Intervention de Karen Drot

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 28 mai 2014 : 1ère réunion
Auditions de mmes maryse tourne présidente et anne-marie pichon directrice association ippo de mmes alice lafille chargée de développement et des questions de violence et du droit des étrangers et krystel odobet animatrice de prévention auprès des personnes qui se prostituent via internet association griselidis et de M. Antoine Baudry animateur prévention et mmes joy oghenero étudiante et karen drot association cabiria

Karen Drot :

Membre du conseil d'administration de Cabiria, je suis également trésorière d'une association suisse, l'ADTS. Je travaille dans la prostitution depuis 15 ans. J'avais écrit en 2010 à tous les parlementaires au sujet des articles de loi relatifs au proxénétisme, et n'ai reçu que deux réponses, de deux femmes, que je remercie. Pour nous, le proxénète est celui qui nous impose une façon de travailler qui n'est pas la nôtre, ou qui nous rackette sur chaque « passe » ; ce n'est certainement pas le bailleur, ni le propriétaire du site internet, ni encore la collègue qui nous rend service. La législation actuelle nous maintient contre notre gré dans un statut de victime. Jamais nous ne vous avons demandé de nous sortir du trottoir ! Ce que nous réclamons, c'est la fin de la répression, et des lois qui nous protègent non de l'acte sexuel, qui n'est pas une violence, mais des dérives qui l'entourent, comme le manque de soutien face à un agresseur ou le fait qu'une aide extérieure soit pénalement répréhensible !

La pénalisation des clients aura pour effet de renforcer les intermédiaires, qui prendront une partie de notre argent. La liberté a été ma première motivation, et je fais respecter mes règles, en refusant certains clients. Je veux rester maître de mon corps, et refuserai toujours de travailler en donnant la moitié de mes revenus à quelqu'un dont je n'ai pas besoin et qui m'imposerait des clients.

J'ai travaillé en Suisse : les maisons closes ne sont pas la solution. La prostitution a beau être légale en Suisse, l'exploitation humaine y est très développée : il faut payer jusqu'à 3 800 euros par mois pour louer un studio à Genève ; entre 40 % et 60 % de la « passe » est reversé au propriétaire d'un salon. La concurrence impose des prestations sans préservatif. Nous ne voulons pas d'un tel système.

L'exploitation ne réside pas dans l'échange d'argent contre un acte sexuel. Elle est très répandue dans la société, car elle ne dépend pas de l'activité, mais du fait de profiter du travail d'autrui. La pénalisation du client ne nous protègera pas, elle aggravera notre situation. Nous demandons simplement une reconnaissance de nos droits, afin d'être protégées par le droit commun.

Le rôle des travailleuses du sexe est multiple : nous sommes aussi psychologues, conseillères conjugales, sexologues, actrices de prévention. Ce n'est pas parce que nous avons une approche différente de notre corps que nous ne sommes pas capables de décider de nos vies. Comme tout le monde, nous faisons nos courses, amenons nos enfants à l'école, faisons du sport... Ne votez pas ce texte, il empirera la situation et notre parole ne sera pas mieux prise en considération.

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