Intervention de Jean-Jacques Lozach

Réunion du 11 juin 2014 à 14h30
Débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les collectivités territoriales concourent à concrétiser l’idée d’un sport national, d’un sport de la République ; le pouvoir politique d’État a délégué une grande part de sa traduction opérationnelle aux fédérations sportives et aux élus locaux, à tel point que ces collectivités constituent aujourd’hui, et de très loin, le premier financeur de la pratique physique et sportive, de sa promotion, de son affirmation, de sa présence sur l’ensemble du territoire national, voire de son expression lors d’événements internationaux, tel l’Euro 2016. Face aux 9 milliards d’euros consacrés par les collectivités à cette politique publique, l’intervention de l’État semble minime.

Ce que le sport professionnel apporte à une ville, un département ou une région est intrinsèquement lié non seulement aux valeurs sociales et éducatives véhiculées – ou supposées l’être – par le sport, telles que la transmission du goût de la pratique aux enfants, le respect de l’autre et des règles, la concrétisation d’enjeux sanitaires, pédagogiques et culturels majeurs, mais également à ses implications économiques, médiatiques et politiques, telles que le sentiment d’appartenance à une communauté ou un territoire, les enjeux d’identité, une image de dynamisme et de modernité, une mixité sociale.

Cette impulsion donnée à la base par les collectivités locales, qui doit pouvoir se poursuivre par le maintien de la clause de compétence générale pour les départements et les régions, dans la réforme territoriale aujourd’hui en débat – il n’est pas encore législatif, mais cela ne saurait tarder – ne peut atteindre son plein effet, gagner sa pleine justification, devrais-je dire, que si l’État garantit l’exemplarité du sport de haut niveau, en même temps qu’il reconnaît le rôle des collectivités territoriales, notamment dans sa gouvernance. En la matière, le Conseil national du sport mis en place par Valérie Fourneyron constitue une avancée appréciable.

Les élus locaux suivent avec attention la manière dont l’État appréhende la vision éthique du sport, par exemple, au travers de la lutte contre le dopage et contre toutes les formes de corruption, contre les « achats » éventuels de votes dans les instances internationales, les manquements au règlement, les violences au sein et autour des enceintes sportives, par la protection apportée aux plus jeunes, le degré de maîtrise et de transparence – il doit être optimal – du marché des transferts de joueurs, l’intérêt porté à la formation des cadres et des clubs

En effet, les élus ne sauraient, les yeux fermés et dans la durée, orienter une contribution de l’argent public vers une pratique dont les principes vertueux seraient régulièrement transgressés. Le sport spectacle apparaît comme un bien public, qui ne doit pas être monopolisé par des intérêts partisans ou privés.

Pour n’en donner qu’un seul exemple, les matchs truqués dans le football sont une illustration récente du risque de dérives. Une association d’opérateurs de paris en ligne ne vient-elle pas de dénoncer, le 3 juin dernier, à Bruxelles, une forte augmentation du nombre de matchs manipulés dans les championnats européens 2013-2014 ? « De lourds soupçons pèsent sur 460 rencontres, et sur 110 d’entre elles, il n’y a aucun doute », a indiqué le député européen Marc Tarabella.

Par ailleurs, veillons à ce que les équipements, les financements publics ne se concentrent pas, demain, de façon excessive, sur les quatorze métropoles que la loi du 27 janvier 2014 vient de consacrer. Il s’ensuivrait une atteinte à la « glorieuse incertitude du sport » !

En matière d’installations destinées prioritairement au sport professionnel, nous sommes extrêmement dubitatifs, nous aussi, quant au recours aux partenariats public-privé pour construire de nouveaux stades ou arenas, car si ces PPP apparaissent souvent attractifs à court terme, ils se révèlent ou se révéleront coûteux à long terme pour les deniers publics et le contribuable.

Il nous paraît souhaitable que, progressivement, les clubs deviennent propriétaires de leur stade, comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne, mais cette doctrine ne vaut pour l’heure que pour le football et le rugby. Tout désengagement public serait mortifère pour les autres sports collectifs professionnels – basket, volley, hand – et les sports individuels professionnels, qu’il ne faut pas exclure de la réflexion – athlétisme, tennis, équitation, judo... –, avec des sportifs, parfois professionnels, utilisant des équipements publics. N’oublions pas que 76, 5 % des équipements sportifs sont la propriété des communes.

