Intervention de Alain Boulay

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 juin 2014 : 1ère réunion
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Audition de Mme Sabrina Bellucci directrice et M. Sébastien Brach administrateur de l'institut national d'aide aux victimes et de médiation inavem M. Alain Boulay président de l'association d'aide aux parents d'enfants victimes apev ainsi que M. Stéphane Gicquel secrétaire général et Mme Marie-Alexia Banakas juriste de la fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs fenvac

Alain Boulay, président de l'Association d'aide aux parents d'enfants victimes (APEV) :

L'APEV est une association nationale de victimes, qui regroupe des familles dont un enfant a été assassiné ou a disparu. Nous existons depuis plus de vingt ans et nous regroupons 250 familles qui ont vécu ces drames. Nous ne sommes pas des professionnels de l'aide, mais des victimes au service d'autres victimes. Nos actions sont orientées vers le soutien et l'accompagnement des familles, accompagnement personnel mais aussi judiciaire pour expliquer la procédure aux familles. Nos autres actions sont orientées vers le droit des victimes : nous sommes souvent auditionnés et nous participons à des groupes de travail, notamment à la Chancellerie. Nous essayons de sensibiliser les professionnels en intervenant dans les stages de formation de la police, de la gendarmerie et à l'Ecole nationale de la magistrature pour dire quelles sont les attentes des victimes.

Le crime ne doit pas rester impuni, tout le monde en convient, mais si l'on s'interroge souvent sur le sens de la peine, il conviendrait d'en faire autant sur le ressenti des victimes par rapport à la justice.

La société pense qu'une vision trop humaniste de la peine n'est pas une véritable punition, qu'elle n'apporte pas une réponse au mal qui a été commis ni à la transgression de la loi. Dans ce cas, l'équation traditionnelle entre punition et incarcération doit être la seule réponse à des crimes et délits.

Nous ne pouvons qu'adhérer aux objectifs du projet de loi mais les mesures proposées seront-elles efficaces contre la récidive ? L'APEV n'est pas opposée à la contrainte pénale, qui ne concerne que les petits et moyens délits, mais cette mesure doit être mise en place progressivement. Nous proposons donc d'exclure toutes les atteintes aux personnes du champ d'application de cette mesure.

Pour que la mesure fasse sens, il faut un véritable suivi : la justice en aura-t-elle les moyens ? Il ne faudrait pas que cette peine devienne un cadeau aux petits délinquants et une incitation au passage à l'acte et à la récidive. Nous sommes bien sûr totalement opposés à ce que la contrainte pénale soit étendue à tous les délinquants, d'autant que le procureur de Paris nous a dit que près de la moitié des viols étaient correctionnalisés. Pour nous, un viol est un crime et doit être jugé en cour d'assises.

Autre mesure phare, la libération sous contrainte, qui prévoit l'examen systématique, aux deux-tiers de la peine, de la situation des personnes condamnées. Quelles propositions seront faites à ces personnes ? En quoi cette mesure diffère-t-elle du droit actuel ? Pour nous, il s'agit d'une libération conditionnelle qui ne dit pas son nom, proposée et non pas demandée par la personne, et qui devient automatique, ce qui est en totale contradiction à l'objectif d'individualisation des peines. L'article 17 prévoit l'application de cette mesure aux criminels. Pour les longues peines, elle ne tient pas compte des mesures de sûreté. Pour une perpétuité, une sortie sera proposée aux individus au bout de 18 ans. Mais quid pour ceux qui ont été condamnés à 22 ou 30 ans de peine de sûreté ?

Actuellement, une personne condamnée à 20 ans peut demander une libération conditionnelle à mi peine. Avec ce texte, elle pourra sortir au bout de 8 ans, ce qui est inacceptable pour les victimes. En outre, cette proposition de libération conditionnelle pourra être annulée si la commission d'application des peines juge le condamné dangereux ou sans projet viable. Pourquoi faire cette proposition si c'est pour, ensuite, la retirer ? C'est incohérent.

Les sorties en fin de peine présentent un taux de récidive supérieur aux aménagements de peine. Or, les crédits de remise de peine, les réductions de peine supplémentaires et les réductions de peine exceptionnelles entraînent un grand nombre de sorties sèches. Certains détenus préfèrent attendre la fin de leur peine plutôt que de demander une libération conditionnelle. Je fais partie de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté : dans de nombreux cas, des individus qui ont demandé une libération conditionnelle la retirent car ils savent que six mois plus tard, ils sortiront en fin de peine sans avoir de comptes à rendre. C'est assez incohérent. Il serait judicieux de transformer toutes les remises de peine en remises de peine conditionnelles : le JAP pourrait ainsi adapter les contraintes et la surveillance sur une plus longue durée en fonction de la personnalité de l'individu au moment de la sortie de prison, ce qui permettrait de vraiment lutter contre la récidive. Afin de redonner un sens à la peine prononcée, il faudrait supprimer le crédit de remise de peine accordé dès l'entrée en prison. Lorsqu'un individu vient d'être condamné à 20 ans, à son entrée en prison, sa peine est réduite et il n'a plus que 16 ans à accomplir. Quel est, alors, le sens de la peine prononcée ?

Le texte ne contient aucune mesure concrète en faveur des victimes ; il ne fait que rappeler les droits fondamentaux déjà en vigueur. Ainsi sont énoncés le droit reconnu aux victimes de saisir l'autorité judiciaire, le droit à réparation du préjudice, le droit à l'information, le droit à la sûreté et à la tranquillité. Le droit à l'information est d'ailleurs bafoué régulièrement par les juges d'instruction en toute impunité.

Nous aimerions retrouver certaines de nos propositions comme celle sur la durée de prescription pour les crimes de sang : une disparition est imprescriptible alors qu'un crime est prescrit au bout de dix ans. Rappelez-vous le cas d'Émile Louis ! À chaque fois qu'un corps était retrouvé, le crime était prescrit. Quelle incohérence. Le Sénat vient de voter un texte pour l'extension à trente ans du délai de prescription pour un viol : les violeurs sont par là même incités à tuer leurs victimes puisque le délai de prescription pour un crime n'est que de dix ans ! Il faudrait sans doute étendre à 30 ans tous les délais de prescription en matière criminelle, comme c'est déjà le cas pour le terrorisme et les trafics de stupéfiants.

Les erreurs de procédure, qu'il s'agisse d'un oubli de signature ou d'un manque d'encre dans un fax, bénéficient toujours aux criminels. Pour des raisons techniques et administratives, un individu ne doit pas échapper à la justice : des magistrats devraient pouvoir décider si l'erreur ou le vice de forme altère ou non la vérité.

Nous demandons aussi le paiement automatique de tous les dommages et intérêts alloués lors du procès pénal. L'indemnisation des victimes est actuellement jugée deux fois, la première fois lors du procès pénal et la seconde fois par la commission d'indemnisation des victimes qui, souvent, fixe un montant différent.

Les décisions de cour d'assises sont motivées, sauf pour les acquittements. Pour une bonne compréhension des victimes, les acquittements devraient être motivés également.

Enfin, lors de l'exécution des peines, le JAP doit recueillir l'avis des victimes avant tout aménagement de peine. N'est-ce pas une atteinte au droit à l'oubli que souhaitent certaines victimes ? Peut-être faudrait-il demander aux victimes lors du procès si elles souhaitent être interrogées lorsque l'agresseur peut sortir de prison.

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