Intervention de Isabelle Pasquet

Réunion du 10 juin 2014 à 14h45
Débat : « quel avenir pour les colonies de vacances ? »

Photo de Isabelle PasquetIsabelle Pasquet :

Municipalités, associations et comités d’entreprise ayant une volonté commune de permettre au plus grand nombre d’accéder à des séjours en dehors du cadre familial, en dehors des contingences financières, à mi-chemin entre vacances et éducation pour tous, les colonies se distinguent de l’école par le fait que les enseignements ne sont pas scolaires et les méthodes non académiques. On apprend par l’expérience, par le jeu ou le sport et par la rencontre avec les autres.

Comme le précise le dernier ouvrage publié par le conseil scientifique des Francas, intitulé Éducation populaire, enjeu démocratique, les colonies de vacances favorisent « l’émancipation de tous, par tous et pour tous, en citoyens-acteurs qui peuvent, dès lors, contribuer, par leur puissance sociale, à la transformation de notre société républicaine vers plus d’équité et d’humanité ». La meilleure illustration de la volonté des acteurs de l’époque est la formidable et ambitieuse expérience de la colonie des Mathes, en Charente-Maritime, dont la commune d’Ivry a été à l’initiative, appelée aussi « la République des enfants ». Ces derniers étaient appelés à appliquer durant leurs séjours les principes démocratiques, en élisant parmi eux leurs représentants chargés de travailler avec les encadrants à la résolution des petits conflits et des questions d’organisation.

On voit comment, à travers un projet éducatif ambitieux, se conjugue un partage complémentaire entre « savoirs établis » et « savoirs démocratiques » avec l’objectif de faire participer activement des jeunes à la construction d’une société respectueuse de chacun et de son environnement.

Compte tenu de cet objectif ambitieux, vous comprendrez, mes chers collègues, que le groupe communiste républicain et citoyen ait souhaité inscrire à l’ordre du jour du Sénat la question de l’avenir des colonies de vacances. D’une part, l’ambition des colonies de vacances nous semble plus que jamais d’actualité ; d’autre part, la question de la pérennisation des colonies, confrontées à une logique marchande qui s’oppose au tourisme social, dans un contexte marqué par la réduction des aides financières allouées par les pouvoirs publics, se pose de plus en plus.

Si les facteurs sont variés, le constat est clair : malgré l’apport singulier pour les jeunes, le nombre de colons est chaque année en nette diminution. Si l’on recensait 100 000 enfants ayant séjourné en colonie de vacances en 1913 et 1 million en 1955, l’ensemble des observateurs constate la réduction de leur nombre depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur l’accessibilité des jeunes aux séjours collectifs et de loisirs souligne deux réalités : premièrement, les jeunes sont moins nombreux à partir, singulièrement dans les classes populaires ; deuxièmement, les séjours sont plus courts.

Force est de constater que ce déclin est d’abord d’ordre économique. Lorsque l’on interroge les familles, la première raison donnée au fait de ne pas envoyer leurs enfants en colonies de vacances est majoritairement celle du coût du séjour. Ce déclin coïncide avec la période de crise économique qui pèse non seulement sur les familles, mais aussi sur les municipalités.

Les acteurs du tourisme social – municipalités, associations, comités d’entreprise – qui veillaient à ce que les centres de vacances soient des lieux de rencontre des différentes réalités sociales sont aujourd'hui concurrencés par une offre marchande plus coûteuse, plus spécialisée et élitiste. Comme le précise Laura Lee Downs, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, auteur de l’Histoire des colonies de vacances de 1880 à nos jours, ce déclin coïncide avec l’arrivée d’une offre marchande sur ce secteur qui va concurrencer la colonie classique avec son projet éducatif construit autour de la mixité sociale de la communauté enfantine et le vivre ensemble. Pour ces organismes, la rentabilité passe avant le projet éducatif.

