À ce sujet, je veux rappeler ici les différentes aides à ces départs : aides des municipalités, des comités d’entreprise, des allocations familiales.
Pour les enfants les plus défavorisés, les séjours en colonies de vacances donnent un cadre : ils peuvent manger équilibré, dormir dans de bonnes conditions – en tout cas, la plupart du temps… –, bénéficier d’un rythme de vie régulier et dialoguer avec des adultes. Ces séjours privilégient la liberté de jouer ; ils apprennent à l’enfant à se diriger lui-même dans la vie et développent ses capacités à agir, plus tard, en tant que citoyen actif d’une démocratie.
Les jeux collectifs sont différents des exercices scolaires. Le séjour collectif de loisirs renverse la logique de l’école, qui ne laisse aux récréations qu’une place tout à fait subalterne dans la journée d’apprentissage. Au contraire, les colonies de vacances exploitent toutes les potentialités émulatrices des récréations et du jeu.
L’éducation active par le jeu encourage la solidarité entre les enfants d’un même âge et la cohésion du groupe est imposée par la permanence de la vie collective, qui empêche les enfants de se replier sur eux-mêmes. Ainsi, ils apprennent à surmonter leurs inhibitions, leurs déceptions et leurs craintes grâce à la présence permanente des autres, la répétition des épreuves qu’ils ont pu redouter ou auxquelles ils ont pu échouer, la simplicité des jeux et le renversement des rôles d’un jour à l’autre.
L’éducation nationale et les autres institutions en charge de l’accueil et de l’éducation des enfants ont accepté les principes de l’éducation active à partir des années 1970, en développant les activités d’éveil, des méthodes pratiques d’instruction et des activités ludiques périscolaires. Le modèle de l’éducation active repose sur quatre principes : le jeu collectif, la constitution de petits groupes, la vie collective continue jour et nuit et l’encadrement par de jeunes moniteurs. L’éducation collective par le jeu est l’innovation principale de cette méthode.
L’hébergement collectif inhérent à la colonie de vacances est un vecteur d’émancipation. Tous les accueils collectifs de mineurs, qu’il s’agisse d’accueils de loisirs, d’accueils de vacances, de séjours de scoutisme ou de séjours itinérants, en France comme à l’étranger, favorisent la socialisation des jeunes qui participent, par leur intégration dans un groupe de leur âge.
Les colonies de vacances sont l’occasion d’une séparation de l’enfant de sa famille, mais aussi de ses éducateurs habituels et de son milieu de vie quotidien. Seuls, en fratrie ou même entre copains, les enfants qui partent en « colo » quittent leurs lieux de résidence et leurs terrains de jeux familiers pour partir à l’aventure dans des régions inconnues et retrouver sur place d’autres enfants de leur âge et des animateurs qu’ils ne connaissent pas.
Le groupe réuni lors d’un séjour de vacances est occasionnel, composé de personnes qui, pour la plupart, ne vont se fréquenter assidûment que pendant la durée du séjour, sans pouvoir s’éviter, mais en sachant qu’ils se perdront de vue par la suite. Chaque participant est invité à partager des moments de jeux, de convivialité et aussi d’intimité, sans que cela prête à conséquence pour sa vie quotidienne. En colonie de vacances, les jeunes peuvent faire des expériences et se découvrir, découvrir des aspects nouveaux et inconnus de leur propre personnalité. Cette émancipation progresse avec l’avancée en âge du jeune vacancier, parce qu’on lui laisse davantage d’initiative dans les activités.
Pour ces raisons, on constate que, si les enfants sont parfois inquiets de partir en colonies de vacances, ils sont toujours tristes d’en revenir.
On remarque en outre que, parfois, les jeunes qui ont fréquenté des colonies de vacances à l’adolescence ont envie de suivre une formation pour intégrer une équipe d’encadrement. Pour la plupart de ceux qui fréquentent les colos, l’âge de seize ans est celui du dernier départ. Environ 5 % d’entre eux entreprennent, dans la foulée, les démarches pour obtenir le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur, le BAFA. Bien souvent, ces jeunes prêts à se dévouer au service des autres sont tentés par un engagement social et parfois militant, qui motivera les intéressés tout au long de leur vie personnelle et professionnelle.
Aujourd’hui, on constate de plus en plus souvent que l’animation se professionnalise. C’est même devenu une revendication syndicale, soutenue par une jurisprudence européenne qui vient modifier l’économie du secteur des loisirs des jeunes. Auparavant, cette dernière s’était constituée dans un monde associatif en marge du salariat et du droit commun du travail.
Une partie des animateurs occasionnels ne considèrent plus l’encadrement d’un groupe de mineurs comme une activité militante ou bénévole ni celui d’un séjour collectif comme une forme d’engagement éducatif et de vacances indemnisées, mais comme un travail de quelques semaines, mal rémunéré, que l’on accepte faute de mieux, dans une période de chômage de masse, en espérant qu’il soit considéré comme une expérience professionnelle et qu’il compte pour la retraite. Il en va de même des brevets d’aptitude aux fonctions d’animateur ou de directeur d’accueil collectif de mineurs, qui sont considérés comme la première étape d’un parcours de qualification professionnelle dans les métiers de l’action sociale et de l’enfance.
La professionnalisation est cependant difficile à imaginer dans le secteur des séjours de vacances, divisé entre offre commerciale et fonction sociale, organisateurs associatifs et sociétés à but lucratif. Ce secteur n’utilise près de 150 000 animateurs et directeurs occasionnels que quelques semaines, pendant un an ou deux. En effet, dans les centres de loisirs et de vacances, la réglementation exige désormais la détention d’un diplôme sportif pour la pratique d’un nombre croissant d’activités, ce qui établit une double séparation, selon le sexe et selon la qualification, des animateurs brevetés sans diplôme et des animateurs diplômés.
À présent, on fait une différence entre le bénévolat et l’engagement. On a tendance à penser que la « qualité » exige le recours à des « professionnels » et que « bénévole » signifie « amateur ». On craint que les animateurs bénévoles ne soient pas à la hauteur.
En conséquence, compte tenu du fait que les exigences de sécurité des hébergements, des déplacements, des activités, notamment physiques et sportives, sont accrues par une réglementation qui impose toujours plus de qualifications à l’encadrement, la présence des animateurs occasionnels, indemnisés plutôt que salariés, est remise en cause. Elle l’est d’autant plus quand deux secteurs d’activité connexes, celui du sport, d’une part, et celui de l’accueil de la petite enfance, d’autre part, sont de plus en plus réservés à des professionnels diplômés. On en est venu à distinguer le monde professionnel du monde occasionnel de l’animation. Le premier concerne les accueils de loisirs, dans lesquels existe la juxtaposition des types de contrats – à durée indéterminée, déterminée ou d’engagement éducatif –, alors que les modes de financement de ces accueils, qui accaparent les deux tiers des animateurs occasionnels brevetés, pourraient supporter un alignement progressif sur les deux conventions collectives de l’animation et du sport. En revanche, le mode occasionnel, par exemple dans le cadre d’un volontariat de l’animation, pourrait demeurer le mode dominant d’encadrement des séjours de vacances, les professionnels n’étant requis que pour la pratique des activités dangereuses.
Comme je l’ai dit précédemment, depuis 1995, l’évolution du marché a tendu à faire disparaître les séjours classiques, sans thématique, fréquentés par tous les milieux sociaux et à séparer les accueils collectifs de mineurs en deux secteurs : l’un, associatif et caritatif, semblable aux garderies d’été ; l’autre, commercial et concurrentiel, celui des camps itinérants de tourisme et d’aventure pour adolescents des milieux aisés.
Malheureusement, cette évolution apparaît particulièrement défavorable au départ en vacances des enfants des milieux aux revenus modestes ou moyens, qui n’ont accès ni au secteur caritatif ni au secteur commercial, alors que ces enfants sont justement ceux pour lesquels les colonies de vacances pourraient être les plus bénéfiques. On peut donc se demander si, à ce niveau, l’intervention de l’État est nécessaire afin de maintenir coûte que coûte une offre bon marché de colonies de vacances. Si l’on est convaincu que les vacances des enfants sont l’affaire de tous et que l’on regrette que trop d’enfants ne quittent plus leur environnement quotidien, une fois de plus, une intervention de l’État apparaîtra comme la seule solution.