Intervention de Alain Milon

Réunion du 11 juin 2014 à 14h30
Débat sur les agences régionales de santé

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, Jacky Le Menn l’a souligné dans son intervention, le directeur général de l’ARS dispose de pouvoirs étendus. Une telle responsabilisation est pertinente à condition qu’elle soit accompagnée de contre-pouvoirs qui, sans bloquer l’action publique, permettent de peser sur les principales orientations de la politique de l’agence. Or ni le conseil de surveillance ni la conférence régionale de la santé et de l’autonomie ne sont parvenus à remplir ce rôle.

Composé de représentants de l’État, de l’assurance maladie, des collectivités territoriales, des associations d’usagers et de personnalités qualifiées, le conseil de surveillance est présidé de droit par le préfet de région. Ses compétences sont limitées. S’agissant du budget, il ne peut s’opposer à son adoption que si se dégage en son sein une majorité des deux tiers, ce qui est une hypothèse toute théorique dans la mesure où les représentants de l’État disposent d’un droit de vote triple leur permettant quasiment d’empêcher à eux seuls la réunion de cette majorité qualifiée. Nous proposons donc que le budget et les documents financiers de l’agence fassent l’objet d’une adoption à la majorité simple, quitte à prévoir une procédure de mise en œuvre exceptionnelle par le ministre en cas de blocage persistant.

En dehors de sa compétence budgétaire, le conseil de surveillance peut émettre des avis sur la politique de l’agence régionale de santé, mais dans un champ très limité. Il faudrait au contraire qu’il puisse se saisir de tout sujet entrant dans le champ de compétences de l’agence. De même, alors qu’il n’est actuellement saisi que du plan stratégique régional de santé, le PSRS, Jacky Le Menn et moi demandons qu’il puisse se prononcer sur l’ensemble des documents qui composent le projet régional de santé, le PRS.

Nous proposons également d’améliorer la composition du conseil de surveillance afin que soient mis en place quatre collèges – État, assurance maladie, collectivités territoriales, usagers et personnalités qualifiées –, comprenant un nombre égal de membres. Chaque membre ne serait doté que d’une voix et le président serait élu parmi les représentants des collectivités territoriales. De cette façon, il disposerait de la légitimité démocratique nécessaire pour peser pleinement à côté du directeur général. Cette solution permettrait de surcroît de replacer les élus au cœur de la concertation et de l’élaboration des politiques sanitaires et médicosociales.

Nous souhaitons en outre conférer à la démocratie sanitaire plus de force et d’indépendance. Notre pays est encore peu habitué à ce type de démarche, mais la loi HPST a donné à celle-ci une légitimité certaine en créant les conférences régionales de la santé et de l’autonomie. Composées de huit collèges, ces instances comportent un nombre de membres – entre 91 et 100 selon les régions – qui, s’il apparaît évidemment pléthorique, est également gage de diversité et de pluralisme.

Contrairement au conseil de surveillance, la CRSA dispose de compétences vastes. Elle peut notamment faire toute proposition au directeur général de l’ARS sur l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de la politique de santé dans la région. Elle a en outre pour mission d’organiser sur les territoires des débats publics sur les questions de santé de son choix.

Les CRSA ont dans un premier temps été largement mobilisées par les travaux liés à l’élaboration des projets régionaux de santé. Il s’agissait là d’un exercice nouveau et de grande ampleur, alors même qu’elles étaient en train de se mettre en place. Sont-elles parvenues à influer sur le contenu des PRS autrement qu’en invitant les ARS à s’engager dans des directions qu’elles étaient déjà prêtes à prendre ? Il est difficile d’avoir une évaluation précise sur ces questions, mais nous faisons malgré tout un bilan globalement satisfaisant et pour le moins encourageant de cet exercice inédit de démocratie sanitaire.

Certains points devront bien évidemment être revus. Les PRS, qui comportent un plan stratégique, trois schémas thématiques et un grand nombre de programmes, constituent des documents exhaustifs, mais particulièrement lourds – ils font souvent plus de 1 000 pages ! –, qui ne peuvent raisonnablement constituer, en l’état, des outils d’aide à la décision et d’accompagnement des ARS dans l’exercice quotidien de leurs missions.

Quant aux CRSA, il nous apparaît indispensable d’en faire véritablement les lieux privilégiés de la démocratie sanitaire. Pour cela, elles doivent disposer librement des moyens financiers d’organiser leurs travaux et les débats publics qu’elles sont chargées d’animer. Ces derniers sont des moments essentiels de cette vie démocratique que nous souhaitons développer, pour diffuser la culture sanitaire et médicosociale, mais surtout pour entendre les opinions de la population et connaître ses sentiments. Les agences régionales de santé doivent également laisser aux CRSA un temps suffisant entre la réception des documents, souvent volumineux et techniques, sur lesquels elles sont amenées à délibérer et l’adoption de leur avis.

Par ailleurs, il convient de s’interroger sur l’intérêt que présente l’existence, dans chaque territoire de santé, des conférences de territoire. Rien ne garantit la correcte articulation entre CRSA et conférences de territoire. En outre, l’existence de trop nombreuses instances risque de décourager les bénévoles qui choisissent de s’engager au service de la démocratie sanitaire. Il faut aller vers plus de rationalisation. C’est dans les territoires où il existe un contrat local de santé que les conférences de territoire revêtent tout leur intérêt. Au-delà, il nous apparaît préférable de rendre facultative leur constitution.

La démocratie sanitaire doit encore affirmer son rôle et les propositions que nous formulons vont dans ce sens, mais il convient également de ne pas oublier les élus locaux. Or, dans certaines régions, l’ARS apparaît beaucoup trop éloignée des réalités auxquelles font face les élus, et le dialogue reste difficile à établir.

Il faut donc fluidifier les relations quotidiennes et améliorer le partage d’informations. À ce titre, le rôle des délégations territoriales est essentiel. Elles constituent le maillon indispensable à la construction de relations de confiance entre élus et ARS, en particulier dans le secteur médicosocial, où les compétences des agences et des conseils généraux sont inextricablement liées.

J’en viens maintenant au champ de compétences des ARS et aux modalités d’exercice de leurs missions.

Jacky Le Menn l’a fort bien souligné, le champ de compétences des ARS est très large. Il nous semble malgré tout cohérent. L’extension au secteur médicosocial et à la médecine ambulatoire est indispensable dans une perspective d’organisation du système de santé autour du parcours du patient. De même, les missions de veille et de sécurité sanitaires, qui sont assez facilement « détachables » du cœur de compétence des agences, doivent malgré tout être conservées, à condition d’être correctement articulées avec les actions de prévention et de santé publique. Sur cette question du champ de compétences, c’est la stabilité qui doit primer.

En revanche, il est essentiel d’agir sur les modalités d’exercice des missions pour aller vers plus de simplicité et d’efficacité.

En premier lieu, certaines tâches purement administratives, notamment dans les domaines de la veille et de la sécurité sanitaires ou du contrôle des formations des professionnels de santé, doivent tout simplement être abandonnées. Les ARS ne doivent pas non plus chercher à élargir leur champ de compétences en s’immisçant dans la gestion des établissements. Comme vient de le souligner Jacky Le Menn, à partir du moment où nous demandons à l’administration centrale de développer une vision stratégique et non procédurière dans ses relations avec les agences, ces dernières doivent également « jouer le jeu » avec les acteurs locaux et faire confiance à leurs partenaires extérieurs.