Le prix d’une semaine de vacances en colonie coûte entre 400 et 600 euros par enfant, avec un coût moyen à la journée de 63 euros. Selon M. Jean-Louis Deroussen, président de la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, un séjour de douze jours dans un centre de vacances agréé par les caisses d’allocations familiales revient en moyenne à 574 euros. Il s’agit d’une somme importante, trop lourde pour des familles modestes pour lesquelles, malheureusement, les préoccupations quotidiennes – se loger, se nourrir, se vêtir – l’emportent sur le droit aux vacances, et ce d’autant plus que la participation de la caisse d’allocations familiales aux séjours en colonies a nettement diminué au cours des années ; j’y reviendrai ultérieurement.

Pour autant, ce n’est pas la seule cause. Les colonies associatives, communales ou gérées par des comités d’entreprise connaissent également un accroissement important des prix, de telle sorte que la vocation sociale est de plus en plus difficile à exercer.

L’autre constat que nous pouvons faire est le raccourcissement de la durée des séjours. Au summum de la fréquentation des centres de vacances, en 1995, toutes périodes confondues, le ministère comptait 28 millions de nuitées. Depuis lors, ce nombre n’a cessé de diminuer, à un rythme beaucoup plus rapide que la diminution du nombre de départs. En 2011-2012, le ministère ne comptait plus que 14 millions de journées enfants en centre de vacances. Cet effondrement de la fréquentation est dissimulé par une moindre baisse du nombre de départs, évaluée à 15 % durant la même période. La durée moyenne des séjours de plus d’une semaine n’a cessé de se réduire, passant de dix-sept jours en 1994 à moins de dix jours aujourd’hui, les durées les plus pratiquées étant désormais de cinq à huit jours. Les séjours de deux semaines complètes représentent encore 20 % de l’offre. En revanche, les séjours de trois et quatre semaines, qui étaient la norme pendant l’âge d’or des colonies, sont en voie de disparition.

Reconnaître ces deux réalités, c’est de fait s’engager dans la voie de la réflexion pour retrouver le succès populaire des colonies d’hier, dans l’intérêt des enfants et de notre société. Toutefois, les réponses sont parfois plus complexes qu’elles ne semblent l’être de premier abord.

Bien entendu, personne ne peut nier que le coût de l’organisation des colonies de vacances a augmenté, et dans des proportions importantes. C’est une conséquence de l’augmentation du coût de l’hébergement, des prix de l’alimentation ou encore de l’énergie. C’est également une conséquence de l’accroissement du nombre et de la qualité des équipes encadrantes.

À la suite d’une décision rendue le 14 octobre 2010, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que si l’activité de moniteur pouvait bien figurer au nombre des dérogations au repos quotidien de onze heures admises par la directive sur le temps de travail, le système français ne comportait pas les mesures de compensation ou de protection appropriées exigées par cette même directive pour qu’une telle dérogation puisse être admise. Afin de mettre en conformité la législation nationale avec le droit européen, la proposition de la loi Warsmann de simplification du droit, définitivement adoptée le 29 février dernier, organise pour les animateurs et directeurs occasionnels de séjours de vacances un régime dérogatoire au droit du travail adapté aux contraintes organisationnelles du secteur. Son article 124, introduit par le biais d’un amendement du député UMP des Hauts-de-Seine, Pierre-Christophe Baguet, permet de déroger à la règle du repos quotidien pour les titulaires d’un contrat d’engagement éducatif, ou CEE, intervenant dans le cadre de séjours avec hébergement.

Cette solution est contestée, notamment par des associations d’employeurs, dans la mesure où elle contribuerait à augmenter le prix des séjours. D’où la proposition, que l’on retrouve dans le rapport remis à l’Assemblée nationale, de remplacer le statut de salarié par celui de bénévole indemnisé. Selon le rapporteur de l’Assemblée nationale, « ce volontariat s’adresserait à toute personne d’au moins dix-sept ans qui veut s’engager dans une mission d’intérêt général à finalité éducative auprès d’une personne morale à but non lucratif agréée pour l’accueillir. Selon les termes posés par la plateforme du volontariat de l’animation, tout au long de la vie, le volontaire peut s’engager pour une durée annuelle limitée et fractionnable. »

Cette proposition, tentante a priori parce qu’elle aurait pour effet de réduire le coût des colonies de vacances, nous paraît, au groupe CRC, constituer une solution trop simple, voire simpliste au regard des enjeux – le rétablissement d’un droit effectif aux vacances pour tous et dans la mixité sociale – et des difficultés réelles qui excèdent de loin la question de la rémunération ou des règles d’encadrement.

Je voudrais, avant d’aller plus loin dans mon raisonnement, rappeler quelques évidences. Ce qui a contribué au succès des colonies de vacances, c’est le fait que les enfants gagnaient en maturité, en autonomie, que l’expérience de la vie en collectivité autour d’adultes référents, formés aux besoins spécifiques des jeunes enfants et adolescents, disposant de savoirs pédagogiques, permettait aux jeunes de se développer dans le respect des règles communes.

Mais les parents veulent également avoir la certitude que les activités s’effectuent en toute sécurité et que la vie ou la santé de leurs enfants n’est pas en danger lorsqu’ils participent à une colonie de vacances. Ces préoccupations sont légitimes, mes chers collègues, vous en conviendrez. C’est la raison pour laquelle je ne pense pas qu’il faille, au prétexte d’une réduction de coût, réduire nos exigences en termes de qualité des prestations « hôtelières », des activités proposées ou de l’encadrement. Le débat sur les colonies de vacances ne se limite pas à un problème de coût. Plus largement, nous avons à nous interroger sur le modèle social dans son ensemble que nous voulons pour nos enfants.

Cela étant, le rapport de la mission commune d’information semble faire du statut des animateurs une question cruciale. Paradoxalement, il souligne également, et cela me paraît extrêmement important, que le « repli des classes populaire et moyenne sur les séjours en centres de loisirs ou sur les vacances familiales serait moins dû, selon les organisateurs de séjours, à la hausse des prix qu’à la réorientation des aides sociales au départ en colonies ». Le rapport précise, et c’est à mes yeux un élément central, que « la diminution de ces aides directes et indirectes a augmenté le coût résiduel du séjour pour des familles qui n’ont plus les moyens d’envoyer leurs enfants en colonies sans une aide substantielle ». On ne saurait mieux dire !

Au titre de cette réorientation des subventions publiques, comment ne pas souligner la diminution notable des aides accordées par la CAF et notamment la suppression des « bons vacances » ? Selon une étude de l’Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes parue dans son bulletin de décembre 2005, dix ans après le début de la crise des colonies de vacances, il y aurait une relation directe et déterminante entre la disparition des bons vacances auparavant distribués par les caisses d’allocations familiales et la baisse de fréquentation des colonies.

Cette réorientation de la participation financière de la CNAF est en réalité la conséquence d’une circulaire d’orientation des dépenses d’aide sociale publiée par la CNAF. La Caisse, constatant la stagnation de ses recettes et la faible efficacité sociale des bons vacances, a choisi de revoir l’usage des ressources affectées du Fonds national d’action sanitaire et sociale, le FNASS, comme celui des fonds laissés à la discrétion des conseils d’administration des caisses.

Ces réorientations dans les priorités de la CNAF apparaissent dès le début des années quatre-vingt et s’accentuent au fur et à mesure que les mécanismes d’exonération de cotisations sociales croissent. Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, notamment en ma qualité de rapporteur de la branche famille, cette branche, à travers sa caisse, est la principale victime de cette politique.

Alors que nous nous apprêtons à examiner le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, qui entérinera sans doute le pacte conclut entre le Gouvernement et le MEDEF, avec à la clef plusieurs milliards d’euros d’exonérations de cotisations patronales supplémentaires, je veux redire que toute suppression de ressources a des conséquences sur les familles, singulièrement sur les familles modestes. La politique de réduction des cotisations sociales à la charge des employeurs menée en continu depuis plus de vingt ans a un prix : celui de la réduction du champ de la solidarité nationale, celui de la perte d’ambition d’un système formidable et émancipateur né à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, celui du sacrifice d’un droit pourtant fondamental des vacances pour tous et entre tous.

De surcroît, comme le rappelle en substance le Haut Conseil de la famille, c’est sans compter l’impact de la réforme des rythmes scolaires.

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