Intervention de Gisèle Jean

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 15 mai 2014 : 1ère réunion
Stéréotypes dans les manuels scolaires — Table ronde

Gisèle Jean, professeure de sciences économiques et sociales, co-créatrice de « Corpus » :

Je suis professeur de sciences économiques et sociales. Dans le cadre d'un travail mené sur les programmes, j'ai contribué à mettre en place un groupe interassociatif et intersyndical dénommé « Corpus » et dont l'ambition est de réfléchir à l'évolution des programmes et des formations. J'ai également été directrice d'un institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) à Poitiers et formatrice depuis de très nombreuses années.

Avec Claire Pontais, nous avons essayé de dresser un bilan de ce qui existe actuellement dans les ESPE, par rapport à ce qui existait précédemment. Le référentiel des compétences professionnelles auquel vous avez fait allusion est certes nouveau, mais nous en avions déjà établi un en 2007, de façon moins concertée, mais dont la première compétence portait également sur les valeurs : outre la laïcité, le thème principal était celui de l'égalité.

La question de l'égalité était traitée de manière très satisfaisante, sous un angle plus philosophique que sociologique. Elle est restée présente dans la formation, de manière transversale. Sa place était toutefois marginale en termes de temps. Elle était en outre difficilement intégrée dans le reste du dispositif.

L'enquête que nous avons menée auprès des académies permet, selon le point de vue que l'on adopte, d'être optimiste ou pessimiste.

Nous sommes plutôt pessimistes en ce qui concerne la formation initiale, car nous sommes dans un « entre-deux ». Tout le monde sait que les heures de formation sont extrêmement réduites. Cela ne fait plus l'objet de débats. Or, les actions considérées comme les moins importantes pour le concours ont été les premières à en subir les conséquences. C'est ainsi que la question des valeurs a été limitée à la portion congrue. Il s'agit souvent d'une simple « récitation », sans réelle approche réflexive.

En ce qui concerne la formation continue, les retours de nos collègues traduisent globalement une ignorance de ce qui existe. L'écart entre les consignes venant du ministère de l'Éducation nationale et leur traduction sur le terrain est extrêmement important. Le non-remplacement des enseignants, en particulier dans le second degré, est notamment un frein pour la réalisation d'actions de qualité.

En ce qui concerne la formation, nous avons noté une très grande disparité dans la manière dont les ESPE prenaient en compte cette question. À Bordeaux, elle semble très bien intégrée en M1 et en M2. Vous avez cité Rennes en ce qui concerne l'analyse de pratiques mais je voudrais ajouter Nantes, qui a toujours joué un rôle de fer de lance dans ce domaine. J'ai été formatrice à Poitiers et nous avons beaucoup travaillé avec Nantes sur le sujet. La capacité à s'auto-observer et à réfléchir avec des outils d'analyse théorique y est vraiment mise en avant. Les collègues nous ont indiqué que cette dimension était également prise en compte dans les mémoires.

Sur le sujet de la transmission des valeurs aux élèves du secondaire, des actions très intéressantes étaient mises en oeuvre par le passé sur les stéréotypes. En tant qu'enseignante, j'ai abordé ce sujet pendant des années, en classe de seconde par le biais des heures du programme de sciences économiques et sociales dédiées à la socialisation et les adolescents y étaient très réceptifs. Initialement, le cours sur les stéréotypes durait trois heures. Il a été ramené à deux heures, puis à une heure et quart, non obligatoire, aujourd'hui. Il apportait pourtant beaucoup aux élèves. Ceci nous rappelle que nous ne sommes malheureusement pas toujours dans une dynamique de progrès et que, même dans ce domaine, nous observons plutôt une régression. C'est pour cela que nous devons être très vigilants car, par quelques coupes sombres, le moindre changement dans un dispositif peut entraîner des conséquences énormes que nous n'avions pas anticipées, d'autant plus que cette thématique peut encore être considérée comme marginale.

Je souhaiterais évoquer l'exemple de Bordeaux, car il me paraît particulièrement regrettable. L'application de la parité dans les élections aux ESPE a conduit à une moindre représentation des femmes, les formateurs étant souvent des formatrices. La parité par collège a donc abouti à faire élire davantage d'hommes. Certains se sont retrouvés d'office élus, car ils étaient seuls. Les conséquences ont été très violentes au niveau des directions. La situation à Bordeaux a même donné lieu à des auditions au ministère. La loi, qui se voulait progressiste, a engendré une configuration inédite, avec uniquement des hommes aux postes de directeur et de directeur-adjoint de l'ESPE, de président des universités et de recteur. Nous n'avions jamais connu une telle disproportion. Tout cela pour dire qu'une chose est de faire des lois, une autre est d'en mesurer les conséquences concrètes !

Pour en revenir à la formation, le bilan est mitigé. Les horaires constituent un frein. Je ne pense pas que certains fassent preuve de mauvaise volonté mais il faut avant tout former les étudiants aux exigences du concours. Si celui-ci ne repose que sur le français et les mathématiques, l'effort portera moins sur les valeurs.

Nous devons accompagner les enseignants sur le terrain. L'analyse des pratiques est une question fondamentale. Si les formateurs, quelle que soit leur discipline, ne sont pas formés à une approche théorique, nous ne progresserons pas. Il faut que cette dimension soit réellement intégrée, de manière profonde, dans leur parcours. Nous ne pouvons pas nous contenter d'un saupoudrage de quelques connaissances acquises à droite et à gauche.

Lorsque nous analysons les pratiques des enseignants dans la classe, nous décryptons leur attitude et leurs réponses vis-à-vis des filles et des garçons. Cette démarche permet ensuite de mieux aborder la question de l'orientation sexuée des élèves. Il faut montrer concrètement à chacun comment il se comporte, y compris après 20 ou 25 ans d'expérience d'enseignement. Nous ne devons pas nous focaliser uniquement sur les jeunes. Nos formateurs doivent être suffisamment solides pour remettre en cause, avec douceur et tact, les pratiques de tous les enseignants. Même s'il faut une impulsion qui vienne d'en haut, je crois que c'est avec ce travail de terrain que nous pourrons réellement faire évoluer les choses.

À ce sujet, le logiciel GAIA ne peut pas évaluer l'ensemble du travail effectué : il est possible de compter des journées de formation mais l'impact des interactions entre les formateurs et les enseignants est beaucoup plus difficile à appréhender.

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