Intervention de Brigitte Debernardy

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 22 mai 2014 : 1ère réunion
Violences dans les armées — Audition de Mme Brigitte deBernardy contrôleur général des armées et du général d'armée didier bolelli inspecteur général des armées

Brigitte Debernardy, contrôleur général des armées :

Il est indispensable également de produire des statistiques, pour avoir une vision claire de l'ampleur du phénomène, et savoir quelle action mener, avec quels moyens et pendant combien de temps. Nous avions, en abordant cette enquête, le souci de déterminer si les faits étaient similaires à ceux observés dans des affaires civiles, ou s'ils révélaient des problèmes spécifiques aux armées. En effet, dans le premier cas, nous pouvons mener une action en phase avec la lutte générale contre les violences faites aux femmes ; dans le second, nous devons élaborer une réponse spécifique. Le ministre a déjà pris des décisions pour mettre en place des moyens de décompte fiables, que le Haut fonctionnaire à l'égalité des droits pourra traiter et transmettre à l'Observatoire de la parité ainsi qu'aux instances de concertation civiles ou militaires.

Autre recommandation : conduire une démarche disciplinaire autonome. Dans de nombreux cas - c'est la preuve qu'il n'y a pas, à proprement parler, d'omerta au ministère de la Défense sur ces sujets - le réflexe du commandement est de passer la main à la gendarmerie et à l'enquête judiciaire, en incitant la victime à porter plainte, ou en dénonçant lui-même les faits en application de l'article 40 du code de procédure pénale. Ensuite, il n'a plus à s'occuper de rien. Les victimes ne comprennent pas cette absence d'une réponse institutionnelle propre à la Défense. Nous devons faire entendre à la hiérarchie que, si la poursuite de l'infraction pénale n'est pas de son ressort, il lui incombe de sanctionner le manquement disciplinaire. Cela implique un effort pédagogique important vis-à-vis de la hiérarchie pour dissocier le cadre disciplinaire des sanctions pénales.

Les réponses disciplinaires des différentes armées doivent être harmonisées. Dans toutes, un manquement grave entraîne à terme la « mort administrative » de son auteur, qui n'a plus d'avenir dans l'institution. Dans l'armée de terre, quinze jours d'arrêt ou plus signifient que le contrat ne sera pas renouvelé. Mais un fait qui donne lieu à quarante jours d'arrêt dans l'armée de terre donne lieu à dix jours d'arrêt dans l'armée de l'air. Même si la conséquence finale est la même pour les auteurs, cette disparité est incompréhensible pour les victimes et les observateurs extérieurs. Ces disparités doivent être éliminées car les armées travaillent aujourd'hui dans un cadre interarmées, « au coude à coude » ; il n'est donc pas compréhensible qu'un même fait commis en réunion soit sanctionné de manières diverses, en fonction des armées.

Il faut améliorer l'accompagnement des victimes. Des jeunes femmes ont par exemple été filmées sous leur douche sans qu'elles s'en soient rendu compte ; l'ayant découvert, le commandement les a averties, puis les a adressées à la gendarmerie. Comme elles le racontent dans « La guerre invisible », elles ont été très choquées de devoir aller seules au tribunal ; elles se sont senties abandonnées par l'institution. Nous avons perçu un fort besoin d'accompagnement dans la durée, et ce, que les victimes veuillent rester dans leur unité, être mutées, ou quitter l'institution. Dans ce cas, il faut les aider à se réinsérer dans la vie professionnelle le mieux possible. La compétence des cellules d'aide aux blessés en opérations va être élargie à ces victimes de violences.

Nous devons aussi réfléchir aux conditions de mise en oeuvre de la mixité et aux risques que comportent les situations d'isolement. Le fait qu'il n'y ait qu'une seule femme ou très peu de femmes dans une unité ne constitue pas en soi un problème si elles sont intégrées, si elles connaissent leurs camarades... Il en va différemment lorsque les départs en Opex se font isolément : une personne rejoint un groupe qu'elle ne connaît pas, et les conditions de vie sur place, très rustiques, peuvent entraîner un malaise. Il faut être vigilant aux conditions de vie collective, marquées par la mixité des chambrées et des équipements sanitaires. Nous serions plutôt tentés de préconiser la séparation, contre l'avis d'ailleurs de certaines jeunes femmes, soucieuses de cohésion de l'équipe. Mais les situations sont très variables : des équipages de porteurs dans les régiments du train ou dans les Transall, qui travaillent en binôme et se connaissent très bien, ne le demandent pas ; la séparation est plus souvent souhaitée lorsque les gens se connaissent moins et que se créent des phénomènes de groupes. Il faut donc organiser les conditions de la vie collective.

Une formation et une information particulières doivent être conduites auprès des commandements locaux et des relais que sont les représentants syndicaux (civils) ou les présidents de catégorie (militaires). Elle sera complétée par une démarche d'éducation pour changer les comportements et prévenir les situations de discriminations, voire de bizutages, aussi inacceptables pour les hommes que pour les femmes.

Le plan d'action annoncé par le ministre le 15 avril 2014 a tenu compte de nos propositions. Certaines mesures étaient directement exécutables : l'amendement législatif concernant la transposition des dispositions de la loi de 1983 a été voté pour compléter le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, la cellule Thémis créée, et elle m'a été confiée. Le ministre a également pris des directives fermes et ambitieuses en matière d'accompagnement des victimes : les victimes doivent être tenues informées et nous devons nous assurer de leur retour à l'emploi dans de bonnes conditions et dans la durée ; le traitement disciplinaire, enquête, conclusions et sanction, doit se faire dans un délai de quatre mois - c'est peu, mais c'est une garantie de réactivité. Le plan ministériel prévoit enfin, dans un souci de transparence, que des statistiques soient élaborées et diffusées. J'ai déjà évoqué ce point.

La cellule Thémis a commencé à fonctionner, nous n'y sommes que deux mais sommes déjà saisis d'une dizaine de cas, pour une partie assez anciens. Nous commençons à mettre en place les outils nécessaires. Nous travaillons sous l'oeil des juges judiciaire et administratif, nos procédures doivent être juridiquement irréprochables. Nous élaborons des guides afin de garantir le respect de chacune des parties. Le plan interne au ministère sera complété par un plan spécifique à destination des écoles qui sera annoncé le 10 juin 2014 à Saint-Maixent par le ministre de la Défense.

Général d'armée Didier Bolelli. - Rappelons que les armées sont composées à plus de 60 % de contractuels, ce qui permet de comprendre l'importance des non-renouvellements de contrats qui sanctionnent certaines situations.

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