon lesquels l’allongement des délais de prescription pour tous ne se justifie pas en soi.
Ces amendements, s’ils sont adoptés, concerneront tous les mineurs, indépendamment du traumatisme qu’ils ont connu, et qui fut à l’origine du dépôt de la proposition de loi.
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que ces amendements tendent à complètement changer l’optique de la proposition de loi dans sa version initiale. Bien sûr, cette dernière posait des problèmes de constitutionnalité ; bien sûr, il y avait sans doute des choses à revoir. Certaines formulations, et ce point a été souligné, aboutissaient à priver les victimes de garanties contenues dans la procédure actuellement en vigueur. Mais nous aurions pu discuter de tout cela et retravailler le texte.
Avec cette proposition de loi, je vous le redis ici, madame Dini, vous posiez une vraie question, qui disparaîtra de la version finale du texte si ces amendements sont adoptés. En effet, l’agression sexuelle ou le viol, perpétrés sur une personne mineure ou sur une personne majeure, peuvent entraîner un tel traumatisme, un tel questionnement sur ce qu’est réellement cet acte – ou sur ce qu’il n’est pas –, qu’il est nécessaire de s’interroger sur le moment à partir duquel le délai de prescription doit courir.
Je ne reviendrai pas sur la situation des mineurs, sur leur souffrance, que tout le monde reconnaît. Prenons le cas des majeurs et des violences qui peuvent être commises, par exemple, au sein d’un couple marié. Certaines femmes peuvent ne réaliser que quinze, vingt, ou vingt-cinq ans après la prononciation du divorce que ce qu’elles ont subi dans le cadre du mariage, dans le lit conjugal, était un viol.
D’autres personnes majeures, je l’ai signalé, peuvent également subir ce traumatisme et n’en prendre conscience que plusieurs années après. Certains orateurs ont indiqué que les personnes victimes de violences sexuelles au cours de leur minorité pouvaient en prendre de conscience vers la quarantaine. Mais cela peut attendre plus longtemps. Dès lors, je ne vois pas pourquoi on n’allongerait pas encore par la suite les délais de prescription.
L’argument qui visait à détruire la proposition de loi, dans sa version initiale, était qu’elle tendait à l’imprescriptibilité. Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais en allongeant toujours plus les délais de prescription pour ces violences, on se rapproche aussi de l’imprescriptibilité !
Les amendements de la commission peuvent avoir leur sens pour une meilleure protection des mineurs. Je vais peut-être vous choquer, mes chers collègues, en disant ce qu’aucun de vous n’a dit ici ou en commission, je le sais très bien : ces amendements reviennent à affirmer qu’une personne majeure victime d’un viol n’a qu’à faire un petit effort pour s’en souvenir dans le délai de prescription. Ce n’est pas vrai, mais c’est ce que, in fine, inconsciemment, nous sous-entendons si nous adoptons ces amendements.
L’enfant, le mineur, mérite d’être protégé par l’allongement de dix ans du délai de prescription. Je l’entends très bien ; personne, d’ailleurs, n’oserait le remettre en cause : ce qu’il a subi est affreux ! Or, mes chers collègues, pourquoi ne nous interrogeons-nous pas sur les raisons pour lesquelles nous n’allons pas au bout de ce débat ? Pourquoi ne nous demandons-nous pas à partir de quel moment le délai de prescription en matière d’agression sexuelle doit-il courir ? J’ai eu l’occasion de faire cette même remarque au sein de mon groupe, lorsque nous évoquions les problèmes liés à la formulation initiale du texte.
Nous n’avons pas étudié cette question à fond parce que, quelque part, elle nous dérange ; nous ne l’avons pas fait parce que, quelque part, inconsciemment, et de manière collective, nous considérons qu’une personne majeure qui a été violée aurait pu faire un effort pour ne pas l’être, ou qu’il est fondamentalement impossible qu’elle ne puisse pas s’en souvenir, tellement l’acte est violent.
Adopter ces amendements, c’est, en somme, refuser de mener le débat jusqu’à son terme. C’est pourtant ce que nous voulions.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC, après un échange de vues poussé en son sein, s’abstiendra sur les amendements présentés par la commission. §