Intervention de Jacky Le Menn

Réunion du 11 juin 2014 à 14h30
Débat sur les agences régionales de santé

Photo de Jacky Le MennJacky Le Menn :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le rapport qu’Alain Milon et moi-même avons l’honneur de vous présenter aujourd’hui est le fruit d’une année de travaux consacrés par la MECSS aux agences régionales de santé.

Il y a bientôt cinq ans, les débats dans cet hémicycle sur la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », ont été nombreux et parfois vifs. La création des ARS, prévue par ce texte, n’a pas constitué un point de clivage central. De la même façon, nous n’avons pas souhaité remettre en cause la réforme ou proposer un modèle alternatif de mise en œuvre des politiques de santé sur les territoires. Nous avons préféré dresser le bilan de ce qui existe, pour tracer des pistes d’amélioration pouvant faire consensus : j’insiste sur ce point.

La création des ARS revêt un caractère particulièrement innovant dans le paysage administratif français. Alors que les agences régionales de l’hospitalisation, les ARH, leurs prédécesseurs, organisées sous la forme de groupements d’intérêt publics, étaient des structures légères dotées d’un rôle d’impulsion et de coordination plutôt que de pilotage, les ARS, juridiquement classées dans la catégorie des établissements publics administratifs, ont été conçues afin d’assurer efficacement ce pilotage, en disposant de l’autonomie administrative et financière nécessaire à l’exercice de leurs missions.

Trois objectifs principaux ont guidé leur mise en place : garantir davantage d’efficacité dans la mise en œuvre des politiques de santé, en particulier pour assurer le respect de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM ; renforcer la territorialisation de ces politiques dans une perspective de réduction des inégalités entre les territoires ; assurer le décloisonnement des prises en charge grâce à un pilotage unifié de quatre secteurs, à savoir l’hôpital, la médecine de ville, le médicosocial et la santé publique, à laquelle ont été associées les missions de veille et de sécurité sanitaires. Cet objectif de décloisonnement constitue bien la pierre angulaire de la création des ARS, chargées de prendre en charge de manière transversale et globale des politiques dont la mise en œuvre était auparavant dispersée.

En regroupant sept services ou organes préexistants, les ARS ont permis d’opérer une profonde simplification du paysage administratif français. Leur mise en place rapide, en moins d’une année, n’a pas entraîné de rupture dans l’exercice des missions, ce qui est en soi une réussite.

Pour autant, toutes les conséquences de la création de ces agences n’ont pas été tirées et certains bouleversements profonds, trop peu anticipés, expliquent aujourd’hui en partie les difficultés auxquelles les ARS peuvent être confrontées. Certes, ces structures sont encore jeunes. Aussi, sans remettre en cause l’esprit de la loi, en appelons-nous avant tout à une évolution des pratiques, afin que s’opère pleinement le basculement vers un nouveau mode de conception et de mise en œuvre des politiques de santé sur les territoires.

Beaucoup d’interrogations demeurent : notre collègue Alain Milon en soulèvera un certain nombre ; je me concentrerai pour ma part sur trois aspects.

Le premier a trait aux hommes et aux femmes qui travaillent au sein de ces agences. L’enjeu de la création des ARS était de parvenir à faire travailler ensemble des personnels de l’État et de l’assurance maladie aux habitudes et cultures professionnelles diverses. Difficile programme que de construire cette « maison commune » ! Y est-on parvenu ? Notre réponse est plus que nuancée, car la mise en place rapide, « à la hussarde » pourrait-on dire, des nouvelles agences semble avoir profondément marqué le climat social. Deux discours antagonistes coexistent : alors que la plupart des personnels de direction se disent enthousiastes d’exercer des missions rénovées au sein de structures administratives innovantes, nombreux sont les salariés qui expriment un malaise profond, tenant aux conditions de création des ARS et à leur mode de fonctionnement.

L’instauration d’un statut propre aux personnels des ARS avait été jugée prématurée au moment du vote de la loi HPST. Les agents ont donc été transférés tout en demeurant régis soit par le statut de la fonction publique d’État, soit par l’une des neuf conventions collectives applicables aux personnels de la sécurité sociale.

De ce fait, des différences de salaires ou d’organisation du temps de travail persistent entre personnels d’origines différentes, même lorsqu’ils exercent des missions équivalentes. Les marges de manœuvre des ARS pour réduire ces divergences et, plus largement, mener une politique de ressources humaines autonome sont fortement limitées par les règles relatives au statut de la fonction publique, d’une part, et par le cadre conventionnel, d’autre part. Ces difficultés cumulées sont sources de frustration, les différences de traitement entre agents étant perçues comme des inégalités. De surcroît, certains personnels, coupés de leur structure d’origine, peinent à percevoir leur intégration au sein des ARS comme une véritable chance en termes de carrière.

Le malaise est accentué pour les personnels dont les missions ont profondément évolué avec la création des ARS. Il s’agit en particulier des médecins et des pharmaciens inspecteurs de santé publique. Habitués à développer de façon autonome une expertise propre dans des domaines précis, ils sont aujourd’hui amenés à exercer des missions beaucoup plus transversales de conduite de projet. Tous les métiers des ARS sont touchés à un degré plus ou moins important par cette évolution qui reflète en réalité la logique même ayant présidé à la création des agences. Une mutation profonde est en cours dans la manière d’exercer les missions ; or les personnels, déjà affectés par le changement de structure, n’ont pas été préparés ou accompagnés dans cette voie.

Ces difficultés interviennent, en outre, dans une phase de réduction du plafond d’emplois qui conduit les ARS, à peine créées, à devoir faire mieux avec moins de moyens.

Une enquête a été lancée en 2011 pour mesurer le degré d’exposition des personnels aux risques psychosociaux. Ses résultats montrent clairement le mal-être, parfois la « perte de repères » d’un certain nombre de personnels. Si la création d’un statut propre aux ARS nous paraît devoir être étudiée, elle risquerait, dans l’immédiat, de déstabiliser encore plus des personnels qui demeurent très attachés à leurs structures d’origine.

Nous proposons donc, pour le moment, d’agir à partir de l’existant, de travailler de façon poussée à l’harmonisation des conditions de travail, d’engager une véritable politique de prévention des risques psychosociaux, de renforcer la formation des personnels et d’améliorer la fluidité des parcours, de faire vivre pleinement les institutions représentatives du personnel et de renforcer le rôle du comité national de concertation.

Ce sont autant de chantiers qui doivent permettre de renforcer la confiance des personnels : confiance dans l’institution pour laquelle ils travaillent, confiance dans leur capacité à exercer les missions qui leur sont confiées, confiance, enfin, dans leurs perspectives d’évolution professionnelle.

Les relations entre ARS et administration centrale et l’organisation du pilotage national sont un autre domaine dans lequel la confiance joue un rôle essentiel.

La loi HPST a prévu la création d’un conseil national de pilotage, le CNP. Celui-ci réunit tous les quinze jours les directeurs d’administration centrale, sous la présidence, en théorie, des ministres compétents, mais le plus souvent, en pratique, sous celle du secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales. Les directeurs des organismes de sécurité sociale étant associés à ses travaux, le CNP constitue potentiellement le creuset d’une coopération étroite entre l’État et l’assurance maladie.

Pour aller plus loin, nous recommandons que les agences sanitaires, par exemple la Haute Autorité de santé, la HAS, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, qui sont des autorités autonomes, voire indépendantes, puissent également participer au conseil national de pilotage. Cela permettra de renforcer la concertation et l’élaboration collective des politiques menées.

Nous insistons également pour que le CNP trouve pleinement sa place dans le pilotage des ARS. Pour le moment, il ne joue qu’un rôle de filtre entre celles-ci et les directions d’administration centrale, alors qu’il devrait, selon nous, jouer celui de catalyseur. Chaque administration continue de développer sa politique propre, sans véritablement se coordonner avec les autres, l’ensemble du processus donnant lieu à la diffusion auprès des ARS d’instructions qui sont non seulement très nombreuses – plus de 300 par an ! –, mais surtout trop prescriptives et détaillées. Ce fonctionnement en « tuyaux d’orgues » est contraire à la logique qui a présidé à la création des ARS et qui vise à assurer davantage de subsidiarité, en réorientant l’action des administrations centrales vers leurs missions stratégiques.

