Intervention de Arnaud Montebourg

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 juin 2014 : 1ère réunion
Secteur des télécommunications — Audition de M. Arnaud Montebourg ministre de l'économie du redressement productif et du numérique et de Mme Axelle Lemaire secrétaire d'etat chargée du numérique

Arnaud Montebourg, ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique :

Nous n'avons pas encore résorbé les effets de nature sismique de l'arrivée d'un nouvel opérateur, Free, décision qui fut prise dans des conditions peut-être justifiées politiquement, mais dont les conséquences n'ont pas été anticipées. Tel ou tel opérateur est-il, pour autant, condamné ? Non, car il revient aux pouvoirs publics de décider et de mener une politique qui ne peut se résumer à l'intensification de la concurrence. Telle n'est en effet pas la position de ce gouvernement. La concurrence est parfois nécessaire, mais elle aussi destructrice ; il faut agir de façon pragmatique, équilibrée et raisonnable. Le premier effet de la concurrence est de faire baisser les prix, ce qui représente un avantage pour le consommateur, dont il faut se féliciter. Cependant, cette situation n'est pas durable ; elle est même dangereuse, quand des opérateurs faisant des offres de services se livrent à une véritable guerre des prix. Notre pays est l'un de ceux, avec Israël, où les prix sont les plus bas au monde. D'où les dégâts sociaux, économiques et industriels que nous connaissons : accélération de la délocalisation des centres d'appels ; recherche d'équipements low cost par les opérateurs , arrivée de Huawei sur le marché européen au détriment d'Alcatel, ce qui a entraîné un plan social, même si ce n'en est pas la cause unique ; remise en question du système des services offerts en boutiques, avec des destructions d'emplois ; liquidation de Phone House ; plan social chez SFR, dont on a peu parlé, parce que les indemnisations étaient assez généreuses ; et autre plan à venir chez Bouygues Telecom, qui serait plus important... Beaux résultats ! Les prix baissent, certes, et les consommateurs y gagnent, mais au prix de la santé des entreprises et de l'emploi.

Cela n'est pas sans conséquence sur les investissements : il est question de consacrer des milliards d'euros au déploiement de la fibre. Les opérateurs devront investir, s'ils le peuvent et parce que c'est leur intérêt. Mais s'ils ne le peuvent pas, le contribuable sera à nouveau sollicité. Aussi, depuis deux ans que j'ai la charge de ce secteur, j'ai multiplié les déclarations, qui vont toutes dans le même sens : la situation européenne, et non pas seulement française, n'est plus acceptable. Combien d'opérateurs pour 300 millions de clients américains ? Disons trois et demi, avec les consolidations en cours. Pour les 800 millions de clients chinois, deux et demi ou trois... Et pour les 400 millions d'Européens ? 120 ! Cette balkanisation, cet émiettement de l'offre affaiblit les opérateurs. Combien d'opérateurs européens sont en bonne santé ? Je ne donne pas de chiffre, mais allez voir leurs comptes et vous constaterez les effets de l'idéologie obsessionnelle de la concurrence, y compris sur les infrastructures ! Cette stratégie européenne ne me convient pas.

J'ai noté des éléments d'inflexion depuis quelques mois. Avec la précédente ministre déléguée chargée de l'économie numérique, Fleur Pellerin, nous avions saisi l'Autorité de la concurrence, qui a admis que doive cesser la concurrence par les infrastructures, permettant ainsi le partage du territoire. Cet avis, qui date d'un an, fonde juridiquement des évolutions - bienvenues - de la doctrine européenne en la matière. Nous attendons, ce mois-ci, des décisions de la direction générale de la concurrence, concernant l'Allemagne et l'Irlande. Le Gouvernement est favorable à la consolidation autour de trois opérateurs. Celle-ci n'est pas synonyme d'entente. Il y eut des ententes à quatre et il peut y avoir de la concurrence à trois. Le maintien de Free exerçant une pression sur les prix, nous favoriserons le renforcement des opérateurs sur le plan national, tout en préparant une consolidation européenne que nous appelons de nos voeux et à laquelle nous travaillons, sans nous immiscer dans les choix stratégiques des opérateurs. Le rapprochement entre SFR et Numericable n'a pas permis cette consolidation à trois. Ces problèmes restent donc devant nous. C'est pourquoi nous incitons publiquement les opérateurs à rechercher les voies et moyens d'un rapprochement, autant qu'ils le voudront et selon les combinaisons qu'ils pourront imaginer.

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