Intervention de Nicole Abar

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 15 mai 2014 : 1ère réunion
Stéréotypes dans les manuels scolaires — Table ronde

Nicole Abar, chargée de mission « suivi de la mise en oeuvre des ABCD de l'égalité » au ministère des droits des femmes :

Une mission m'a été confiée conjointement par M. Vincent Peillon, alors ministre de l'Éducation nationale, et Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes.

Je suis actuellement détachée au ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais je n'en suis pas issue. Je peux donc avoir un regard libre. Un rapport de l'Inspection générale était paru juste avant ma prise de fonctions mais je n'ai pas voulu en prendre connaissance, pour conserver un regard sur le sujet. Je souhaite traiter la question de l'égalité entre les filles et les garçons de façon pragmatique et simple, comme je le faisais auparavant dans le cadre associatif.

En prenant mes fonctions, j'ai découvert des personnels très investis et dotés d'une passion incroyable pour leur métier.

Dans le cadre du suivi de la mise en oeuvre des ABCD de l'égalité, j'ai parcouru 15 000 kilomètres depuis le mois de septembre, visité 34 écoles depuis le mois de janvier et participé à énormément d'actions sur le terrain. Je peux, par cette expérience, témoigner que la formation sur la thématique de l'égalité entre les filles et les garçons n'existe pas vraiment. Ceux qui répondent qu'ils ont bénéficié d'une formation sur ce thème, c'est-à-dire 5 %, sont ceux qui ont été touchés par le dispositif « Le foot est princesse », organisé par la Fédération française de football. Ce sont en général des professeurs d'éducation physique et sportive (EPS). Le déficit concerne à la fois la formation initiale et la formation continue.

Je le savais déjà mais j'ai pu à nouveau constater que, sur une thématique comme celle-ci, il faut du temps pour discuter. J'ai osé le dire à M. Vincent Peillon, même si ce constat va à l'encontre des contraintes économiques actuelles. Il n'est pas possible de former des personnels à la va-vite et uniquement sur la base du volontariat.

L'école de la République doit travailler sur le vivre ensemble et sur la construction de l'estime de soi, avec ce qu'elle inclut en termes de respect, de partage, etc. En partant de ce postulat, il n'est pas possible de réduire la question de l'égalité à quelques enseignements disséminés ici ou là. Elle doit faire partie du socle de base et y occuper une place majeure.

Je conçois que le concours est une épreuve stressante mais ce n'est pas une raison suffisante pour écarter cette question du programme de formation ou reporter cet enseignement. Si elle est importante, elle doit être abordée sans attendre, avec un nombre d'heures suffisant.

L'effort doit être engagé dès le plus jeune âge. J'ai principalement travaillé en collège. L'adolescence n'est probablement pas la période la plus propice. Les jeunes sont confrontés à beaucoup de changements, qui se traduisent plutôt par un besoin des filles et des garçons de se séparer. Je pense que l'essentiel doit être réalisé chez les tout-petits.

Les enfants ont besoin de marcher, de courir, de découvrir ce qui les entoure. La motricité doit être une préoccupation majeure. Les jeux doivent être adaptés pour permettre à tous, filles et garçons, d'explorer tous les espaces.

J'ai découvert un document très intéressant issu du ministère de l'Éducation nationale qui précise toutes les normes de mètres carrés en fonction du nombre de classes, d'élèves, etc. Or en découvrant nos établissements, on constate qu'il est parfois impossible de courir dans la cour de récréation tellement elle est petite.

Les garçons conservent généralement cette aptitude à courir mais, dès l'âge de trois ans, les filles commencent à la perdre. Des enseignants ont montré que pendant le premier cycle, garçons et filles jouaient encore ensemble. En revanche, dès le deuxième cycle, la motricité des filles et celle des garçons commencent à évoluer différemment. Au troisième cycle, la séparation entre filles et garçons s'est réalisée. Les enseignants constatent que les garçons et les filles ont du mal à se donner la main pour faire la ronde.

La question de l'égalité doit être prise en compte sans attendre, de manière à travailler aussi sur les conséquences violentes que peut entraîner son non-respect. Je reste persuadée que la mise en oeuvre d'une telle démarche - qu'on l'appelle ABCD ou autrement - de la petite section au CM2 permettra de pacifier les relations entre les filles et les garçons au collège et d'avoir plus de tolérance sur la différence. Les violences conjugales en seront peut-être réduites. Nous travaillons sur la construction de la société de demain, ce qui justifie des investissements d'aujourd'hui.

L'égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans les textes depuis trente ans mais elle n'est pas totalement une réalité. La formation des enseignants, des formateurs et des cadres de l'Éducation nationale est fondamentale. Elle est une condition pour avancer. Nous ne devons pas considérer que les inégalités qui demeurent dans notre société ne seraient finalement pas très graves, car certaines femmes parviennent à faire des carrières, de la politique, etc. Quelques indicateurs peuvent effectivement laisser penser que des progrès ont été réalisés. Néanmoins, la perte pour la Nation, au-delà de quelques destins individuels, reste majeure du fait de ces inégalités persistantes.

Nous ne devons pas nous focaliser sur l'orientation. Celle-ci intervient trop tard. Comme dans les tableaux impressionnistes, les enfants reçoivent de multiples petits coups de pinceau depuis qu'ils sont nés. De manière inconsciente, nous contribuons ainsi à fabriquer des petites filles et des petits garçons.

La lutte contre les stéréotypes est justifiée en tant qu'ils produisent du handicap. Au-delà de la problématique que nous abordons ce matin, l'étude PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) a montré que le niveau social des élèves déterminait leur parcours scolaire et leur intégration future dans la société.

Nous mettons beaucoup de moyens dans l'école. Pendant le premier degré, celle-ci doit être centrée sur les valeurs de la République. Ainsi, nous pourrons optimiser tous les autres dispositifs, notamment dans le domaine de l'orientation. Les élèves pourront tirer parti de tous les possibles et enfin choisir leur destin.

Pour atteindre ces objectifs, il est indispensable de réunir les personnes autour d'une table et de leur demander de remettre en question leurs propres convictions. Cet exercice est complexe et demande de la délicatesse et de la diplomatie. L'histoire personnelle de chaque enseignant doit être respectée. Chacun a envie de bien faire, mais il faut comprendre que nous sommes aussi le résultat de cette construction sociétale que nous avons connue lorsque nous étions jeunes.

Il est essentiel de permettre aux enseignants de prendre conscience de la situation. S'ils se sentent personnellement touchés par la formation, je pense que nous aurons gagné. À partir du moment où cette prise de conscience existe, il est plus facile de faire évoluer ses pratiques professionnelles. Évidemment, ce travail est progressif. Il nécessite un investissement de long terme. Puisque nous nous adressons à des fonctionnaires, qui sont engagés dans leur métier pour de nombreuses années, prenons le risque de consacrer à ce projet tous les moyens nécessaires.

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