Intervention de Dominique Gillot

Réunion du 11 juin 2014 à 21h30
Débat sur les écoles supérieures du professorat et de l'éducation

Photo de Dominique GillotDominique Gillot :

À la dégradation des rythmes scolaires – les petits Français n’avaient, depuis 2008, plus que quatre jours de classe par semaine et 144 jours par an, avec un volume annuel d’heures de cours beaucoup plus élevé que chez nos voisins –, a été ajoutée la suppression de la formation des maîtres.

Cette réforme hâtive avait pour but premier de permettre des économies – la suppression de l’année de stage a entraîné celle de milliers de postes. Elle a aussi révélé une méconnaissance de ce qu’est la pédagogie et un mépris pour les enseignants et leur travail, dont beaucoup expriment encore la souffrance et la colère.

Les bouleversements scolaires, sociaux, économiques, culturels ont changé les attentes et les exigences à l’égard de l’école et de ses missions.

Les professeurs des écoles, recrutés à bac+5 – alors que, je le rappelle, les instituteurs entraient à l’École normale après la troisième, puis après le baccalauréat – sont souvent démunis dans leur classe face à des élèves d’une grande diversité.

À l’heure de la mondialisation et de la globalisation, l’éducation, la formation et la qualification sont les moteurs du redressement. Pour que la France renoue avec la croissance et son rayonnement, elle doit élever le niveau de qualification de sa jeunesse, la préparer à l’économie du XXIe siècle, c'est-à-dire lui permettre de communiquer en plusieurs langues, maîtriser les outils numériques, travailler différemment, développer des compétences toujours nouvelles.

La mission de l’école étant de réduire les inégalités, de transmettre des valeurs, de faire grandir en chaque élève des qualités et des vertus utiles à la réussite collective, il était urgent de reconstruire une école de la confiance, de l’estime de soi et de la bienveillance. Pour cela, il fallait d’urgence repenser la formation des maîtres.

Chacun est conscient des difficultés que rencontrent le système éducatif et ses personnels. On ne fait plus classe aujourd’hui comme avant.

Faire classe aujourd’hui nécessite de mobiliser des compétences assurées, de différencier ses pédagogies, de construire des projets, de travailler en équipe, d’utiliser toutes les technologies accessibles, d’agir avec les acteurs extérieurs à l’école, d’ouvrir les esprits des enfants, de dialoguer avec les parents... Et cela s’apprend. C’est le rôle des ESPE.

Il a été démontré que l’incidence de la qualité de la formation du professeur sur la performance des élèves est le premier déterminant de la réussite scolaire. Nous avons donc besoin des meilleurs professeurs pour conduire tous les enfants vers la réussite et l’épanouissement.

Pour élargir le vivier de leur recrutement, il fallait redonner au métier toute sa considération et définir les conditions permettant de l’exercer de manière professionnelle, afin de lutter contre sa lente dévalorisation sociale.

L’école est une institution dont le facteur de changement est en son sein. Les enseignants qui sont à la manœuvre doivent être capables de satisfaire aux obligations de leur mission et de s’adapter à leurs élèves soumis aux influences de la société qu’ils incarnent.

Cette relation privilégiée entre le maître et ses élèves est affectée par le fonctionnement social, l’accélération des temps, l’envahissement des techniques qui touchent aussi l’école. C’est pourquoi la formation, appuyée sur la recherche et la pluridisciplinarité, est indispensable pour tous les enseignants.

Il y faut de la volonté commune, des personnels qualifiés issus des deux ministères – enseignement supérieur et recherche et éducation nationale – avec des cultures, des pratiques, des déroulements de carrière différents.

Il y faut du projet commun, une ambition partagée, de l’humilité, de la patience et des pratiques collaboratives.

Le rapport en témoigne : au-delà des frilosités disciplinaires et catégorielles, il y a beaucoup de bonne volonté et même de l’enthousiasme dans cette construction, qui a été évaluée durant toutes ces semaines.

Nous ne devons pas perdre de vue qu’il s’agit d’une structure nouvelle, au carrefour de deux cultures jusqu’ici distinctes : d’une part, l’enseignement supérieur, dont l’emprise sur la formation des maîtres a été renforcée par la masterisation, et, d’autre part, l’éducation nationale, qui accorde une place importante à la formation par les pairs, principe qui commence seulement à pénétrer le monde universitaire.