Pour que le CNP puisse pleinement jouer son rôle, la MECSS juge nécessaire de faire évoluer en parallèle le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales. Historiquement, celui-ci est chargé d’exercer des missions de support auprès des ministères sociaux, par exemple en matière de gestion des ressources humaines ou d’affaires juridiques et financières. La loi HPST lui a attribué en outre la fonction de pilotage des ARS. S’il est prévu qu’un chef de service soit spécifiquement chargé de cette mission nouvelle – il nous a été signifié récemment qu’il était en fonction –, il nous apparaît que celle-ci n’a que peu à voir avec les tâches traditionnelles du secrétariat général.

Pour remédier à cette situation, nous proposons la nomination ès qualités d’un secrétaire général à la santé et à l’autonomie, chargé de présider le conseil national de pilotage et disposant d’un pouvoir hiérarchique sur les directions « métiers » du ministère.

Toujours dans cette logique de subsidiarité, il nous paraît également nécessaire que les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens conclus entre chaque ARS et l’administration centrale puissent être recentrés sur des objectifs plus stratégiques et prenant davantage en compte les spécificités territoriales auxquelles sont confrontées les agences.

J’évoquerai maintenant le rôle confié au directeur général de l’ARS. Au cours des débats sur la loi HPST, celui-ci a été régulièrement qualifié de « préfet sanitaire ». L’expression est sans conteste excessive, mais elle peut néanmoins traduire en partie le sentiment que suscite une telle concentration de pouvoirs dans les mains d’une seule personne.

C’est en effet le directeur général de l’ARS, nommé par décret en conseil des ministres, qui assume seul l’essentiel des décisions relevant de son champ de compétences. S’il doit rendre compte de son action devant le conseil de surveillance et la conférence régionale de la santé et de l’autonomie, la CRSA, il n’est pleinement responsable que devant son ministre de tutelle, chargé d’évaluer chaque année son action sur le fondement des objectifs inscrits dans sa lettre de mission.

Une telle situation suscite des interrogations, voire des inquiétudes. Alors que la création des ARS devait constituer une étape nouvelle vers plus de subsidiarité, elle peut être paradoxalement vécue comme une forme de recentralisation d’un système qui continue d’apparaître rigide et hiérarchisé. Trop souvent, les jugements portés sur l’action globale de l’agence sont avant tout déterminés par l’analyse qui est faite de la personnalité de son directeur général.

Faut-il pour autant remettre en cause le rôle des directeurs généraux ? Ce n’est pas notre position.

Nous proposons cependant d’aller vers davantage de concertation interne et de transparence. Cela passe en premier lieu par une redéfinition du rôle des comités exécutifs, les COMEX, et des comités de direction, les CODIR, afin d’assurer une plus grande collégialité dans la prise de décision interne. La MECSS estime par ailleurs que la politique menée par l’agence serait bien plus lisible et compréhensible, et donc mieux acceptée, si la lettre de mission délivrée à chaque directeur général était rendue publique.

Une telle mesure n’aurait rien de révolutionnaire. La lettre de mission constitue bien, aux yeux de la MECSS, un document administratif auquel les citoyens ont le droit d’avoir accès. De surcroît, cette mesure présenterait l’intérêt, dans le contexte contraint de nos finances publiques, de montrer que l’action des directeurs généraux des ARS va bien au-delà de la seule maîtrise de la masse salariale et des enveloppes de financement.

Je subodore que les ministres concernés par cette recommandation de la MECSS l’accueilleront avec réticence pour de multiples raisons, tout à fait recevables mais dont il nous faudrait avoir le temps de discuter, ce qui ne sera pas le cas cet après-midi. Si je comprends ces raisons, je demeure persuadé qu’un surcroît de transparence ne peut que renforcer la confiance dans le système novateur que constituent les agences régionales de santé.

Ces quelques remarques sur le rôle du directeur général posent plus globalement la question de la gouvernance des ARS et des contre-pouvoirs qui peuvent s’y exercer, sujet qu’abordera notre collègue Alain Milon dans quelques instants.

Je terminerai mon intervention en insistant sur une idée qui constitue en quelque sorte le « fil rouge » de notre rapport. Derrière la gestion efficace et respectueuse des ressources humaines, derrière l’introduction de plus de subsidiarité dans la mise en œuvre des politiques sanitaire et médicosociale, derrière la construction de relations apaisées entre les directeurs généraux des ARS et leurs interlocuteurs, il n’y a qu’un seul mot : la confiance ; espérons que la prochaine loi de santé publique sera l’occasion de la renforcer. §

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