Intervention de Antoine Baudry

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 28 mai 2014 : 1ère réunion
Auditions de mmes maryse tourne présidente et anne-marie pichon directrice association ippo de mmes alice lafille chargée de développement et des questions de violence et du droit des étrangers et krystel odobet animatrice de prévention auprès des personnes qui se prostituent via internet association griselidis et de M. Antoine Baudry animateur prévention et mmes joy oghenero étudiante et karen drot association cabiria

Antoine Baudry, animateur prévention de l'association Cabiria :

Merci de nous avoir invités à cette table ronde. Cabiria est une association de santé communautaire implantée en Rhône-Alpes depuis vingt ans. Nous assurons les mêmes missions que Griselidis et cherchons à redonner aux prostituées une parole publique. Nous avons rencontré 1 400 personnes en 2013 au cours de notre activité de rue et 450 dans le cadre de notre action dirigée depuis 2011 vers les hommes et transsexuels travaillant dans la rue et sur Internet.

Les associations non abolitionnistes se voient souvent reprocher de n'être pas représentatives des travailleurs et travailleuses du sexe. Or notre équipe salariée et notre conseil d'administration sont pour partie composés de ces personnes.

Le nombre de personnes que nous rencontrons nous permet d'appréhender le phénomène prostitutionnel dans toute sa diversité - géographie, modes d'exercice, histoires personnelles... La pétition que nous avons lancée il y a quelques semaines pour l'abrogation du délit de racolage et contre la pénalisation des clients a recueilli près de 200 signatures de travailleurs et travailleuses du sexe.

Nous partageons le constat dressé par Griselidis sur les conséquences prévisibles de ce texte. Nous proposons aux personnes prostituées exposées à une rupture de préservatif de les accompagner dans les services d'urgence afin de recevoir un traitement enrayant la contamination par le VIH. Or ces deux dernières années, nous avons essuyé un nombre croissant de refus : cela demande trop de temps, c'est une perte de clients et d'argent. Ces refus, s'ils ne conduisent pas automatiquement à une contamination, accroissent les risques.

Les arrêtés municipaux interdisant, à Lyon, le stationnement des camionnettes de prostituées, les forcent à s'installer loin du centre-ville, dans les campagnes. Les maires des petites villes prennent à leur tour des arrêtés et les personnes prostituées s'éloignent encore, s'isolent de plus en plus. La pénalisation des clients aura le même effet, sans empêcher les maires de prendre des mesures à l'encontre des personnes prostituées : je le dis à mon tour, l'inversion de la charge pénale est un leurre. Ces arrêtés ont aussi pour conséquence l'accumulation d'amendes impayées - parfois jusqu'à 20 000 euros. Une des premières mesures à prendre en faveur des femmes prostituées serait d'abolir ces arrêtés, d'annuler ces dettes, voire de leur restituer ce qu'elles ont déjà payé.

Il est faux de dire que 90 % des personnes prostituées sont victimes de traite. La plupart d'entre elles ont migré de leur propre initiative pour des raisons économiques et le travail du sexe est souvent le seul moyen, ou le plus rapide, de rembourser leurs passeurs. Les rapports nord-sud et nord-est sont à revoir. La France a un rôle à jouer pour faire cesser les politiques postcoloniales.

L'abrogation du délit de racolage sur la voie publique a fait l'objet d'une proposition de loi il y a quatorze mois, votée par le Sénat mais bloquée à l'Assemblée nationale par certains partisans de la pénalisation des clients, au motif qu'une loi globale serait mieux adaptée. Or les associations réclament unanimement l'abrogation immédiate et sans condition de ce délit.

Acteurs de la lutte contre le VIH depuis plus de vingt ans, nous avons participé à la préparation du plan national de lutte contre le VIH 2010-2014 et souhaitons vous alerter sur les conséquences de la pénalisation des clients sur le risque de contamination des personnes prostituées. Le VIH et les maladies sexuellement transmissibles (MST) ne se contractent pas par l'échange d'argent mais par les rapports sexuels non protégés. C'est donc contre les conditions qui les favorisent qu'il faut lutter, comme l'ont constaté le conseil national du Sida, l'IGAS, l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Programme des nations unies pour le développement (PNUD) ou l'Onusida. Ces organismes relèvent que certaines politiques publiques françaises sont contradictoires. La lutte contre l'immigration, les arrêtés municipaux que j'ai évoqués, la lutte contre le racolage et la pénalisation des clients compliquent la prévention du VIH. Ainsi, une des actions du plan national de lutte contre le VIH est la prévention des MST et du VIH auprès des clients. Comment la mettre en oeuvre si ceux-ci se cachent ? Un choix politique et éthique s'impose donc.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion