Intervention de Maryse Tourne

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 28 mai 2014 : 1ère réunion
Auditions de mmes maryse tourne présidente et anne-marie pichon directrice association ippo de mmes alice lafille chargée de développement et des questions de violence et du droit des étrangers et krystel odobet animatrice de prévention auprès des personnes qui se prostituent via internet association griselidis et de M. Antoine Baudry animateur prévention et mmes joy oghenero étudiante et karen drot association cabiria

Maryse Tourne, présidente de l'association Ippo :

Merci de nous accueillir. L'audition de notre association par le Sénat revêt à nos yeux une immense importance, c'est une reconnaissance de notre travail de terrain. Merci à vous, monsieur Godefroy, pour votre écoute et la réflexion que vous menez sur ce sujet sensible, qui suscite les passions et conduit trop de gens à parler à la place des personnes prostituées. Nous partageons la plupart des propositions que vous avez formulées dans votre rapport d'information « Situation sociale et sanitaire des personnes prostituées : inverser le regard ».

L'association Ippo est restée en dehors du débat, loin de la ferveur médiatique, près des réalités de terrain. Nous sommes attachés à faire entendre la parole des personnes prostituées. Nous avons récemment organisé une rencontre entre une vingtaine d'entre elles, hommes, femmes, travestis, de différentes nationalités - française, camerounaise, nigériane - et Vincent Feltesse, qui était alors député.

En 2012, Ippo a écrit aux députés et sénateurs de la Gironde pour faire connaître ses inquiétudes au sujet de cette proposition de loi. Tout le monde condamne l'exploitation sexuelle d'autrui et encourage la lutte contre les réseaux d'exploitants. Cette loi aura toutefois à l'évidence des effets pervers et ne facilitera pas la lutte contre les réseaux. Les personnes prostituées devront se cacher et travailler dans des conditions de sécurité dégradées ; les réseaux, eux, sauront s'adapter. Dans la rue, les personnes prostituées sont déjà confrontées à la violence, à la répression policière, à la manipulation - d'aucuns leur disent que la prostitution est interdite. Comment informer ces personnes sur leurs droits alors que le traitement qu'elles subissent est à la limite de la légalité ? Comment croire que la répression sera propice à un travail associatif serein ? Eloignées des associations, coupées de tout lien social, les personnes exploitées seront d'autant plus sous l'emprise des proxénètes, libres de les déplacer ou de les isoler davantage. La seule issue consiste à travailler en partenariat avec tous les acteurs concernés.

Ippo est implantée à Bordeaux, mais son rayonnement s'étend à la communauté urbaine et à la région Aquitaine. Seule association régionale à accompagner les personnes prostituées et les victimes de la traite d'êtres humains, elle a été créée en 2001 à partir du constat, dressé par Médecins du monde, de l'absence de toute prévention des risques infectieux et de tout travail de rue. En 2003, nous avons créé un service d'accueil de jour. L'association fonctionne grâce à une équipe de professionnels salariés, pluridisciplinaire, qui se donne pour missions l'écoute et le lien. Nos principes fondateurs sont l'anonymat, la confidentialité, la santé, les démarches participatives.

Nos objectifs sont la prévention des risques infectieux (j'ai moi-même travaillé en milieu hospitalier dans la prévention du risque VIH), l'accès au droit, la création et le maintien du lien social, l'accompagnement des personnes victimes de la traite des êtres humains, la formation des professionnels et la lutte contre les discriminations. Nous nous donnons enfin un rôle d'observatoire du phénomène prostitutionnel dans l'agglomération bordelaise, grâce à une collecte pointue de données. Nous sommes la seule association à avoir signé une convention-cadre avec la préfecture, la mairie, le parquet, la police, destinée à améliorer la lutte contre la traite des êtres humains, à accueillir les victimes, mineurs inclus, et à les encourager à saisir la justice.

Notre activité comprend deux volets. L'accueil de jour d'une part, qui couvre tous les champs : social, médical, psychologique. Les personnes prostituées peuvent, sans rendez-vous, rencontrer un professionnel de notre équipe. Quinze personnes se présentent en moyenne chaque jour, trente les jours d'affluence. Nous disposons d'autre part d'une antenne mobile, qui va à la rencontre des personnes prostituées, la nuit, en véhicule ou à pied. Nous menons un travail de prévention des risques infectieux, d'orientation médicale et sociale - et de médiation avec les riverains et les associations de quartier, qui se plaignent de nuisances.

L'association est gérée par une directrice, compte trois travailleurs sociaux à temps plein, un à mi-temps, un juriste, un psychologue, un médecin généraliste une demi-journée par semaine, un second généraliste retraité et bénévole, un secrétaire administratif à plein temps, une socio-esthéticienne et un agent d'entretien. Soit en tout onze salariés. Bref, l'association fait un travail formidable avec peu de moyens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion