Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chers collègues, c’est avec un grand intérêt que j’ai pris connaissance du rapport sur les agences régionales de santé rédigé par Jacky Le Menn et Alain Milon au nom de la MECSS et de la commission des affaires sociales.
Les mesures nouvelles que nous votons font en effet trop peu souvent l’objet d’évaluations, or la création des agences régionales de santé fut une réforme d’ampleur inédite, qui fait encore beaucoup débat sur le terrain aujourd’hui.
Au cours de mes déplacements et de mes rencontres avec divers types d’acteurs de la santé, j’entends en effet souvent affirmer, dès que nous abordons une difficulté à laquelle il faut faire face, que les ARS et leur fonctionnement sont en cause. Manque de démocratie, démarrage difficile, éloignement du terrain, technocratie, cloisonnement, manque de moyens : la réputation des ARS souffre, même si elles ne doivent pas, pour autant, devenir les boucs émissaires pour toutes les difficultés du système de santé.
Ce rapport a le mérite de dresser un bilan objectif et sans concession de l’installation des ARS : mise en œuvre « à la hussarde » de la réforme, dysfonctionnements dans le pilotage national, coordination insuffisante de plusieurs administrations qui continuent de travailler « en tuyaux d’orgues », contre-pouvoirs externes trop limités, sentiment de malaise profond chez les personnels… Le constat est sévère !
Partageant ce dernier, je souscris à la plupart des propositions énoncées par les rapporteurs pour y remédier. Certaines me paraissent vraiment essentielles, comme celles de renforcer les moyens d’action des ARS en matière d’organisation des soins de ville, de démocratiser le conseil de surveillance ou encore de consolider le FIR.
Revoir, comme le préconise le rapport, les modalités d’exercice des missions dans une logique d’accompagnement et d’appui des acteurs plutôt que de contrôle tatillon, voire écrasant et décourageant, est également indispensable.
Pour prolonger la réflexion, je souhaite aujourd’hui partager avec vous quelques analyses et propositions que j’ai moi-même formulées dans le rapport sur l’accès aux soins des plus démunis que j’ai remis au Premier ministre en septembre dernier.
Tout d’abord, il m’est apparu, au fil des auditions que j’ai menées, qu’au-delà du constat dressé depuis des années, rapport après rapport, de l’existence d’obstacles à la mise en œuvre de parcours de soins coordonnés et fluides, au-delà des espoirs importants placés dans la création des agences régionales de santé pour y remédier, un cloisonnement persistant et parfois dramatique demeure entre les champs sanitaire et social, rendant difficile la prise en charge globale des personnes et entraînant une discontinuité des interventions particulièrement défavorable aux personnes les plus fragiles, celles qui, précisément, ne disposent pas des ressources permettant de pallier les incohérences et les manques du système.
Si les objectifs d’offrir des parcours de soins coordonnés et une prise en charge globale ont déjà largement irrigué les formations initiales des professionnels concernés, les choses évoluent beaucoup moins vite s’agissant de l’exercice de leurs métiers respectifs.
Les professionnels du secteur social savent que santé et social sont étroitement imbriqués, mais ils avouent se trouver vite démunis face aux problèmes d’ordre médical ou sanitaire, tels que l’alcoolisme ou autres addictions, les carences et la malnutrition, les souffrances psychiques.
Les professionnels du monde sanitaire ont, quant à eux, conscience de l’impact des éléments sociaux, tels que l’emploi, le logement, la famille, la vie de couple, l’isolement, sur la santé physique et mentale des patients. Toutefois, très peu formés à ces problématiques, ils se sentent sollicités au-delà de leur rôle et sont plutôt à la recherche de relais sociaux, à l’image de ces médecins déclarant qu’ils ne sont pas des assistantes sociales et s’interrogeant sur le moment où le soin doit s’effacer derrière la prise en charge sociale.
Les ARS disposent en théorie des outils leur permettant de surmonter ce cloisonnement, au travers notamment de deux éléments du projet régional de santé : les programmes régionaux d’accès la prévention et aux soins des plus démunis, les PRAPS, d’une part, et les schémas régionaux d’organisation médicosociale, les SROMS, d’autre part. Or, sur le terrain, la situation n’évolue que très lentement, et les acteurs rencontrés déplorent plutôt la disparition de leurs interlocuteurs habituels des anciennes directions départementales de l’action sanitaire et sociale et leur remplacement par des chargés de mission intervenant sur des thématiques précises par le biais d’appels à projets vécus comme rigides et verticaux.
Au-delà de cet exemple, c’est toute une gouvernance territoriale qui doit achever sa mutation. Il faut également déterminer quel avenir et quelle orientation donner aux conférences territoriales. Il y a urgence.
Les axes d’amélioration portent, d’une part, sur le mode de fonctionnement des ARS, et, d’autre part, sur l’articulation avec les initiatives des collectivités territoriales de la politique mise en œuvre par les ARS.
Sur le premier point, si chacun s’accorde à saluer le travail accompli pour élaborer les différents schémas et programmes sur un mode participatif, tout comme la qualité des documents qui en résultent, beaucoup voient en eux des « cathédrales » empilant des objectifs théoriques et, finalement, assez peu précis quant à leur déclinaison pratique. À cet égard, je citerai une expression souvent employée par le responsable d’un réseau de grande taille de la région d’Île-de-France : « Et maintenant, on fait comment ? » C’est ce maillon, me semble-t-il, qui manque dans la chaîne.
En termes de méthode de mise en œuvre, précisément, la loi de juillet 2009 a fait de l’appel à projets une procédure quasiment incontournable en matière sociale et médicosociale ; nombreux sont les porteurs de projet qui indiquent souffrir d’un système « descendant », dirigiste même, que les ARS ont la responsabilité d’animer. De fait, l’utilisation systématique de l’appel à projets ne favorise pas la créativité sociale ni l’émergence de réponses innovantes, et risque d’amener une standardisation des réponses apportées. Or les acteurs de terrain, qu’ils soient issus du monde associatif ou du monde professionnel, revendiquent de façon légitime un savoir-faire en matière de détection des besoins non satisfaits et de construction de solutions innovantes, bien en amont des évolutions de la réglementation. Je pourrais citer plusieurs exemples à cet égard, en termes d’approche transversale dans la lutte contre le cumul des inégalités en matière d’accès aux droits, de santé communautaire ou d’implication des patients.
Sur le second point, les ARS ont fort à faire pour articuler leur action avec les multiples initiatives des collectivités territoriales, dont il convient de souligner au passage le grand dynamisme. Celui-ci s’exprime, par exemple, dans le choix fait par plusieurs grandes régions d’intervenir, en dehors de leur champ traditionnel de compétence, sur des sujets tels que la prévention, l’aide aux étudiants boursiers, le soutien à l’installation des jeunes médecins ou l’appui au montage des projets de maisons de santé. À cela s’ajoute le dynamisme des municipalités et des agglomérations, qui multiplient également les initiatives.
Madame la ministre, nous espérons que la prochaine loi de santé publique nous permettra d’avancer sur tous ces sujets. §