Si l’intervention des collectivités pour favoriser le sport pour tous et son maillage territorial nous apparaît légitime et déterminante, leur intervention en faveur du sport professionnel suscite des interrogations, voire des réserves inhérentes notamment à l’indécence de certains revenus.

Ainsi, on lit dans un rapport de la Cour des comptes de 2009 que les collectivités financent souvent des équipements à l’usage exclusif des clubs professionnels, de football notamment, au bénéfice de structures privées dont l’objet unique est la recherche de profits grâce au spectacle sportif, aux droits télévisuels, au merchandising, à des prestations commerciales ; ces sociétés sont souvent déficitaires, alors que les collectivités se trouvent, elles, dans l’obligation réglementaire, et justifiée, d’équilibrer leurs budgets de fonctionnement.

N’oublions pas non plus le rôle souvent joué par les collectivités dans le soutien, notamment en termes d’accompagnement financier, à la carrière de jeunes sportifs, qui deviendront plus tard des professionnels, mais également dans l’aide à leur reconversion professionnelle ; ainsi, beaucoup vivent leur après-carrière en tant qu’employés au sein de collectivités.

Par-delà les trente propositions de la mission commune d’information, animée avec diplomatie et rigueur par son président, Michel Savin, et son rapporteur, notre ancien collègue Stéphane Mazars, le cœur de ce travail parlementaire réside, me semble-t-il, dans la vérification intransigeante de la mission d’intérêt général véhiculée par la dépense publique. Les subventions publiques octroyées aux clubs professionnels ne sauraient souffrir d’une contrepartie insuffisante, voire inexistante, en termes de réalisation d’une mission de service public comme la formation des jeunes joueurs, la contribution à des actions d’insertion sociale dans les quartiers des zones urbaines sensibles, les prestations d’image au profit de la collectivité, la contribution au mieux-vivre collectif

Cette exigence est d’autant plus impérieuse que toutes les collectivités concourent fortement au rétablissement des comptes publics de notre pays et à la réduction de sa dette, situation leur imposant des choix devant être jugés incontestables – ou les moins contestables possible... – par nos concitoyens. Ne sortons-nous pas d’élections municipales où l’on n’a jamais autant parlé de financements, de fiscalité, d’endettement, de fonctionnement et d’investissement, en un mot de budget ?

À l’occasion de l’Euro 2016, organisé par la France, il serait sans doute souhaitable de rechercher un modèle économique permettant de créer dans les villes moyennes un réseau de salles nécessaire pour l’organisation de championnats nationaux de plus grande qualité, en capitalisant sur les performances de nos équipes nationales, par exemple de basket ou de hand. Cette réflexion contribuerait à la définition de principes qui doivent être régulièrement réaffirmés, ceux d’un service public du sport fondé sur un lien indissociable entre régulation financière et régulation éthique.

Mais le sujet de notre débat de ce jour n’est pas strictement hexagonal. Ainsi l’Union européenne a-t-elle, en décembre 2012, réuni son groupe d’experts sur le financement durable du sport, chargé de revoir les mécanismes de solidarité dans le sport en Europe. Son document de synthèse fait état d’un budget de 153, 8 milliards d’euros consacrés au sport dans l’Union européenne, provenant pour 26 milliards des collectivités locales et pour 10 milliards des États, auquel il convient d’ajouter le bénévolat, dont la valeur est estimée à 28 milliards d’euros.

Quant à la part revenant au sport pour tous, elle provient, là encore, bien davantage des collectivités locales – 23 milliards d’euros – que des États – 5 milliards d’euros.

Ce groupe d’experts conclut qu’il faut clarifier le statut des aides de l’État dans le sport de façon à sécuriser les investissements publics en faveur du sport pour tous, notamment en précisant ce qui relève d’une activité économique – c’est bien le cas du sport professionnel – et ce qui n’en relève pas.

Nous formulons avec conviction le souhait que le travail approfondi de notre mission sénatoriale contribue, pour les collectivités territoriales, à ce nécessaire effort de clarification. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion