co-auteur du rapport « Quelle indemnisation chômage pour les intermittents du spectacle ? Modélisation et évaluation d'un régime alternatif ». - Je vous remercie de cette audition qui va me permettre de présenter les principales conclusions du rapport que j'ai rédigé avec M. Olivier Pilmis, chercheur au CNRS.
L'objet de ce rapport, commandé par le Syndeac, était d'évaluer les propositions du comité de suivi du régime d'indemnisation des intermittents. Ce syndicat rassemble, d'une part, des représentants des principales organisations professionnelles du secteur et, d'autre part, des parlementaires de droite et de gauche.
À titre liminaire, je souhaite revenir sur deux éléments essentiels permettant de mettre en perspective les propositions du comité de suivi dans le cadre plus large du nécessaire équilibre de l'assurance chômage dans son ensemble.
Premier élément qui s'inscrit dans la continuité du rapport sur les professions artistiques de M. le député Jean-Patrick Gille : il n'existe pas de déficit du régime d'indemnisation des intermittents. Il est en effet absurde d'interpréter le décalage d'un milliard d'euros entre les cotisations et les allocations des seuls intermittents comme résultant d'une mauvaise gestion de la caisse des intermittents, car cette caisse n'existe pas, contrairement à la caisse de l'assurance chômage qui est gérée selon le principe de la solidarité interprofessionnelle et qui a donc vocation à être équilibrée à l'échelle interprofessionnelle. D'un côté, se trouvent des salariés qui ne connaissent pas un seul épisode de chômage dans l'année et génèrent par conséquent un excédent puisqu'ils cotisent sans percevoir d'allocation. Une bonne gestion de l'assurance chômage, visant l'équilibre des comptes, impliquerait qu'on ait, de l'autre côté, un solde négatif parfaitement symétrique. Les intermittents, comme les intérimaires et tous les autres salariés à l'emploi discontinu, qui connaissent par définition des épisodes de chômage, sont, pour ainsi dire, les pendants de cette catégorie de permanents et accusés, sans motif réel, d'être à l'origine d'un déficit.
Second élément que j'aborderai sous la forme d'une question : le régime des intermittents est-il « privilégié » ? Induit-il réellement un surcoût de 320 millions d'euros ?
Une telle question recèle un contre-sens. En effet, les intermittents ne bénéficient pas d'un régime de faveur mais de règles adaptées à la discontinuité de l'emploi.
Les intermittents ne coûtent pas plus cher que les autres chômeurs : ces 3,5 % des effectifs indemnisés représentent 3,4 % des dépenses. Ils ne jouissent donc pas d'une quelconque forme de privilège par rapport au régime général. Certes, comme cela a été calculé, si les annexes 8 et 10 étaient supprimées et rebasculées vers le régime général, le « coût » des 100 000 intermittents diminuerait de 320 millions d'euros. Mais la réciproque n'est pas vraie : si l'on basculait 100 000 allocataires du régime général dans les annexes 8 et 10, on ne dépenserait pas 320 millions supplémentaires. À l'inverse, une telle démarche induirait de considérables économies.
Imposer à ces salariés du régime général les règles d'indemnisation des intermittents reviendrait, d'une part, à exclure les plus précaires, à savoir ceux qui parviennent à effectuer 610 heures en vingt-huit mois dans le régime général, sans pour autant atteindre les 507 heures en dix mois ou dix mois et demi, seuil défini dans les annexes 8 et 10. En effet, contrairement à une idée reçue, les règles d'accès à l'indemnisation sont beaucoup plus restrictives pour les intermittents puisqu'en vingt-huit mois, ils devraient atteindre 1 400 heures pour avoir accès à ce régime.
D'autre part, les salariés les plus stables qui ont droit à vingt-quatre ou trente-six mois d'indemnisation dans le régime général, selon qu'ils ont plus ou moins de 50 ans, n'auraient quant à eux droit qu'à huit mois dans le régime des intermittents.
Des économies seraient alors assurées pour une simple raison : le régime général est plus adapté à l'emploi stable alors que le régime spécifique des intermittents concerne l'emploi discontinu. Mais l'un n'est pas plus coûteux que l'autre.
Ces deux remarques préliminaires étant faites, j'en viens à la présentation des propositions du comité de suivi et au rapport rédigé pour le Syndeac. « L'esprit » de ces propositions peut être évoqué selon trois grandes lignes directrices :
- premièrement, l'évolution des règles d'éligibilité au régime. En effet, les intermittents souhaitent le retour à 507 heures en douze mois au lieu de dix mois ou dix mois et demi actuellement. Cette évolution permettrait de lutter contre la précarité en couvrant mieux ceux qui sont le plus dans une logique d'intermittence ou encore d'émergence ; autrement dit, les personnes qui sont le plus éloignées de la logique « routinière » des intermittents qui se rapprochent d'une situation de « permittence » ;
- deuxièmement, le retour à une date anniversaire, c'est-à-dire à un réexamen des droits à date fixe qui permettrait d'améliorer la qualité de l'indemnisation. Cette mesure s'inscrit à l'encontre du réexamen à l'épuisement d'un « capital » de 243 indemnités journalières institué en 2003. En évitant le caractère très aléatoire du système actuel dans lequel on ne sait jamais quand seront examinés les droits, ni quelles périodes d'emploi seront prises en compte, on évite que la précarité de l'emploi soit redoublée par une précarité de l'indemnisation ;
- troisièmement, l'instauration de règles limitant le cumul entre salaire et indemnité permettrait de promouvoir plus de justice en évitant de verser des indemnités importantes à ceux qui bénéficient déjà de salaires importants et réguliers, à l'instar des ressources des « permittents ».
La mise en oeuvre de ces grandes lignes directrices pourrait ainsi se décliner avec les mesures suivantes : le retour à une éligibilité en 507 heures en douze mois contre dix mois ou dix mois et demi actuellement, l'instauration d'une date anniversaire impliquant une indemnisation sur douze mois contre le système à droit de tirage qui prévaut actuellement, la mise en place d'un plafond mensuel de cumul entre salaire et indemnités - seule de nos propositions retenue, du reste, par l'Unedic -, ainsi que le retour à la franchise telle qu'elle existait avant 2003.
Par ailleurs, concernant les recettes de l'assurance chômage, nous avons calculé différentes hypothèses dont celle d'un déplafonnement de l'assiette des cotisations. Pour évaluer les effets de ces propositions, nous avons ainsi procédé à une double simulation, sur l'année 2011, en calculant les droits à l'indemnisation de tous les intermittents, de deux manières - avec les règles du modèle aujourd'hui en vigueur et en suivant les propositions alternatives du comité de suivi - et en prenant comme base le fichier anonymisé de la caisse des congés spectacles qui contient l'ensemble des contrats de travail et des salaires des intermittents.
Cette démarche nous a conduits à formuler les conclusions suivantes :
- première conclusion concernant les effectifs indemnisés : en passant de 507 heures en dix mois ou dix mois et demi à 507 heures en douze mois, le nombre d'intermittents bénéficiant de la couverture d'assurance chômage au moins un jour dans l'année, serait en hausse d'un peu moins de 4 %. Revenir au seuil de 507 heures en douze mois n'induit donc pas une augmentation inconsidérée du nombre de précaires avec des effets explosifs sur les comptes de l'assurance chômage ;
- seconde conclusion, s'agissant du paramètre du seuil d'éligibilité : le nombre d'heures à effectuer en quelques mois pour devenir intermittent ne correspond pas à la représentation qu'en ont souvent les partenaires sociaux, qui le considèrent comme un mode de régulation de leur population. En réalité, le durcissement, ou inversement l'assouplissement, des règles d'éligibilité a surtout pour effet d'accentuer - ou de diminuer - le nombre d'intermittents qui se trouvent exclus provisoirement de l'assurance chômage, pendant une période allant d'un à dix mois, avant de pouvoir en bénéficier à nouveau.
C'est en partie ce qui explique la méprise des services de l'Unedic qui avaient prévu en 2003 que le nouveau seuil permettrait d'exclure 30 000 intermittents. En réalité, ce nouveau seuil en a précarisé beaucoup et la population globale des intermittents n'a pas, pour autant, diminué. Ce nouveau seuil d'éligibilité instauré se traduit en effet par la détérioration des situations individuelles et la précarisation du droit à indemnisation des intermittents. De ce point de vue, le retour à 507 heures en douze mois est un moyen de remédier à la précarité qui caractérise actuellement la couverture chômage.
