Intervention de Alice Lafille

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 28 mai 2014 : 1ère réunion
Auditions de mmes maryse tourne présidente et anne-marie pichon directrice association ippo de mmes alice lafille chargée de développement et des questions de violence et du droit des étrangers et krystel odobet animatrice de prévention auprès des personnes qui se prostituent via internet association griselidis et de M. Antoine Baudry animateur prévention et mmes joy oghenero étudiante et karen drot association cabiria

Alice Lafille, chargée de développement et des questions de violence et du droit des étrangers de l'association Griselidis :

Le texte amalgame victimes de la prostitution et victimes de la traite. Placer sur le même plan prostitution forcée et prostitution consentie masque la violence subie par les premiers et ignore la liberté des seconds. La loi assimile toute forme de prostitution à une violence sexuelle. Or la prostitution n'équivaut pas au viol. Présenter l'acte sexuel tarifé comme une violence en soi dissimule toutes les autres formes de violence et de discrimination subies par les travailleurs et travailleuses du sexe : de la part des riverains, de la police, des institutions et de la loi.

Victimes de violence, les personnes craignent de porter plainte. Et lorsqu'elles le font, elles se heurtent à de nombreux blocages : refus de plainte au motif qu'il s'agirait des risques du métier, qu'elles n'ont qu'à « rentrer chez elles » ou arrêter de se prostituer ; qu'elles ont concouru à leur agression. Lorsqu'il y a plainte, la justice requalifie les charges à la baisse : les viols en agression sexuelle, voire en vol, comme cela a déjà été le cas à Toulouse.

La pénalisation des clients signifie non pas un policier derrière chaque client, mais un policier derrière chaque prostituée. La criminalisation entraîne aussi l'augmentation des violences, des contaminations et de la précarisation pour les travailleurs et travailleuses du sexe. L'argument de l'inversion de la charge pénale est faux : la loi cherchera toujours à empêcher les prostituées d'exercer leur activité ; elles devront se cacher toujours plus, notamment des forces de police. En quoi cela favorise-t-il la protection des victimes et la dénonciation des réseaux ?

La proposition de loi aura des effets semblables à ceux de la loi pour la sécurité intérieure de 2003 : encore plus de contaminations, de violence, de précarisation. La municipalité de Toulouse a déjà annoncé vouloir prendre des arrêtés anti-prostitution. Plus la prostitution sera confinée dans l'illégalité, plus les prostituées seront incitées à avoir recours à des intermédiaires et seront vulnérables. Avec le client, qui voudra aller vite, le temps de négociation du prix et des modalités sera réduit. La clandestinité éloignera les prostituées des associations. A l'isolement, s'ajoutera la peur du jugement. Les prostituées auront plus de mal à accéder aux soins et au dépistage.

L'éradication de la prostitution est plus complexe que la proposition de loi ne veut le faire croire. En période de crise économique, alors que les minima sociaux sont remis en question et que rien n'est fait pour améliorer la situation des plus précaires, cette proposition de loi ne va pas dans le bon sens. Elle mettra en danger la vie de tous les travailleurs du sexe, victimes ou non de proxénétisme, et ne les aidera en aucun cas.

Nos propositions sont les suivantes : abroger immédiatement et sans condition le délit de racolage public ; abroger les arrêtés municipaux anti-prostitution ; supprimer le proxénétisme d'aide et de soutien afin que les travailleuses du sexe s'entraident ; supprimer le proxénétisme hôtelier pour que ces personnes exercent librement leur activité ; régulariser les personnes migrantes qui se prostituent et leur donner le droit au travail ; ouvrir l'accès au changement d'état civil sans condition pour les transsexuels ; lutter réellement contre les violences, les abus et l'exploitation, en appliquant strictement le droit pour les travailleurs du sexe et en donnant des droits et des moyens pour les victimes, du travail et des titres de séjour, une vraie mise à l'abri et un véritable accès à la formation. Nous vous demandons en conséquence de ne pas voter cette loi en l'état.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion