Intervention de Jacques-Bernard Magner

Réunion du 11 juin 2014 à 21h30
Débat sur les écoles supérieures du professorat et de l'éducation

Photo de Jacques-Bernard MagnerJacques-Bernard Magner :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre mission d’information a été constituée mi-novembre 2013, soit un peu moins de deux mois après la création effective des ESPE à la rentrée universitaire.

L’objectif de nos travaux était clair : suivre pas à pas la première année de mise en œuvre de la réforme et faire un bilan d’étape. Nous sommes encore au milieu du gué, et ce n’est qu’au cours de l’année scolaire prochaine que le nouveau parcours de formation des enseignants sera entièrement installé.

Créées en lieu et place des anciens instituts universitaires de formation des maîtres, en application de la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, ces nouvelles structures doivent remplir un double objectif : d’une part, parachever l’« universitarisation » de la formation des enseignants après l’intégration des IUFM aux universités en 2008 et la « masterisation » en 2010 ; d’autre part, reprofessionnaliser fortement un parcours de formation qui avait pâti de la suppression de l’année de stage. À cette fin, la seconde année de master sera pleinement consacrée à la formation par alternance, en offrant aux lauréats du concours présenté en fin de master 1 une formation théorique et didactique conjuguée à un mi-temps en responsabilité devant des élèves.

La réforme a été mise en œuvre à marche accélérée : les discussions ont été entamées dès décembre 2012 au sein de chaque académie autour du projet d’ESPE, et ce malgré l’absence de cadre législatif et réglementaire définitif.

Dans un contexte initial incertain, les différentes parties prenantes ont exprimé des inquiétudes légitimes. Quand les présidents des universités intégratrices s’interrogeaient sur la capacité de leur établissement à mettre en œuvre une réforme ambitieuse dans un cadre budgétaire contraint, un certain nombre d’universitaires se montraient sceptiques sur l’universitarisation effective de la formation des enseignants et sur la place accordée à la recherche, compte tenu du poids de l’alternance en master 2 et du positionnement du concours en fin de master 1.

Dans le même temps, les étudiants demandaient en priorité à disposer en master 1 d’une préparation solide aux concours, ce qui explique leurs craintes quant à la diminution du nombre d’heures de formation ou au rétrécissement des budgets de fonctionnement des ESPE par rapport à ceux des anciens IUFM.

La mise en place des ESPE a fait l’objet d’un pilotage et d’un suivi interministériels. Cette coresponsabilité est incontournable : il n’était à l’évidence plus possible de raisonner comme si l’employeur qu’est l’éducation nationale demeurait coupé du suivi et du contrôle de la mise en place des ESPE et de la cohérence du contenu des formations de master assuré par le ministère de l’enseignement supérieur.

La création des ESPE coïncide avec une recomposition majeure du paysage universitaire initiée par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Les inquiétudes et les tensions doivent se comprendre sur cette toile de fond.

On peut dire que les dossiers d’accréditation ont été de qualité inégale : environ un tiers de projets aboutis, un tiers de projets s’inscrivant dans une situation intermédiaire et appelant des ajustements et un dernier tiers de projets problématiques, manquant de maturité, les ESPE se résumant bien souvent à des coquilles vides, sans réelle maîtrise du contenu ou de l’organisation des formations.

Trente ESPE ont été accréditées par arrêté ministériel le 30 août 2013. L’ensemble des écoles ainsi créées a été accrédité à compter du 1er septembre 2013 pour une durée équivalente au contrat quinquennal en cours d’exécution liant l’université intégratrice à l’État ou bien, si celui-ci arrivait à échéance dans l’année, pour une durée équivalente au prochain contrat en cours de préparation.

Parmi les trente ESPE accréditées, quatre ont été expressément habilitées à ne délivrer les quatre mentions du master MEEF – métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation – que pour une durée d’un an, jusqu’au 31 août 2014.

Les trois ESPE des académies de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique font, pour leur part, l’objet d’un accompagnement spécifique pendant la première année suivant leur création.

Le début de l’année 2013-2014 a été consacré à l’installation, dans chaque ESPE, des trois instances de gouvernance prévues par la loi : le conseil de l’école, le conseil d’orientation scientifique et pédagogique et le directeur. La définition des corps électoraux a été très délicate en raison de conflits d’interprétation des textes. Les modalités d’application pratique de la parité se sont révélées très complexes dans les secteurs où la répartition entre sexes est traditionnellement déséquilibrée.

Les conseils d’école, pour la plupart constitués à la fin de l’année dernière, ont ensuite examiné les candidatures au poste de directeur. Ils ont transmis aux ministres de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale leurs propositions de nomination.

Au printemps 2014 s’est achevée la mise en place structurelle des ESPE et de leurs organes de gouvernance, au terme d’un processus rapide et globalement fluide, malgré la complexité des opérations à mener.

L’ESPE nouvelle n’est pas simplement une construction juridique et administrative chargée de fédérer diverses formations. Elle doit devenir un lieu de dépassement des anciennes contradictions idéologiques entre les IUFM et les universités. Pour cela, il faut travailler à bâtir un esprit d’école que chacun partage au-delà des métiers, des cultures et des pratiques administratives.

Or l’intégration des ESPE dans le tissu universitaire est variable selon les académies. Des régimes très différents d’interaction prévalent d’une académie à l’autre selon l’importance de l’IUFM par le passé et selon la force des universités. D’un côté, la masterisation a définitivement placé les universités dans une situation de force ; de l’autre, des IUFM très actifs, bien dotés par le passé et porteurs d’une culture d’autonomie très forte, tentent de se perpétuer dans les nouvelles ESPE. Une certaine inertie historique prolonge les tensions anciennes.

À l’inverse, dans certaines universités, les UFR, les unités de formation et de recherche, travaillent déjà en bonne intelligence avec les ESPE, au service du projet commun. L’antériorité de la collaboration et du dialogue entre l’IUFM et les universitaires est un facteur important de facilitation de la réforme, comme c’est le cas dans l’académie de Clermont-Ferrand.

On le constate, le succès de la réforme dépend de la qualité de la coopération entre les ESPE et les autres composantes universitaires, afin de conjuguer les dimensions professionnelles et académiques et de développer simultanément les compétences pédagogiques, didactiques et disciplinaires. Sans apport véritable des travaux de recherche et sans participation suffisante aux modules transversaux à vocation professionnalisante, la contribution des UFR se limiterait trop souvent à une préparation académique aux concours.

L’émergence d’une culture d’école requerra surtout l’effacement de la dichotomie inscrite dans les parcours de formation des enseignants du premier et du second degré. C’est par l’établissement de véritables troncs communs de formation au sein des maquettes que l’on parviendra à développer une culture professionnelle partagée entre le primaire et le secondaire. L’enquête réalisée entre décembre 2013 et janvier 2014 par le bureau de liaison du réseau des ESPE révèle ainsi que deux tiers des écoles ont mis en place un tronc commun. Dans 44 % des cas, le tronc commun permet un mélange des étudiants des mentions « premier degré », « second degré » et « encadrement éducatif » du master MEEF. Elle indique également que 17 % en moyenne du temps de formation est consacré au tronc commun, avec une prédominance de travaux dirigés.

Les ESPE doivent en outre relever le défi de la présence effective, au sein des équipes pluricatégorielles, de formateurs professionnels venus du terrain. L’erreur à ne pas commettre, c’est de recruter des « formateurs de terrain hors sol », qui n’auraient plus de liens réels avec les élèves. On peut irriguer les formations de l’ESPE et leur apporter son expérience sans faire partie de son personnel permanent. La solution déjà pratiquée dans les IUFM, notamment grâce aux professeurs des écoles maîtres formateurs, les PEMF, ou à des dispositifs d’affectation partielle à l’année d’enseignants du second degré, doit être poursuivie et enrichie.

Le ministère de l’éducation a engagé une réflexion sur la constitution d’un vivier renouvelé de professeurs formateurs académiques, les PFA, pour le second degré, disposant d’un statut et de missions propres, calqués sur celui des PEMF.

Par ailleurs, de la même manière qu’enseigner est un métier qui s’apprend, former est aussi un métier qui s’apprend. Il semble nécessaire de faire accéder au niveau du master davantage de formateurs.

En matière de positionnement de l’ESPE par rapport à l’offre universitaire territoriale, on distingue principalement les cas de figure suivants : trois ESPE ont d’ores et déjà été constituées en composantes d’une COMUE, une communauté d’universités et d’établissements ; quatre ESPE ont été constituées en composantes d’une « grande université », résultant d’une fusion d’établissements ; neuf ESPE ont été constituées en composantes de l’université qui accueillait historiquement en son sein l’IUFM, mais qui est, d’ores et déjà, partie prenante d’une COMUE académique ; enfin, dix ESPE ont été constituées en composantes d’universités parties prenantes à des COMUE interacadémiques.

L’élévation de l’ESPE au rang de composante de la COMUE constitue la solution la plus pertinente à terme, dans le cas de COMUE rassemblant des universités situées sur un territoire homogène ou servant de tremplin à une future fusion d’établissements, une fois que le projet pédagogique et scientifique aura été suffisamment mûri et que les coopérations entre établissements auront été consolidées.

D’une façon générale, afin de permettre aux ESPE de disposer d’une vision consolidée de leurs besoins, pour la construction d’un budget de projet solide et cohérent, il convient, dans un premier temps, de clarifier les conditions d’inscription des étudiants aux parcours de formation des enseignants. À cet égard, une centralisation de l’inscription pédagogique de l’ensemble de ces étudiants au niveau de l’ESPE, complétée par une inscription administrative à l’UFR partenaire concernée, semble incontournable.

Dans la mise en place des ESPE, la question des moyens est cruciale. Aux termes de la loi de refondation de l’école, chaque ESPE dispose d’un budget propre intégré au budget de l’établissement public dont elle fait partie. Il est précisé que les ministres compétents ont la faculté de flécher, au profit de l’ESPE, et au sein de la dotation globale attribuée aux universités, les moyens humains et financiers qu’ils estiment nécessaires pour assurer une politique de formation des enseignants de qualité. Il apparaît que cette faculté de fléchage n’a pas été formellement exercée par les ministres, mais il n’est pas exclu qu’il soit nécessaire d’y recourir dans certains cas. La DGESIP, la direction générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle, a confirmé le principe de sanctuarisation des supports budgétaires des postes lors de la transformation de l’IUFM en ESPE. Ce principe a néanmoins été diversement respecté selon les établissements lors de la mise en œuvre du droit d’option des personnels.

Afin de surmonter ces difficultés et d’assurer un financement soutenable de l’ESPE, l’établissement d’un contrat d’objectifs et de moyens entre la composante, l’université intégratrice, les établissements partenaires et le rectorat est incontournable.

En ce qui concerne l’organisation des maquettes de formation, seule l’année de master 1 est mise en place, et les discussions sur l’année de master 2 continuent dans chaque ESPE.

Le positionnement du concours à la fin de la première année de master pose la question de la prise en charge en master 2 des candidats non admissibles au concours, ceux qu’on appelle les « reçus-collés ». Dans ces conditions, certains responsables d’ESPE étudient différentes options à proposer aux étudiants ayant validé leur master 1 et qui ne sont pas lauréats du concours. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une « prépa concours » intensive, suivie en master 1 pour ceux qui souhaitent présenter de nouveau le concours. Il est également question d’un parcours « en Y » en master 2. Ce parcours comporterait une première « branche » pour les lauréats du concours en master 2, ce qui correspond à la vocation même du master MEEF, à travers la mise en œuvre du principe d’alternance intégrative. La seconde « branche » consisterait à offrir une réorientation sur un ou deux semestres à des effectifs réduits de candidats non admissibles vers des métiers autres que l’enseignement, mais toujours centrés sur la formation et l’éducation, comme la médiation scientifique, les métiers d’animateur, d’éducateur ou d’intervenant en activités périscolaires.

S’agissant du contenu des maquettes de formation, la loi pour la refondation de l’école établit un certain nombre de prescriptions concernant les nouveaux champs de formation, auxquels les futurs enseignants doivent être solidement préparés. Mme la présidente de la commission de la culture y faisait référence il y a un instant, il s’agit notamment de la résolution pacifique des conflits, de la sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations et à la scolarisation des élèves en situation de handicap. Il s’agit également de la préparation des enseignants à l’entrée dans les apprentissages et à la prise en compte de la difficulté scolaire dans le contenu des enseignements et la démarche d’apprentissage.

Ces thèmes font partie du tronc commun de formation dispensé à l’ensemble des étudiants se destinant aux métiers du professorat et de l’éducation. À cet égard, le collectif des associations partenaires de l’école publique rappelle l’apport significatif de l’expérience et du regard particulier des associations culturelles, artistiques et d’éducation populaire dans ces différents domaines.

Sur proposition de la présidente de la mission d’information, Colette Mélot, il semble également tout à fait indispensable d’appeler au développement de l’éducation à l’Europe, à son histoire, à sa diversité culturelle et à la notion de citoyenneté européenne. Le renforcement de l’éducation à l’image, au cinéma, à internet et aux réseaux sociaux est également incontournable. La formation à la laïcité ainsi qu’à la morale laïque est également un élément majeur des contenus.

Quant à la formation aux outils et ressources numériques, elle constitue l’autre défi majeur des parcours mis en place par les ESPE. Les ESPE des académies de Clermont-Ferrand et de Créteil sont en pointe sur ce sujet. Rappelons également, et je sais Mme la secrétaire d'État particulièrement sensible à ce point, que les MOOC, les Massive Open Online Courses, …

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