Intervention de Delphine Bataille

Réunion du 10 juin 2014 à 14h45
Débat : « quel avenir pour les colonies de vacances ? »

Photo de Delphine BatailleDelphine Bataille :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, chacun d’entre nous l’a dit, les colonies de vacances connaissent depuis désormais une vingtaine d’années une baisse continue de leur fréquentation. Ce phénomène n’est donc pas nouveau, mais ce qui inquiète aujourd’hui, ce sont les menaces qui pèsent sur leur avenir et la pérennité du modèle qu’elles incarnent. Les avantages de ces séjours collectifs ne sont pourtant plus à démontrer. Ils permettent l’émancipation des enfants et favorisent leur sociabilisation, car ces vacances de groupe les aident à se construire aux côtés des autres enfants et à appréhender aussi un milieu inconnu loin de la sphère familiale. Ces séjours participent en outre à la réussite et à l’épanouissement des enfants, parallèlement à l’apprentissage de la vie en collectivité et du respect des valeurs que porte l’intérêt général.

Les colonies de vacances ont également permis, pendant de nombreuses années, une mixité sociale et culturelle enrichissante qui a contribué à renforcer les valeurs de la République. En 130 ans, ces colonies ont accueilli l’équivalent de la population actuelle de la France. Il est d’autant plus important de s’interroger – et je remercie mes collègues du groupe CRC de nous donner l’occasion de débattre de ce sujet – sur les raisons d’une telle désaffection que, dans le même temps, ce sont, chaque année en France, plus de trois millions d’enfants qui n’ont pas la chance de partir en vacances. Il faut certainement chercher des réponses dans les nombreuses mutations qu’a connues au fil des décennies cette institution qui nous est venue de Suisse à la fin du XIXe siècle, à partir d’initiatives confessionnelles – l’historique a été rappelé – relayées ensuite par les syndicats, mutualités, coopératives ouvrières, associations sportives ou encore par des comités créés à cet effet.

Les colonies de vacances ont tout de suite été des réussites et ont démontré leur efficacité, notamment à travers des actions d’éducation à la santé, face à des fléaux comme la tuberculose. Elles ont par la suite essaimé rapidement en France, développant les questions d’hygiène et d’alimentation.

Les collectivités locales, puis l’État sont alors intervenus pour aider au financement et au soutien d’une politique de départ en colo d’été du plus grand nombre et pour mieux encadrer ces initiatives. Les colonies de vacances font désormais partie de notre mémoire collective pour avoir permis à plusieurs générations de découvrir les joies de la campagne, de la mer ou de la montagne.

Les centres de loisirs collectifs ont, tour à tour, été placés sous la tutelle du ministère de la justice, puis, après la Libération, sous celle du ministère de l’éducation nationale, avant d’être repris, depuis 1958, par le ministère des sports. À chaque fois, ces changements de périmètres qui correspondaient finalement aux mutations de la société ont aussi été facteurs d’évolutions profondes du rôle et des missions des colonies de vacances.

Les colos d’aujourd’hui ont beaucoup changé. Elles se sont adaptées et ont évolué vers plusieurs types de structures d’accueils collectifs. Réglementées par l’État, encadrées par des équipes qualifiées et organisées par des associations, des communes, des comités d’entreprise, mais aussi parfois des entreprises privées, elles sont segmentées en fonction de différentes tranches d’âges et offrent des formules variées, permettant un accueil tout au long de l’année pendant les petites et grandes vacances, avec ou sans hébergement. Les séjours de courte ou de longue durée, en France ou à l’étranger, sont souvent des lieux organisés autour d’un projet pédagogique et proposant des activités diversifiées.

Toutefois, comme le confirme le rapport qui fait référence pour beaucoup d’entre nous, présenté en juillet 2013 par notre collègue député Michel Ménard, les effectifs sont en forte baisse, tout comme la durée des séjours, et ce sont les mini-camps, mis en place par les centres de loisirs, qui tendent à se substituer aux séjours classiques. La mixité sociale n’étant plus de mise dans ce contexte, les valeurs républicaines et citoyennes et les messages qu’elle véhicule ne sont, hélas ! plus une préoccupation majeure.

Ces tendances se sont confirmées l’été dernier, alors que les centres de vacances ont encore accueilli plus de 1, 5 million d’enfants et de jeunes.

Alors qu’il y a trente ans, les enfants partaient en colo pendant un mois, la durée moyenne des séjours est maintenant de cinq à six jours. Ces séjours de moins d’une semaine en centre de loisirs communal ou à proximité du domicile familial ont même tendance à augmenter.

Plus de 80 % de ces séjours se déroulent encore en France, mais ils concernent essentiellement des jeunes entre treize et dix-huit ans. La baisse de fréquentation touche en effet plus particulièrement les enfants les plus jeunes, ceux qui ont entre quatre et douze ans.

Quant aux séjours sportifs ou linguistiques, qui représentent 10 % de la globalité des séjours, ils échappent à la désaffection, tout comme les séjours dans les camps scouts.

Plusieurs raisons expliquent ces évolutions. Cela a été dit à plusieurs reprises, la principale explication est financière : les séjours ont fortement augmenté ces dernières années, notamment sous les effets d’une législation sociale plus stricte, de normes plus nombreuses et de charges d’entretien plus lourdes, mais aussi parce que l’offre de séjours à thèmes, forcément plus coûteux, s’est bien développée. Les coûts de ces séjours se situent actuellement entre 400 et 800 euros pour une semaine. Cette somme est bien entendu à multiplier selon le nombre d’enfants dans le foyer. Faire bénéficier ses enfants d’une colonie est donc devenu inabordable pour une majorité de parents. Comme l’a souligné, à juste titre, notre collègue François Fortassin, alors que le coût moyen d’une journée en colonie s’élève à 63 euros par jour, il est inférieur pour les centres de loisirs – environ 35 euros – et très nettement plus faible en ce qui concerne le mouvement scout puisque le tarif journalier se situe entre 10 et 15 euros.

En outre, les aides aux parents se font de plus en plus rares. Après la défection des aides de l’État, ce sont les bourses de la caisse d’allocations familiales qui disparaissent, se limitant aux seuls centres aérés, voire aux familles en très grandes difficultés. La participation des comités d’entreprise a également été orientée à la baisse.

À ce compte, ce sont le plus souvent les enfants des milieux aisés qui peuvent accéder aux centres de vacances d’été, tout comme ceux des familles très modestes, aidés par les comités d’entreprise, les municipalités ou les services sociaux. Ce sont les classes moyennes qui sont bel et bien les plus directement touchées par la hausse des tarifs de ces séjours, les parents préférant, quand ils le peuvent, favoriser les vacances familiales.

D’autres causes sont ciblées et ont déjà été largement développées par les orateurs qui m’ont précédée.

Face à ce constat alarmant, le rapport fait des propositions, Jacques-Bernard Magner l’a rappelé, pour relancer des séjours de vacances collectifs. Il s’agit, par exemple, d’intervenir auprès de la SNCF pour obtenir des tarifs préférentiels, de favoriser une plus grande diffusion des chèques-vacances dans les entreprises ou encore de créer un fonds national d’aide aux départs en vacances collectives.

Cela, beaucoup de collectivités l’ont déjà fait, de manière volontariste, à leur niveau et selon leurs capacités financières. Je prendrai l’exemple du département du Nord, qui s’est illustré à travers l’opération « Vacances du cœur » en partenariat avec l’association La Jeunesse au plein air ou à travers un autre dispositif volontariste, l’aide au départ des jeunes, en partenariat avec les centres sociaux et les acteurs locaux de chacun des territoires.

Dès novembre 2013, votre prédécesseur, madame la ministre, avait annoncé l’ouverture d’un vaste chantier visant à faire évoluer le secteur des colonies de vacances à but non lucratif et à le conforter dans sa mission principale, qui est bel et bien de permettre à tous de partir en vacances collectives. Vous avez vous-même assisté, fin mai, à l’assemblée générale des scouts de France, dont vous dites vouloir vous inspirer, notamment au regard de leur succès dans les quartiers populaires. Pouvez-vous nous indiquer les mesures que vous envisagez afin de relancer les séjours en colonies de vacances – ces « jolies colonies de vacances » que défendait Pierre Perret ? Comment comptez-vous, dans l’esprit de solidarité nationale, accélérer ce mouvement de relance, vital pour notre jeunesse et son apprentissage des valeurs républicaines, citoyennes et de la vie en collectivité ?

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