Intervention de Giusto Sciacchitano

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 7 mai 2014 : 1ère réunion
Audition par visioconférence de M. Giusto Sciacchitano adjoint au procureur national anti-mafia direction nationale anti-mafia — Rome italie

Giusto Sciacchitano :

Je suis ravi que l'on m'ait accordé la possibilité de m'entretenir avec vous car je crois énormément à la collaboration entre pays pour rendre la législation la plus homogène possible, dans ce domaine comme dans d'autres.

Le sujet d'aujourd'hui concerne non seulement le problème complexe de la sortie de la prostitution, mais également celui, plus ample, de la traite des êtres humains. La législation, en Italie, tend à tenir compte de ces deux aspects indissociables. En découlent les questions relatives à l'accompagnement, à la protection des victimes et à la lutte contre ceux qui exploitent les personnes prostituées.

On ne peut traiter de la protection des victimes sans également s'occuper de la lutte contre les trafiquants, et vice versa. Ces deux sujets sont très liés, car la protection des victimes vise également à faire en sorte que ces personnes aient confiance en l'Etat et puissent nous assister dans la lutte contre les trafiquants. Nous avons, pour ce faire, défini des bonnes pratiques qui nous ont permis de mener plusieurs enquêtes sur la base de ce modèle.

Le point essentiel que j'aimerais partager avec vous concerne le phénomène de la traite des êtres humains qui doit être prise en compte par tous les pays de l'Union européenne ayant une culture semblable. Nous aimerions d'ailleurs que d'autres pays en dehors de l'Europe partagent cette vision, comme une forme de crime organisé. Je vous rappelle que les protocoles « trafficking » et « smuggling », sont annexés à la convention des Nations unies contre le crime organisé, enjoignant les Etats parties à criminaliser le trafic des êtres humains.

De ce point de vue, l'expérience italienne peut être considérée comme intéressante. J'ai eu l'occasion, lorsque vous nous avez rendu visite à Rome, de vous expliquer que l'Italie a une législation anti-mafia très complexe, qui concerne beaucoup d'aspects liés au crime organisé.

Nous avons étendu au phénomène de la traite des êtres humains toute la législation relative à la lutte contre la mafia. Ceci signifie que nous avons autorité pour intervenir en utilisant tous les instruments des enquêtes spécifiques des opérations contre la mafia et le crime organisé. Ainsi, les enquêtes qui concernent la traite des êtres humains peuvent être beaucoup plus longues que des enquêtes ordinaires. Il est possible d'effectuer des écoutes téléphoniques bien plus facilement que dans les autres domaines. La protection des victimes est beaucoup plus précise et il est également possible de protéger des personnes qui collaborent avec la justice, certains trafiquants, pour une raison ou une autre, pouvant décider de coopérer. Ces derniers bénéficient des mêmes traitements que les repentis de la mafia. C'est pourquoi ces enquêtes ont enregistré de nombreux résultats plutôt positifs.

Le second volet concerne la protection des victimes. Nous vous l'avions présenté lors de votre visite à Rome. Il s'agit de l'article 18 du texte unique sur les étrangers. Cet article de notre législation sur les étrangers va plus loin que ne l'exige la directive européenne puisque la victime qui souhaite sortir du réseau de proxénétisme peut être secourue, même si elle ne collabore pas avec la justice. La directive européenne ne prévoit en effet de mesures de protection que dans le cas où les victimes acceptent de collaborer avec la justice. Nous avons la possibilité d'octroyer un permis de séjour temporaire qui, par la suite, peut être prorogé à des fins sociales. Il ne s'agit donc pas uniquement de faire sortir les personnes du système prostitutionnel mais également de leur assurer un accompagnement social.

Au fil des dernières années, le nombre de demandes émanant des victimes qui souhaitent utiliser cet instrument a cependant baissé. En effet, celles qui désiraient auparavant recourir à ce système n'ont maintenant plus intérêt à le faire, et ce pour deux raisons. En premier lieu, les personnes issues de pays comme la Roumanie, la Bulgarie ou autres, sont à présent des citoyens européens et n'ont pas besoin d'un visa temporaire pour séjourner en Europe. En second lieu, ces personnes peuvent aujourd'hui se déplacer à l'intérieur de l'Union européenne sans visa de séjour.

Nous avons tout à gagner à aider ces victimes : leur donner la possibilité de coopérer avec la justice afin d'écrouer les trafiquants présente des avantages, ces personnes pouvant ensuite séjourner dans le pays beaucoup plus facilement.

D'autres sujets pourraient évidemment être débattus, comme les problèmes inhérents aux rapports avec les pays d'origine de ces victimes.

Un autre aspect me semble devoir être abordé : dans une législation contre la traite des êtres humains, il faut identifier avec la plus grande précision les différentes modalités par lesquelles commence la traite des êtres humains. Nous savons tous que, pour traiter ce phénomène, celui-ci doit être considéré en dehors de chacun de nos pays. Les victimes peuvent très facilement passer d'un pays à l'autre : elles arrivent en France, puis passent en Italie, via Turin, ou en Grande-Bretagne.

C'est pourquoi il est nécessaire de s'appuyer sur une législation homogène, fondée sur une culture, une tradition et des règles de défense des droits humains partagées. Une telle harmonisation faciliterait la coopération entre systèmes judiciaires. Le juge a besoin de savoir si la collaboration est possible avec la victime et avec le pays considéré.

Nous savons également que le problème est bien plus étendu lorsque l'on considère les pays extérieurs à l'Union européenne. J'aimerais aborder ce sujet au moment où l'on parlera de la manière de faire face à ce phénomène. Les pays de transit et d'origine doivent être pris en considération lorsqu'on essaie de lutter contre les réseaux prostitutionnels.

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