Les ESPE ne doivent pas être considérées comme de simples entités administratives, agrégats de formations. Elles doivent dépasser les clivages anciens observés entre IUFM et universités pour devenir de véritables entités.

C’est pour cela que je défends l’idée que l’ESPE doit s’imposer comme une composante forte des communautés d’universités et établissements – les COMUE –, en développant un esprit d’école, en assurant la mixité des équipes pédagogiques et en garantissant l’émergence d’une culture professionnelle partagée, donc d’une culture partagée de la formation à dispenser : théorique et pratique, académique et professionnelle.

La définition des qualifications pour les enseignants-chercheurs en IUFM avait donné lieu à une forte recherche en pédagogie. On ne peut maintenir, d’un côté, des universitaires dont la gratification et l’avancement professionnels ne seraient assis que sur leurs publications scientifiques, et, de l’autre, des enseignants – au demeurant chercheurs aussi – qui s’investiraient dans la pédagogie et ne seraient pas valorisés à ce titre.

Cette question traverse également l’ensemble de l’enseignement supérieur. Aujourd'hui, chacun recherche une manière de reconnaître et d’évaluer l’investissement de l’innovation pédagogique dans le supérieur.

Il faut veiller à ce que la masterisation, érigée en objectif principal, ne l’emporte pas sur la nécessaire acquisition progressive des pratiques pédagogiques. Rien ne serait plus contre-productif dans la création d’une école de formation, dont on attend qu’elle soit en phase avec les enjeux de notre société en mouvement, que de perpétuer des méthodes d’enseignement, d’évaluation et de diplomation figées par des référentiels de formations universitaires ou le substrat d’UFR subsistant.

Le travail contributif des recteurs, dont je rappelle qu’ils sont chanceliers des universités, sera en ce sens déterminant. Employeurs de ces futurs diplômés, ils sont aussi prescripteurs de leurs compétences attendues et garants de la bonne progressivité de leur formation.

L’émergence de la culture d’école, que j’appelle de mes vœux, tout comme vous, mes chers collègues, nécessite la mise en place d’un tronc commun à la formation des enseignants du premier et du second degré. C’est ainsi que l’on parviendra à développer une culture professionnelle partagée entre le primaire et le secondaire.

Cet objectif est indispensable au regard des résultats des enquêtes qui mettent régulièrement en évidence le nombre de « décrocheurs », lesquels, généralement, dès l’entrée en sixième, présentent des lacunes dans des domaines qui devraient relever de l’acquis fondamental. Et ce constat se répète en seconde, puis, dramatiquement, en premier cycle universitaire !

C’est la visée de cet objectif pédagogique renouvelé, mission des ESPE, qui sera propice à la réussite durable de tous les élèves et brisera la spirale des résultats PISA, qui interpellent notre système.

Il faut également être vigilant sur la constitution des équipes de formation. Il serait totalement inefficace de ne faire appel qu’à des formateurs « hors sol », déconnectés des réalités du quotidien et du terrain, réalités pourtant prépondérantes dans les choix pédagogiques à mettre en œuvre. Il faudrait d’ailleurs, me semble-t-il, ménager des phases dans les carrières pour éviter de trop longues coupures avec la réalité de la classe.

J’insiste sur ce point, car des disparités dans ce domaine sont connues : alors que l’ESPE de l’académie de Strasbourg affiche une proportion de professionnels issus du milieu scolaire dans les équipes pluricatégorielles de l’ordre de 40 %, l’ESPE de l’académie de Versailles s’était fixé l’objectif, présenté comme ambitieux, de 10 % !

Pour bien connaître l’une des trois ESPE accréditées pour une première année, je constate que, une fois le choc des cultures dépassé et les manœuvres de préservation des « magots » de postes déjouées, la rédaction patiente du règlement intérieur, pour éviter toute fâcherie ultérieure, a permis, après trois tentatives de délibération, une adoption à l’unanimité, qui augure bien, au fil du temps et de l’approche de la rentrée scolaire, du déplacement des centres d’intérêt vers ceux des maquettes, plans et calendriers de formation, avec identification de tuteurs et de lieux de stage à travers les cinq départements. C’est très encourageant.

