Intervention de Jean-Claude Lenoir

Réunion du 11 juin 2014 à 14h30
Débat sur les agences régionales de santé

Photo de Jean-Claude LenoirJean-Claude Lenoir :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à féliciter nos collègues Jacky Le Menn et Alain Milon, qui ont produit un rapport extrêmement intéressant.

Le travail que vous avez mené, chers collègues, l’a été de manière très ouverte : vous avez rencontré de nombreux interlocuteurs et la masse de documents que vous avez réunie dans ce rapport est particulièrement éclairante quant à la place, au rôle et au devenir des agences régionales de santé.

Notre collègue Jacques Mézard a estimé que le titre de ce rapport était révélateur de son contenu, mais il n’a repris qu’une partie de ce titre, celle qui évoque un « déficit de confiance ». Or le début de l’intitulé qualifie les ARS d’« innovation majeure ».

D’entrée de jeu, j’indiquerai que mon propos visera à souligner les points positifs de la vaste réforme qui a été engagée. Il faut d’ailleurs rappeler un fait que le rapport mentionne de manière trop succincte : cette réforme a été menée à partir d’une première étape qui a consisté en la création des agences régionales d’hospitalisation, les ARH. Cette création était l’un des points importants du plan Juppé de 1996.

La mise en place des directeurs d’ARH avait suscité une très forte inquiétude chez les élus de nos territoires. J’étais à l’époque président du conseil d’administration du centre hospitalier de ma ville, et je me souviens que l’annonce de la venue de ce directeur général nous avait plutôt alarmés. Son arrivée avait donné lieu à une sorte de cérémonie montrant combien nous respections sa fonction, mais nous avons compris, lorsqu’il est reparti, qu’il était un rouage essentiel et pouvait jouer un rôle très positif sur nos territoires.

Le rapport souligne trois points importants, rappelés tout à l’heure par Jacky Le Menn.

Premièrement, la création des ARS visait à renforcer l’efficience de notre dispositif de soins. En effet, chacun est conscient que les politiques de santé ont un coût et que la recherche de l’efficience est sûrement le meilleur moyen de maintenir les budgets dans des limites supportables.

Deuxièmement, la réforme renforçait la territorialisation. Il n’y a pas un membre de cette assemblée qui puisse contester l’intérêt de la présence de représentants de l’autorité publique sur un territoire plus restreint que le territoire national. Fouillant dans ma mémoire, je me souviens des rendez-vous compliqués que nous avions, au ministère de la santé, avec des fonctionnaires éminents devant lesquels nous devions plaider tel ou tel dossier relatif à un établissement auquel nous tenions. Aujourd’hui, les circuits sont plus courts et il faut s’en féliciter.

Troisièmement, cette réforme a opéré un décloisonnement des financements. La démonstration en a été faite ; je m’y rallie bien volontiers.

Cela dit, que faut-il penser du fonctionnement et du devenir des agences régionales de santé ?

Tout d’abord, la réussite d’une ARS doit beaucoup à la qualité de la personne qui en est le directeur général. Mon expérience personnelle influence sans doute mon opinion dans un sens que mes collègues n’approuveront peut-être pas tous, mais je dois avouer que j’ai connu d’excellents directeurs généraux – le dernier est parti trop vite, madame la ministre, mais on ne peut pas refuser des promotions ; quoi qu’il en soit, je suis certain que son successeur fera aussi bien !

Quelle est la clé du succès ? C’est tout simplement le lien étroit établi entre l’autorité publique et les élus. Souvent, je le dis sans fard, les élus locaux sont pour partie jugés sur leur capacité à permettre à leur établissement hospitalier de bien fonctionner : si celui-ci connaît des difficultés, s’il est en déficit, si un service doit être remis en cause, c’est davantage l’élu que le directeur de l’établissement qui fera l’objet de sévères critiques de la part de la population. Or nous avons aujourd’hui un lien de confiance avec le directeur général. L’expression « déficit de confiance », qui a été utilisée dans un sens précis, visant la confiance à l’intérieur du système, ne doit donc pas nous tromper sur une réalité : le lien de confiance avec les élus existe.

Évidemment, le directeur général est une autorité importante dans la région, quelle que soit sa personnalité. Au moment de la discussion de la loi HPST, on avait qualifié les directeurs généraux des ARS de « superpréfets ». Les préfets se sont d’ailleurs inquiétés de voir arriver ces personnages nouveaux dans le paysage administratif.

Aujourd’hui, l’autorité des directeurs généraux doit continuer à s’affirmer. Pour cela, madame la ministre, il faut prendre en compte le décalage existant entre l’action transversale d’un directeur général d’ARS sur le terrain et l’organisation du ministère. Sur ce point, je souscris entièrement à la proposition du rapport consistant à rendre plus cohérentes les actions des ministères concernés, afin que le directeur général de l’ARS qui hérite de la totalité de leurs prérogatives sur le territoire puisse travailler également en cohérence.

Par ailleurs, il est important de rappeler qu’il appartient aux pouvoirs publics, en particulier au Gouvernement, de fixer les orientations stratégiques en matière de santé. Le directeur général de l’ARS, quelles que soient ses qualités, est appelé quant à lui à décliner ces orientations. Il est vrai que, du fait de sa proximité du terrain, le directeur général est amené à faire remonter un certain nombre de projets et de requêtes et à s’impliquer lui-même dans ces projets. Il est cependant utile de rappeler que le Gouvernement doit fixer les orientations stratégiques, fonction pour laquelle il a toute légitimité.

Ensuite, il faut faire en sorte que tous les moyens soient donnés au directeur général. Je sais qu’un certain nombre d’entre eux estiment que la gestion des crédits de l’assurance maladie devrait être transférée aux agences régionales de santé, et je pense que ce point de vue doit être affirmé. Les ARS doivent également disposer de moyens humains qui leur permettent d’assumer leurs fonctions.

De ce point de vue, madame la ministre, nous ne pouvons que nous faire l’écho d’une forte interrogation par rapport à la réforme territoriale. Je viens d’une région modeste, la Basse-Normandie, sur laquelle les feux de l’actualité se sont dirigés à la fin de la semaine dernière et qui va rejoindre sa sœur jumelle, la Haute-Normandie. Ce mariage consanguin nous convient parfaitement. Cependant, je vois se dessiner à côté des régions extrêmement vastes, par exemple avec la fusion annoncée des régions Centre, Limousin et Poitou-Charentes. Le directeur général de l’ARS de cette future région sera-t-il en mesure de répondre aux attentes des élus aussi bien que ses collègues l’ont fait jusqu’à présent, y compris dans votre région, madame la ministre ? La question mérite d’être posée. Pour ma part, je ne suis absolument pas convaincu que la réponse soit positive.

Enfin, le directeur général de l’ARS doit pouvoir s’appuyer sur un conseil de surveillance élargi. La proposition a été faite dans le document qui nous a été présenté. Il est vrai qu’il faut « démocratiser » – le mot a été utilisé – les procédures et les lieux de rencontre entre les différents acteurs, parmi lesquels figurent les élus. Ceux-ci revendiquent non pas une responsabilité dans le domaine de la gestion, mais une participation à la prise de décision. De ce point de vue, les directeurs généraux d’ARS, quand ils ont su le faire, ont conclu des contrats locaux de santé avec les territoires qui permettent aux élus de disposer, pour les années qui suivent, d’orientations pratiques à mettre en œuvre. Ces contrats locaux me paraissent très pertinents ; il faut les maintenir.

Une autre question se pose à l’intérieur du territoire des ARS : celle de l’articulation des conférences régionales de la santé et de l’autonomie avec les conférences de territoire. La cohérence entre ces deux instances n’est pas assurée et on peut même se demander si les conférences de territoire ont encore un sens au regard de l’objectif de cohérence des différentes initiatives prises dans une région.

Telles sont les observations que je souhaitais formuler à cette tribune, madame la ministre. Le devoir de l’amitié m’impose d’évoquer devant vous une question soulevée par un de nos collègues, vice-président de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours, la CNIS. Une coordination est nécessaire entre tous les acteurs, qu’il s’agisse des ambulanciers, des pompiers, etc. La CNIS a donc envoyé un certain nombre de questionnaires : aucune réponse ne lui est parvenue des centres départementaux d’incendie et de secours, paraît-il sur consigne très stricte des pouvoirs publics, au motif que le ministère de l’intérieur s’occuperait de ces questions. Or l’objectif de cette démarche était uniquement d’améliorer la coordination. Je vous signale donc ce problème, car un vif mécontentement s’est exprimé au sein de la CNIS, y compris à la suite d’une intervention de votre part lors d’une conférence avec les urgentistes, où vous n’auriez pas abordé cette question. Mon collègue m’a demandé d’évoquer ce sujet à la tribune, mais vous n’êtes pas obligée de répondre tout de suite.

Enfin, madame la ministre, puisque mon temps de parole a expiré, je me limiterai à vous recommander d’être présente dans les débats sur la réforme territoriale. En effet, les propos plutôt positifs – et tout à fait sincères – que j’ai tenus aujourd’hui sur la façon dont la politique de santé est organisée sur les territoires risquent d’être battus en brèche par les dégâts résultant de l’élargissement sans fin des territoires régionaux !

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