Dans notre comparaison, le nombre d'intermittents à connaitre une rupture d'indemnité d'au moins un mois - et qui nous apparaissent comme de véritables « intermittents de l'intermittence » - est plus élevé de 70 % dans le système actuel que dans le système alternatif ;
- troisième conclusion : l'analyse de plusieurs versions du modèle alternatif montre qu'il peut tout à fait présenter un coût net égal ou inférieur au modèle actuel. L'économie générale de ces propositions repose sur un équilibre entre des propositions qui génèrent à la fois des dépenses supplémentaires modérées, comme l'intégration de 4 % d'intermittents en plus du fait du retour au 507 heures en douze mois, et des propositions qui ont un effet de baisse du coût, comme le plafond de cumul mensuel, le système à date anniversaire ayant pour effet de provoquer plus régulièrement des franchises pour les plus hauts revenus ainsi que le déplafonnement des cotisations.
En outre, avec les paramètres les plus sévères, comme le plafond de cumul établi au niveau du plafond de la sécurité sociale fixé à 3 129 euros mensuels en 2014, le modèle alternatif peut aller jusqu'à une diminution d'environ 100 millions d'euros des indemnités versées. Avec des paramètres fixés de manière moins radicale, comme un plafond limité à 1,5 fois le plafond de la sécurité sociale, soit 4 600 euros, on peut en rester à un coût constant, ce qui permettrait globalement de demeurer dans un traitement des intermittents qui soit équivalent à celui des autres allocataires.
En résumé, les propositions du comité de suivi sont de nature à améliorer qualitativement la condition sociale des intermittents en veillant à ce que le régime d'indemnisation ne redouble pas la précarité de l'emploi en générant de l'aléa, comme il le fait depuis 2003. En outre, ces propositions promeuvent une répartition plus favorable à ceux qui connaissent le plus l'intermittence, tout en contenant le coût général du dispositif grâce à la mise en oeuvre de mécanismes régulateurs.
Cet équilibre n'est pas surprenant dans la mesure où ces propositions sont nées d'un constat simple : la réforme de 2003 s'est traduite par une précarisation des allocataires percevant les revenus les moins réguliers, par l'introduction d'un aléa important dans l'accès à l'indemnisation et par un redoublement des inégalités d'emploi par l'assurance chômage elle-même, qui a, du reste, amélioré les allocations des intermittents les mieux payés et les plus réguliers. Et cette détérioration qualitative du dispositif par la réforme de 2003 n'a pas généré d'économie. Un tel constat souligne que d'énormes marges d'amélioration à coût constant sont envisageables.
Pour terminer, je voudrais faire quelques remarques sur les recommandations de votre commission que nous avons en partie testées et ce, au-delà de la demande émise par le Syndeac. Parmi celles-ci, le fait d'établir un seuil d'éligibilité à 580 et 650 heures sur douze mois induirait des conséquences néfastes pour les intermittents. En effet, plus de 7 % des intermittents seraient définitivement exclus du régime. Et si l'on s'en tient aux données publiées par Pôle Emploi, on constate qu'environ 25 % des techniciens ne seraient plus éligibles, au moins à titre provisoire, si l'on suivait cette recommandation sénatoriale. Il ne fait aucun doute que les intermittents les moins réguliers et par conséquent les moins rémunérés, seraient particulièrement exclus.
Autre conséquence, plus indirecte celle-ci : le seuil d'éligibilité, c'est-à-dire le nombre minimum d'heures travaillées pour accéder au régime d'indemnisation, apparaît dans le calcul même de l'indemnité journalière. Autrement dit, ce paramètre ne joue pas seulement un rôle de barrière à l'entrée ; il sert également de base au calcul de l'indemnité journalière. En l'occurrence, plus ce seuil est élevé, plus l'indemnité journalière est basse. Comme la recommandation était d'élever ce seuil de manière très significative, l'indemnité journalière en aurait été abaissée de manière forte.
Enfin, je voudrais à la fois vous remercier d'avoir pris la peine d'organiser cette audition sur le chiffrage des propositions du « comité de suivi », et vous faire part de mon regret que ces propositions, pas plus d'ailleurs que l'immense travail réalisé par les parlementaires au Sénat et à l'Assemblée nationale, n'aient été considérés comme dignes d'être étudiés par les partenaires sociaux signataires de l'accord du 22 mars.
Si l'on y ajoute la lecture purement administrative du pouvoir d'agrément que semble adopter l'exécutif, à l'encontre de la lecture politique de ce pouvoir qui avait prévalu avec Martine Aubry sous le gouvernement Jospin, on peut légitimement s'interroger sur la perception du Gouvernement des droits des chômeurs et des salariés à l'emploi discontinu.
Je vous remercie de votre attention.