Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Réunion du 10 juin 2014 à 14h45
Débat : « quel avenir pour les colonies de vacances ? »

Najat Vallaud-Belkacem :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens au préalable à saluer l’initiative du groupe CRC, qui a conduit à l’inscription à l’ordre du jour de votre assemblée de cette question extrêmement importante qu’est l’avenir des colonies de vacances.

Extrêmement importante, elle l’est en effet, au moment où nous sommes, comme chaque année, confrontés à la contradiction de voir fleurir dans chaque station de métro la campagne d’affichage des agences de voyages sur le thème « mer ou montagne, où irez-vous passer vos vacances ? », alors que, nous le savons, cette année encore, comme l’année dernière, près de 40 % de nos concitoyens ne partiront sans doute pas en vacances. Chez les jeunes, le constat est encore plus préoccupant puisque ce sont trois millions d’entre eux qui devraient passer à nouveau leurs vacances à leur domicile.

Dans ce contexte général, la situation des colonies de vacances est particulièrement préoccupante, comme vos interventions l’ont souligné. Pour moi, un chiffre résume la situation à laquelle elles sont confrontées : alors que le taux de départ en colonie de vacances était en 1995 de 15 %, il est tombé aujourd’hui à 7, 5 %. À la simple lecture de ce chiffre, on pourrait être tenté de répondre immédiatement à la question que vous m’avez, les uns et les autres, posée : s’il y a un avenir pour les colonies de vacances, il paraît en effet assez sombre.

Les évolutions constatées depuis maintenant une bonne dizaine d’années dans ce secteur, comme la tendance spontanée que nous observons, n’engagent pas à beaucoup plus d’optimisme. L’augmentation des prix de séjour a conduit, dans les faits, à l’exclusion progressive des enfants des classes moyennes les plus fragiles. Quand 15 % des enfants dont les parents gagnent plus de 4 000 euros par mois partent en colonies de vacances, ce chiffre tombe à 4 % pour ceux dont les parents gagnent entre 1 000 et 1 500 euros.

Cette évolution s’accompagne du recul de la mixité sociale au sein de séjours de plus en plus spécialisés et dont les coûts s’envolent pour les familles.

Enfin, les acteurs à but lucratif viennent concurrencer de plus en plus frontalement le secteur de l’éducation populaire, qui était pourtant jusqu’à présent le pilier historique des colonies de vacances.

Voilà le tableau des colonies de vacances que nous pourrions dresser, dans dix ans, si nous ne réagissions pas dès aujourd’hui : un secteur dominé par des professionnels des vacances proposant des séjours de plus en plus spécialisés à des publics socialement segmentés et dont seraient exclues les classes moyennes les plus fragiles.

Faut-il accepter cette évolution et céder à la tentation du laisser-faire ? Je ne le crois pas. Certains se demandent, en effet, pourquoi il faudrait favoriser certains types de vacances plutôt que d’autres et les séjours collectifs plutôt que les départs autonomes dans le cadre familial ou entre amis.

Je voudrais tout d’abord souligner que les colonies de vacances ne sont pas « en concurrence » avec les vacances familiales, car elles s’inscrivent très souvent dans un temps différent, pendant lequel les parents travaillent encore.

Par ailleurs, je suis intimement persuadée que le départ en dehors du cadre familial et la rencontre avec d’autres enfants, issus de quartiers, de milieux et de cultures différents, constituent pour chaque enfant une occasion d’ouverture et de découverte indispensable, laquelle est le premier pas vers l’autonomie.

Dans une société confrontée, toujours davantage, à la tentation du repli sur soi, sur sa famille, voire sur sa communauté, l’expérience du départ, de la rencontre de l’autre, est fondamentale dans la construction de soi.

Les lieux de cette rencontre, de cette mixité, me semblent trop peu nombreux aujourd'hui pour que l’on puisse se priver de l’espace de découverte que représentent aujourd’hui les colonies de vacances pour de nombreux enfants.

On entend dire également qu’on pourrait laisser le marché s’adapter à la demande, qu’une entreprise de vacances est tout aussi à même de faire partir des jeunes que la Fédération des œuvres laïques ou La Jeunesse au Plein Air. Là encore, ce n’est pas mon avis. Je suis profondément convaincue que les colonies de vacances ne sont pas qu’un outil d’aide au départ : il ne s’agit pas simplement de faire partir des jeunes dans un bus et de les occuper pendant dix jours.

L’ambition des colonies de vacances, je le redis avec force, est tout autre. Elle doit être un levier d’émancipation, d’éducation, d’apprentissage, d’accompagnement à l’autonomie des jeunes et des enfants qu’elles accueillent, un lieu de découverte et d’ouverture à de nouveaux horizons.

Je ne pense pas qu’une entreprise de loisirs vaille une fédération d’éducation populaire pour organiser de telles vacances des jeunes. Il est aujourd’hui nécessaire, selon moi, de mettre en place un cadre qui permettra de consolider les grandes fédérations d’éducation populaire et les acteurs du tourisme social dans leurs missions.

Au-delà des enjeux sociaux, voire politiques, qui s’attachent à l’avenir des colonies de vacances, nous ne devons pas oublier les enjeux économiques liés à la préservation d’un secteur qui a su construire un modèle innovant, original, et qui offre non seulement un cadre d’éducation pour les enfants qu’il accueille, mais également le lieu d’une première expérience professionnelle pour les jeunes, quel que soit leur statut, qui les encadrent et les accompagnent.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très attachée au renforcement des colonies de vacances et à la préservation de ce qui fait leur singularité.

Toutefois, ne nous y trompons pas, défendre les colonies de vacances, ce n’est pas s’enfermer dans un conservatisme teinté de sépia ou s’arc-bouter sur un modèle qui ne correspondrait ni aux attentes des enfants ni à celles des parents d’aujourd'hui. De ce point de vue, je partage avec les grands acteurs du secteur la volonté de construire un nouveau modèle de colonies, qui soit adapté aux évolutions de la société.

La refondation du modèle des colonies de vacances, c’est l’objet du dispositif « Des colos innovantes ! », soutenu par le ministère des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports, et lancé sur la base d’une réflexion partagée entre l’administration, les financeurs, au premier rang desquels la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, les élus et les grands réseaux associatifs. Cette initiative vise à poser les bases de ce que devront être les colonies de demain, en tentant d’apporter des réponses aux défis auxquels sont confrontées celles d’aujourd’hui.

Le premier enjeu – le premier défi ! – est selon moi la reconquête de la confiance des parents. Si des causes structurelles, notamment financières, pèsent sur le nombre de départs en colonie, on constate également, il faut le dire, une réticence croissante des parents à confier leurs enfants à des institutions qu’ils estiment ne pas connaître suffisamment.

Il est primordial, dans ce contexte, que la colonie de vacances commence bien avant le jour du départ et qu’un lien s’établisse en amont entre les organisateurs et les parents, afin de tisser des relations de confiance et d’exposer le projet pédagogique qui sera mis en place pendant le séjour. Ce lien doit être maintenu pendant le séjour et entretenu à son issue.

Le deuxième enjeu – le deuxième défi –, consiste à assumer clairement et explicitement les ambitions portées par les colonies de vacances, pour rendre plus visible leur spécificité dans ce qui est devenu un marché très concurrentiel. Cela passe par la mise en avant du projet pédagogique, mais aussi d’un certain nombre de valeurs, au premier rang desquelles figurent la mixité sociale, l’accueil de tous les enfants, notamment ceux qui sont en situation de handicap, l’égalité et la laïcité, valeurs qui sont la « marque de fabrique » des colonies de vacances.

Le troisième enjeu – et troisième défi – est la construction d’un modèle de séjour qui échappe à une forme de « courses aux armements » aiguillonnée par une concurrence toujours plus forte dans ce secteur. En effet, si cette dynamique concurrentielle a pu aboutir à une certaine diversification et à l’enrichissement des programmes d’activité, elle a aussi eu pour conséquence une élévation continue du prix des séjours et l’exclusion progressive des enfants des classes populaires et moyennes des colonies de vacances.

Nous devons pouvoir, aujourd’hui, revenir à des modèles de colonies de vacances qui proposent aux enfants des cadres éducatifs plus simples, plus rustiques peut-être, mais tout aussi stimulants, privilégier les hébergements légers plutôt que les équipements systématiquement construits en dur, développer des séjours qui fassent découvrir non seulement les destinations lointaines, mais aussi les campagnes et les forêts qui entourent nos villes.

Ces défis méritent d’être lancés ! Au-delà de sa participation à l’élaboration de la « Charte nationale des colos innovantes », le ministère des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports s’emploiera très activement à faire connaître cette offre de séjour, notamment par l’organisation de campagnes d’information et de communication auprès du grand public et des grands prescripteurs que sont les CAF, les collectivités et les comités d’entreprise.

Si cette charte est un premier pas dans la construction d’un nouveau modèle de colonies de vacances, elle ne pourra suffire à relever les défis auxquels est confronté ce secteur. Au-delà de la réaffirmation de la singularité de ce modèle et des valeurs qu’il porte, je souhaite également engager avec les acteurs concernés un certain nombre de chantiers structurels, afin de mieux soutenir les organisateurs de séjours.

Je pense, tout d’abord, à l’indispensable simplification de l’organisation des séjours. Cela passe par un travail, d’ores et déjà engagé entre l’État, les collectivités locales et les organisateurs de séjours, visant à passer au crible les contraintes réglementaires qui pèsent sur les organisateurs de séjours collectifs de mineurs.

Si des améliorations permettant d’alléger les démarches auxquelles sont confrontés ces organisateurs peuvent être engagées, elles le seront, mais en gardant à l’esprit que la priorité absolue doit être la protection de la santé et de la sécurité des enfants accueillis. Il existe des marges de progression en la matière.

La simplification passe également par la mise en œuvre de mesures facilitant au quotidien la vie des organisateurs. Je pense, notamment, à la simplification de l’organisation des voyages en train pour les groupes. La SNCF a engagé un travail important en la matière et développe aujourd’hui son offre en direction des groupes, laquelle passera cet été de 1 million à 2, 5 millions de places.

Je pense, enfin, à la question financière, afin de soutenir l’émergence d’un nouveau modèle de colonies de vacances.

Comme je l’ai dit précédemment, le soutien aux colonies de vacances est un choix de société, un choix politique, que l’État entend assumer. C’est pourquoi je souhaite mobiliser au service de projets innovants les moyens du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse et du volet « jeunesse » du Programme d’investissements d’avenir.

Au-delà de l’importante question de l’investissement, nous devons réfléchir à la façon de réorienter les moyens aujourd’hui consacrés à l’aide aux vacances en direction des colonies de vacances.

Plusieurs d’entre vous l’on dit, les crédits que notre pays accorde à l’aide aux vacances, que ce soit par les exonérations accordées sur les chèques vacances, par les différentes mesures d’aide sociale, ou via les concours des comités d’entreprises, sont considérables : on les évalue globalement à plus de 2 milliards d’euros. La CNAF a engagé le rééquilibrage de ses crédits de soutien aux départs en vacances en direction des séjours de mineurs. Nous devons accentuer et pérenniser cet effort.

Je souhaite aussi développer les démarches d’achat fondées non seulement sur le critère du coût, mais également sur des critères qualitatifs reprenant, par exemple, les éléments du label « Des colos innovantes ! ». À titre d’illustration, la sphère publique dépense à elle seule, au titre de ses missions d’employeur, plus d’un milliard d’euros pour soutenir le départ en vacances de ses agents.

Une réorientation d’une partie de ces crédits, dans le respect du code des marchés publics bien sûr, permettrait de soutenir efficacement le secteur des colonies de vacances. Je vais donc engager un dialogue avec un certain nombre de grands comités d’entreprise pour les encourager à concentrer leurs achats en direction des séjours labellisés. Nous ferons donc en sorte que ce qui vaut pour la puissance publique vaille également pour le secteur privé.

Nous allons, enfin, poursuivre le dialogue engagé autour du statut des animateurs et des encadrants, et de l’équilibre à trouver entre salariés, volontaires et bénévoles, pour offrir à chacun un cadre lui permettant de s’engager dans les projets éducatifs portés par les colonies des vacances, tout en bénéficiant d’un statut protecteur, et de continuer à faire vivre ce creuset d’engagement qu’a toujours été le monde des colonies de vacances.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, je partage votre préoccupation : oui, l’avenir des colonies de vacances est aujourd’hui incertain. Les évolutions sociales et le développement d’une nouvelle approche des vacances, plus individuelle, plus consumériste, ont fragilisé le modèle de colonies que nous avons connu.

Face à ces évolutions, je suis néanmoins persuadée que nous avons les moyens de mettre en place le cadre qui permettra à un nouveau modèle de colonies de vacances d’émerger, en conciliant la nécessaire adaptation des pratiques et l’affirmation volontaire des ambitions en matière d’éducation populaire.

Vous le constaterez dès cet été, je prendrai en tant que ministre chargée, à la fois, de la jeunesse et de l’éducation populaire, toute ma part dans l’accompagnement de cette transformation, qui d'ailleurs dépasse le simple cadre des colonies de vacances et met en jeu notre capacité collective à garantir l’effectivité du droit aux vacances pour chaque jeune, une ambition collective que je sais partagée sur toutes ces travées.

Les vacances représentent aujourd’hui des enjeux qui dépassent largement la question des loisirs. Il y a là un enjeu de justice sociale, dans une société qui se veut mobile, où l’assignation à résidence d’une frange entière de notre jeunesse pendant les vacances représente la plus grande des frustrations.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion