Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis, vous le savez, particulièrement préoccupée par la question de la formation des enseignants. Elle constitue en effet un des leviers pour relancer le processus de démocratisation scolaire.
Une telle question renvoie à la qualité même des enseignements que les élèves reçoivent et à la capacité des enseignants à remplir les missions ambitieuses qui leur sont assignées : dispenser des savoirs et former des citoyens émancipés. J’ai d’ailleurs rédigé un rapport sur ce thème en 2012, intitulé Le métier d’enseignant au cœur d’une ambition émancipatrice. J’y dressais le bilan catastrophique de la masterisation : la déstabilisation qu’elle engendre, l’atomisation de la formation initiale et l’accentuation de la crise de recrutement, du fait notamment d’une perte d’attractivité du métier, dans un contexte de suppressions de postes massives.
Cumulant préparation du concours, validation du master, rédaction d’un mémoire et réalisation de stages sur deux ans, les étudiants devaient faire face à un emploi du temps bien trop chargé, qui ne leur permettait au final ni d’être bien préparés au métier ni d’augmenter leurs chances de réussite au concours. Il était donc indispensable de reconstruire une formation, d’autant que notre société est confrontée à des savoirs de plus en plus complexes, répondant à deux objectifs.
Premier objectif : considérer que le métier d’enseignant est un métier de concepteur, et non d’exécutant. Cela implique de concevoir une formation fondée sur l’idée qu’il faut « apprendre à apprendre » et savoir appréhender les mécanismes de l’échec scolaire pour les déconstruire en classe.
Deuxième objectif : faire face à la pénurie toujours plus criante de vocation et endiguer cette crise majeure de recrutement en reconstituant un vivier par une attractivité du métier renouvelée.
Tels étaient bien les enjeux portés par la loi de refondation de l’école, avec la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Le rapport de notre collègue Jacques-Bernard Magner, dont je salue le travail, dresse un premier bilan de l’entrée en vigueur du dispositif des ESPE.
Ces écoles ont été mises en place dans des délais extrêmement brefs – le rapport le souligne –, dans un paysage universitaire en profonde mutation, lié à la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui bouleverse l’organisation des universités, et dans un contexte budgétaire très fortement dégradé, conséquence de l’autonomie des universités.
Le rapport dresse un premier bilan et pointe des difficultés d’ordre structurel.
Il nous semble que ces difficultés, si elles ont certes bien à voir avec la complexité de la structure à bâtir, interrogent aussi sur le contenu même de la réforme de la formation, au regard des défis identifiés. C’est sur ce point que nous devons demeurer extrêmement vigilants. Pourquoi ?
Premièrement, la crise du recrutement perdure. Les résultats du concours exceptionnel en témoignent : plus de 1 800 postes ne sont pas pourvus, dont 743 dans le premier degré. On peut donc légitimement s’inquiéter pour les résultats du concours rénové. Alors que les effectifs d’élèves sont, eux, en augmentation, la rentrée risque d’être difficile.
Selon le rapport de la Cour des comptes de 2013, il manquait 3 622 emplois sur les 8 781 équivalents temps plein prévus !
De plus, cela cache aussi un problème de niveau de recrutement, avec, semble-t-il, des seuils d’admission très hétérogènes d’une académie à l’autre.
Pour mettre fin à la crise de recrutement, que la masterisation a certes amplifiée, mais qui remonte – on s’en souvient – à une dizaine d’années, du fait de la dégradation continue des conditions de travail des enseignants, il nous faut entamer une réflexion réelle sur l’attractivité du métier. Cela passe évidemment par une revalorisation des salaires, mais cela doit aussi, de mon point de vue, nous conduire à nous réinterroger sur la mise en place de véritables pré-recrutements dès la licence. Or, je le rappelle, les emplois d’avenir professeur, ou EAP, n’en sont pas. D’ailleurs, ils ne font pas toujours le plein et connaissent un sort variable d’une académie à l’autre ; M. le rapporteur l’a souligné.
Deuxièmement, le principe de la masterisation partait du constat partagé qu’une bonne formation devait allier un haut niveau de formation, fondée à la fois sur la théorie et la pratique, et un retour réflexif en lien avec la recherche. Or les maquettes de master ont vu leurs horaires diminuer en moyenne de 30 %. De plus, à défaut de cadrage national, le volume des formations peut varier de 172 heures selon les académies, en fonction des moyens de chaque université. Car, comme cela a aussi été rappelé, la question des moyens dont disposent les universités subordonne celle des moyens des ESPE, ce qui conduit à des situations disparates !
Troisièmement, alors que l’alternance intégratrice était réclamée par tous les acteurs, elle n’est pas effective, pour l’instant, sur le terrain. En effet, plus de la moitié des fonctionnaires stagiaires de la rentrée 2014 auront la responsabilité d’une classe à temps plein pendant l’année, tout comme les mi-temps de master 2 du concours rénové. Or l’idée d’alternance intégratrice devrait impliquer des stages permettant d’assurer une pratique réflexive faite d’allers-retours, de prises de recul sur les pratiques avec des tuteurs, et non constituer des moyens d’enseignement. Car, nous le savons, « être sur le terrain », cela ne suffit pas pour être formé !
Quant aux tuteurs, comment pourront-ils mener à bien leur mission s’ils ne sont pas déchargés ?
Quatrièmement, et cela concerne le choix des masters, une note d’information de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du mois de mai dernier sur les concours d’enseignants du secondaire révèle que seulement 17 % des candidats au concours sont issus des masters MEEF. Comment dès lors envisager une amélioration de la formation des enseignants si la majorité des candidats au concours évitent cette filière ?
L’inscription dans ces masters semble aujourd’hui plus pénalisante pour les étudiants. En effet, le parcours de formation qui a été retenu est pensé pour les étudiants réussissant le concours du premier coup, ce qui est loin d’être la majorité des cas. Cela pose, comme avec la réforme Chatel, le problème des « reçus-collés », car des étudiants collés mais extrêmement motivés veulent évidemment retenter leur chance. Le concours en master 1 a même aggravé les choses : pour pouvoir bénéficier d’une année de préparation, certains étudiants envisagent de ne pas valider leur année de master 1, afin de pouvoir redoubler.
Le temps seul ne suffira donc pas à résorber les difficultés pointées. De mon point de vue, des interrogations demeurent encore sur quelques grandes orientations à garantir pour réussir la réforme de la formation des enseignants.
D’abord, un cadrage national fort s’impose pour contenir les disparités des politiques académiques et universitaires et améliorer leur coordination.
Ensuite, il convient de pérenniser véritablement des structures spécifiques de formation au sein des universités en assurant leur autonomie financière et en permettant un lien réel avec la recherche.
En outre, il faut ouvrir de véritables pré-recrutements dès la licence pour donner véritablement aux étudiants les moyens de réussir le concours. La question des bourses est également cruciale ; je ne peux que renouveler ici mes inquiétudes devant leur diminution.
Enfin, il est nécessaire de s’atteler au chantier de la formation continue pour offrir aux enseignants des évolutions professionnelles et les moyens d’assurer dans le temps la pérennité de leurs missions.
Mes chers collègues, si nous devons prendre acte du travail réel et sincère qui a été effectué dans un délai très court pour mettre en place ces ESPE – ce n’était pas simple –, nous ne devons pas craindre de réinterroger le contenu de la réforme pour la porter au niveau d’ambition d’une réelle refondation de l’école. Il s’agit de la formation de toute une génération d’enseignants !