À cet effet, je tiens à saluer l’énergie et la capacité de dialogue du président et de la directrice de l’ESPE, tout comme celles du président de l’université de Cergy-Pontoise. En effet, la diplomatie est de mise à chaque conseil d’école.

Il s’agit donc bien, avec les ESPE, de construire un continuum de formation de la maternelle au supérieur, visant l’intérêt de l’enfant devenant élève, puis collégien et lycéen, afin qu’il puisse aborder dans les meilleures conditions l’enseignement supérieur, nourri de valeurs, rompu aux technologies indispensables à la société d’aujourd’hui qui lui permettront de garder un esprit de curiosité et de questionnement. Car n’oublions pas qu’apprendre, c’est avant tout chercher et douter !

Avec le numérique et la recherche permanente à laquelle ils accèdent dès le plus jeune âge, les enfants d’aujourd’hui acquièrent en dehors de l’école une attitude de questionnement que les enseignants doivent être formés à accompagner, à stimuler et à organiser.

C’est aux enseignants que revient d’assurer cette indispensable médiation entre la somme d’informations hétéroclites disponibles et l’élève, pour lui permettre de construire de solides connaissances. Ils doivent, selon Marcel Gauchet, « remettre de l’ordre dans du désordre ».

L’école doit être l’institution de confiance où l’on peut obtenir des réponses à des questions de l’ordre du savoir, où l’on peut apprendre à résoudre des problèmes, où l’on peut apprendre à se poser des problèmes, où l’on peut accepter de se tromper.

L’exploitation et la maîtrise des technologies de l’information et de la communication vont donc susciter une hausse du niveau d’exigence scolaire. Parallèlement, la multitude des ressources offertes permet d’élargir le cercle des apprenants et d’apporter un soutien ponctuel ou durable aux enseignants dans leur pédagogie comme dans leur formation, initiale ou continue, en particulier dans les secteurs démunis, isolés, difficilement accessibles.

C’est à ce titre que je plaide pour le développement rapide d’un enseignement à distance et en ligne dans l’académie de Guyane, dont l’ESPE doit composer avec des contraintes matérielles, géographiques et démographiques lourdes. Ce renfort technologique bien pensé permettrait l’accès d’un plus grand nombre aux formations et accélérerait l’émergence du vivier d’enseignants indispensable dans ce département français.

D’une façon générale, la capacité d’innovation des ESPE suivra l’ampleur des efforts conduits en matière de développement de l’interdisciplinarité, de mutualisation et de renforcement du travail d’équipe. Vincent Peillon l’avait affirmé : « Il faut refonder l’école de la République et refonder la République par l’école. Les enseignants sont les premiers acteurs du redressement de notre pays. »

Nous sommes aujourd’hui à l’année zéro des ESPE. Beaucoup a été fait, et très rapidement. Il faut saluer la mobilisation des professeurs formateurs et encourager la variété des parcours.

Il faut aussi soutenir l’implication des recteurs, qui devraient siéger dans tous les conseils d’écoles, en personne, pour bien montrer l’intérêt porté par l’éducation nationale au processus mis en route et ne pas risquer l’universitarisation de la nouvelle formation.

C’est un processus progressif, perfectible en fonction des évaluations qui seront opérées tant par les usagers et étudiants que par les professeurs, les formateurs, et l’employeur. Je vous saurais donc gré, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, de répondre à quelques questions.

La loi est-elle toujours bien appliquée, c'est-à-dire tous les postes IUFM sont-ils bien transférés à l’ESPE ? Certains professeurs en UFR résistent et ne veulent pas rejoindre l’ESPE pour des raisons qui peuvent s’entendre, mais quid de leur support budgétaire ?

Par ailleurs, si on constate un regain d’inscription aux formations de l’éducation, pourra-t-on encadrer tous ces étudiants « usagers » avec les seuls moyens transférés des IUFM ? Y a-t-il des académies déficitaires et d’autres « excédentaires » ? Je pense à l’exemple de l’ESPE de Versailles et du partenariat interacadémique avec Paris-Créteil.

Pour ce qui est de la pratique, de la maîtrise et de l’apprentissage des nouvelles technologies, comment seront recrutés les professeurs ? Sur quelle base de formation ?

Enfin, quels dispositifs sont prévus pour favoriser et former à la pratique interdisciplinaire et à la démarche de projet ? §

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