De façon plus générale, nous nous sommes posé la question du niveau d’autonomie dévolu aux ARS. Après des débats nourris lors de l’élaboration de la loi HPST, le choix a été fait de confier aux agences la définition et la mise en œuvre d’actions concourant à la réalisation des objectifs de la politique nationale de santé. Il n’est donc pas question de politiques régionales, mais de la mise en œuvre au niveau régional d’une politique nationale. Comment, dès lors, définir le degré de liberté dont doivent disposer les ARS ? La réponse ne peut être que pragmatique et se décliner au cas par cas.

En matière de financements, les ARS disposent depuis 2012 d’un outil de fongibilité spécifique : le fonds d’intervention régional, le FIR. Celui-ci leur permet, dans certaines conditions, de réaffecter des crédits auparavant cloisonnés. Son champ porte sur des questions diverses, telles que la permanence des soins ou la modernisation des établissements de santé, et son montant a été porté à un peu plus de 3 milliards d’euros en 2013.

Faut-il aller plus loin et, si oui, comment ? La création d’objectifs régionaux des dépenses d’assurance maladie, les ORDAM, pourrait-elle constituer une réforme pertinente ? Donner plus de marges de manœuvre aux ARS signifie-t-il fixer des tarifs hospitaliers, des prix des médicaments ou des honoraires médicaux différents selon les régions ? Pour le moment, les esprits ne nous semblent pas prêts à accepter que nous nous engagions sur cette voie.

En ce qui concerne le FIR, nous proposons de stabiliser son champ pour prendre le temps d’évaluer pleinement les opportunités pouvant être dégagées. Sur le plan technique, il nous semblerait moins coûteux et plus efficace de transférer complètement la gestion des crédits aux ARS. Enfin, il est nécessaire de donner au FIR une perspective pluriannuelle.

Madame la ministre, le dernier point de mon intervention porte sur la dichotomie persistante entre l’assurance maladie et l’État, vaste question s’il en est, que nous aurons l’occasion d’aborder plus profondément au cours des débats à venir sur le projet de loi de santé publique.

La loi HPST a introduit un partage des responsabilités entre l’assurance maladie et les ARS en matière de gestion du risque. Cette politique est aujourd’hui indispensable pour assurer une maîtrise qualitative et efficace des dépenses d’assurance maladie. Toutefois, si les efforts de coordination existent, nous regrettons le caractère encore trop éparpillé et technocratique de cette politique, ainsi que le manque de cohérence dans la répartition des rôles entre l’État et l’assurance maladie. Il faut aller vers plus de clarté et faciliter l’accès des ARS aux données de santé. Cela n’empêche pas la prudence ; le législateur devra bien sûr fixer un cadre sécurisé et protecteur des libertés publiques.

Au-delà de cet exemple, se pose la question de la régulation des soins de ville. Une répartition des rôles s’est historiquement imposée en France : l’État régule le secteur hospitalier, l’assurance maladie régule le secteur ambulatoire. De ce fait, les ARS disposent de très peu d’outils pour organiser le volet « soins de ville » du système de santé. Or cette dichotomie n’est plus acceptable au moment où la mise en place de parcours de santé est devenue indispensable, non seulement pour maîtriser les dépenses d’assurance maladie, mais aussi, et surtout, pour améliorer la qualité de la prise en charge et le bien-être des patients. Nous proposons donc d’engager une réflexion sur les modalités selon lesquelles pourraient être dégagées, par les conventions signées entre l’assurance maladie et les professionnels de santé, des enveloppes financières, hors tarifs et honoraires, qui puissent être à la disposition des ARS.

Voilà, madame la ministre, mes chers collègues, l’essentiel des réflexions que Jacky Le Menn et moi-même souhaitions vous présenter aujourd’hui au nom de la MECSS. En créant les ARS, la loi HPST a engagé une réforme profonde de l’organisation de notre système de santé. Il s’agit aujourd’hui d’en tirer toutes les conséquences, en faisant davantage confiance aux acteurs de terrain et en tranchant clairement la question du partage des responsabilités entre l’État et l’assurance maladie. §

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