Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission d’information que j’ai présidée a étudié la mise en place des ESPE un peu moins de deux mois après leur création et sur une durée de plus de six mois. Nous avons donc examiné l’accréditation des dossiers, la mise en place des organes de gouvernance et l’intégration des ESPE aux universités.
Les déplacements effectués et les très nombreuses auditions menées ont permis de dresser un premier bilan de cette installation, bilan qu’il faudra bien sûr compléter plus tard par une étude qualitative de la formation des enseignants.
Je me félicite de l’esprit non partisan qui a présidé au déroulement de cette mission. M. le rapporteur, Jacques-Bernard Magner, a su entendre tous les acteurs concernés et a effectué, à partir des témoignages, une excellente analyse tenant compte des appréciations de ses collègues, avec un réel souci d’objectivité. Je le remercie, ainsi que tous les membres de la mission, de ce travail.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été dit sur l’économie générale du dispositif. Nous avons pu constater la complexité administrative de sa mise en place et les efforts qui ont été accomplis sur le terrain. Il existe une véritable prise de conscience de l’importance de cette réforme chez l’ensemble des parties prenantes et une forte volonté des responsables de trouver des solutions.
La réussite du projet dépendra surtout de la qualité du dialogue entre les universités et les ESPE, qui devront absolument construire une « culture d’école » et se détacher des habitudes du passé, lorsque, selon l’académie considérée, soit l’IUFM soit l’université dominait.
Parmi les recommandations formulées par notre mission, je voudrais insister sur plusieurs points visant à moderniser les ESPE.
Tout d’abord, en tant que membre de la commission des affaires européennes, au sein de laquelle je m’investis sur les sujets liés à l’éducation, il m’a semblé essentiel que soit mentionnée dans le rapport la nécessité de former nos enseignants aux enjeux liés à l’Europe.
L’investissement dans l’éducation et la formation est un facteur important de l’avenir du continent européen. À l’heure où l’euroscepticisme va croissant, où l’Union européenne traverse une crise d’identité, l’accent mis sur l’éducation et la formation peut permettre de redonner du sens à l’Union européenne et lui fournir des clefs pour répondre au développement de la compétition internationale. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’éducation et la formation constituent l’un des piliers de la nouvelle stratégie Europe 2020. Cette stratégie, qui a succédé à celle de Lisbonne, a en effet vocation à faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ». L’éducation joue évidemment un rôle central pour atteindre cet objectif.
La réforme de la formation des enseignants ne doit pas laisser de côté cette nouvelle donne. C’est pourquoi il faut prévoir, selon moi, une sensibilisation des futurs enseignants aux enjeux européens. Il s’agirait de leur faire connaître l’histoire de l’Union européenne, sa culture, sa littérature et le fonctionnement de ses institutions. À cet égard, je voudrais citer la recommandation 1833 de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « promouvoir l’enseignement des littératures européennes », votée à l’unanimité le 17 avril 2008, qui me semble très pertinente. Notre collègue Jacques Legendre en avait été le rapporteur.
Je rappelle également que, en adoptant une résolution européenne que j’avais déposée en avril 2012, le Sénat a défendu l’idée de réunir sous un label unique, « Erasmus pour tous », l’ensemble des actions européennes conduites en matière d’éducation, de formation et de jeunesse. Il s’agissait de favoriser l’émergence d’un sentiment d’appartenance à un espace citoyen et culturel commun.
Le nouveau programme Erasmus + qui a été adopté est beaucoup plus ambitieux, grâce à un budget en hausse. Ouvert à tous les apprenants et à tous les formateurs, il consolidera un succès déjà existant. L’Union européenne rappelle ainsi à tous son attachement à l’éducation pour tous.
Ensuite, de même que nos jeunes doivent connaître l’Europe et les opportunités de carrière qu’elle offre, il convient qu’ils maîtrisent l’utilisation d’internet et des outils informatiques. Le rapport fait de la formation des futurs enseignants à ces outils une « nécessité pédagogique absolue », l’un des défis majeurs des parcours mis en place par les ESPE.
Il ne suffit plus aujourd’hui de compléter les cours des futurs enseignants par une option informatique : ce choix devrait impérativement figurer dans leur formation, qu’elle soit initiale ou continue, car il s’agit désormais de l’environnement quotidien des jeunes. Dans ces conditions, il nous semble essentiel que les ESPE préparent les étudiants à obtenir le certificat « informatique et internet » de l’enseignement supérieur de niveau 2 « enseignant ».
Certaines ESPE se sont particulièrement mobilisées en ce sens. Je citerai celle de Clermont-Ferrand, qui a mis en place un observatoire des pratiques pédagogiques à l’ère du numérique. Une doctrine sera ainsi définie pour l’ensemble de l’académie, ce qui permettra, dès la rentrée 2014, l’avènement d’une troisième génération de son « espace numérique de travail », servant non seulement de portail de ressources, mais également de gestionnaire des emplois du temps et de documentation.
Nous avons pu constater sur le terrain que les initiatives en faveur de la formation au numérique sont diverses et nombreuses. Or les moyens humains et financiers nécessaires sont coûteux et proviennent essentiellement des collectivités territoriales. Il serait donc utile que ces bonnes pratiques soient coordonnées, afin qu’elles se répandent sur l’ensemble du territoire. C’est pourquoi l’académie de Clermont-Ferrand s’engage également dans l’élaboration d’un schéma de cohérence du numérique éducatif pour l’équité des territoires.
Au niveau national, le réseau de création et d’accompagnement pédagogiques Canopé doit être restructuré, afin de simplifier et coordonner l’offre de ressources numériques de l’éducation nationale. Pourriez-vous nous parler, monsieur le ministre, de cette rénovation, qui permettra de mutualiser et centraliser des contenus gratuits ou payants ? Pouvez-vous également nous préciser les objectifs et le fonctionnement des futurs espaces d’innovation Canopé, qui seront déployés auprès des ESPE ? Par ailleurs, à quelle hauteur le Gouvernement compte-t-il financer les projets innovants prenant appui sur le numérique, à partir du programme des investissements d’avenir ?
L’évocation du numérique me conduit à souligner – ce sera le dernier point que je souhaite évoquer – l’importance de la transmission des cours par internet.
On appelle aujourd'hui MOOC les cours d’enseignement supérieur ouverts et massifs dispensés en ligne à destination du grand public. Des start-up américaines se sont lancées dès 2012 dans l’aventure de ces cours en ligne gratuits émanant de prestigieuses universités. En France, des initiatives ont été prises en 2013 dans des écoles d’ingénieur. Très vite, des projets de MOOC ont gagné les universités.
Cet outil pédagogique innovant peut s’adresser à des professionnels de l’enseignement et de l’éducation déjà en poste ou à des étudiants en formation initiale souhaitant exercer des fonctions éducatives. Il permet aussi des échanges entre les participants, ce qui peut susciter réflexion et aide. Il convient donc de sensibiliser les enseignants à ces nouvelles pratiques.
Du même ordre mais de philosophie différente, les formations à distance bénéficient également de l’essor numérique. Il s’agit ici non pas de cours en ligne ouverts à tous, comme les MOOC, mais d’une formation proposée aux étudiants venant s’ajouter à l’enseignement qu’ils peuvent recevoir sur place. Je pense notamment à l’utilisation de ressources articulées avec les enseignements. Ainsi, dans mon département, la Seine-et-Marne, sur les sites de Melun et Torcy, l’académie de Créteil a pris en compte les contraintes de déplacement des étudiants en proposant un enseignement à distance pour l’obtention de masters et la préparation au concours de recrutement des professeurs des écoles. Cela peut permettre une reconversion professionnelle, une formation pour des étudiants expatriés temporairement, une remise à niveau ou un enseignement renforcé.
De telles initiatives doivent être encouragées, car elles apportent des solutions aux conditions d’études souvent difficiles des étudiants et représentent un gain de temps et d’efficacité considérable. Ces modalités d’enseignement à distance pourraient d’ailleurs être exploitées pour la formation continue.
Notre rapport montre donc que le chantier de la formation des enseignants est en continuelle évolution, les acteurs locaux s’attachant à prendre des initiatives, qui devraient parfois être relayées au niveau national.
Notre rapport n’a pas vocation à répondre à ce qui suivra, en déterminant si le fonctionnement des ESPE portera ses fruits et si cette réforme sera capable d’apporter une plus-value à l’éducation de nos enfants. Nombreux sont les observateurs qui craignent la répétition du dispositif des IUFM, qui a montré ses limites. Il est évidemment trop tôt pour en juger.
Je suis convaincue que la formation des enseignants est un point essentiel, sans doute même primordial, pour lutter contre l’échec scolaire.
Au-delà de cette formation, nous l’avons souvent dit dans cet hémicycle, le Gouvernement doit mener une politique active en matière de revalorisation du métier d’enseignant. Notre rapport cite le cas spécifique de la Finlande, qui enregistre d’excellents résultats en matière d’éducation.
Je rappelais précédemment l’importance de la formation des enseignants au numérique. La Finlande fait figure de pionnière en ce domaine. Dans le même temps, elle a su faire accéder la profession d’enseignant à une reconnaissance qui lui permet d’être comparée à d’autres professions prestigieuses et rémunératrices, telle la profession de médecin ou d’avocat. Sans doute devrions-nous nous inspirer de cette expérience. Toutefois, la question du statut des enseignants ne relève pas du débat qui nous occupe ce soir.
Pour le moment, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, je souhaite simplement que notre contribution alimente la réflexion et permette d’achever dans de bonnes conditions la mise en place des ESPE, structures qui devront dispenser un enseignement professionnalisant et moderne.