Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 11 juin 2014 à 21h30
Débat sur les écoles supérieures du professorat et de l'éducation

Geneviève Fioraso :

Il me revient à mon tour de remercier la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Mme Marie-Christine Blandin, sa vice-présidente, Mme Colette Mélot, le rapporteur, M. Jacques-Bernard Magner, et tous ceux d’entre vous qui ont participé activement – je l’ai bien compris –, à Clermont-Ferrand, mais aussi ailleurs – je l’ai également compris –, aux travaux de la mission d’information sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation.

Ces travaux permettent d’avoir une vision globale et seront précieux pour le ministère de l'éducation nationale comme pour celui de l'enseignement supérieur et de la recherche.

En effet, en réalité, les destins de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur sont totalement liés dans cette affaire, et ce pas uniquement parce que la formation des enseignants se fera désormais au sein de l’université.

Si nous voulons que les étudiants réussissent davantage en premier cycle et si nous souhaitons plus d’étudiants issus des milieux modestes qu’aujourd'hui, il faut en amont assurer la réussite des parcours scolaires du plus grand nombre, en particulier des enfants issus de milieux sociaux et culturels plus modestes, moins favorisés, issus de quartiers ou de territoires éloignés des centres de ressources. Il est donc essentiel de refonder la formation des enseignants.

On sait que la réussite des parcours scolaires, donc des parcours de qualification, ainsi que de l’insertion professionnelle dépend tout d’abord de la qualité de la formation des enseignants. Vous l’avez dit, mesdames, messieurs les sénateurs, et, du reste, toutes les études le montrent. On peut donc considérer ce point comme un acquis.

Vous avez également dit que la mise en place des ESPE s’était faite rapidement, avec « précipitation » ont affirmé certains d’entre vous. Si cela s’est fait aussi rapidement, c’est parce qu’il y avait une urgence, et ce pas uniquement à cause des résultats de l’enquête PISA. Il était nécessaire de mettre en œuvre les ESPE du fait de la raréfaction, pour ne pas dire de la suppression de la formation in situ. Or être enseignant, assurer la transmission de connaissances et la réussite des parcours de formation, ce n’est pas inné. Cela s’apprend, et c’est une compétence différente de l’acquisition de savoirs disciplinaires, voire interdisciplinaires, comme l’a indiqué Corinne Bouchoux à juste titre.

Même si tout n’était pas complètement ficelé et prêt, il était urgent, après le vote de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, de mettre en œuvre les ESPE au sein des universités dès la rentrée 2013. Tel était le choix du Président de la République et du Gouvernement. Pour ma part, je pense que c’était un bon choix.

L’enjeu principal est de réussir l’intégration de cette formation professionnalisante in situ, entre la formation académique, disciplinaire et interdisciplinaire. Il s’agira d’une formation « tutorée », d’abord, puis de plus en plus autonome à mesure que l’étudiant sera proche de la sortie du M2 et du moment où il sera seul face à sa classe, que ce soit en maternelle, en primaire, dans le premier ou le second degré, ou même à l’université.

Être enseignant à l’université, cela s’apprend aussi. Benoît Hamon et moi avons tous les deux en commun une expérience dans le privé et une expérience d’enseignant dans l’enseignement supérieur.

À ce titre, je peux vous assurer que, lorsqu’on se retrouve face à un amphithéâtre la première fois, sans formation préalable, on n’est vraiment pas fier ! C’est d’autant plus difficile que, aujourd'hui, les étudiants, ces digital natives, comme on dit en bon français, vérifient en temps réel si ce que vous dites est bien vrai. N’ayant plus les inhibitions que pouvait avoir notre génération, ils vous interrompent en plein milieu d’un cours pour vous signaler que l’indicateur que vous leur donnez n’est pas le bon.

Les enseignants ont donc intérêt à être formés pour faire face à ces situations, qui sont non pas des conflits, mais des moments d’interactivité, auxquels il faut être préparé pour en tirer partir et pour ne pas perdre la face.

Cette formation sera irriguée par la recherche, pas uniquement par la recherche en sciences de l’éducation et en didactique, mais aussi par la recherche en psychologie, en histoire de la science, bref par une recherche extrêmement diversifiée. Cette irrigation sera une richesse pour l’enseignant, qui pourra ensuite la transmettre à ses élèves. De ce point de vue, la formation aux problématiques du genre me paraît importante, surtout pour les enseignants.

J’ai passé le test qui nous a été soumis par l’équipe de Najat Vallaud-Belkacem – Benoît Hamon n’a pas dû y échapper – visant à vérifier si nous confortions nous aussi, militants convaincus de la parité, les stéréotypes. Or, quand on passe ce test, on s’aperçoit qu’on les conforte, sans le vouloir.

Un certain nombre d’enseignants l’ayant passé se sont ainsi rendu compte, par exemple, qu’ils sollicitaient davantage les filles que les garçons pour essuyer le tableau et pour rendre de petits services. Ils demandent davantage aux garçons d’accomplir des travaux qui nécessitent, semble-t-il, moins de timidité, davantage d’ardeur physique, et ce sans même le mesurer et tout en étant des militants convaincus de la parité. Ce sont donc surtout les enseignants qu’il faut former. Les études de genre, poursuivies par des études de recherche, seront extrêmement utiles.

Ces formations se font à l’université, avec une acculturation réciproque entre les enseignants. Toutefois, tous les enseignants de l’université, je veux aussi le dire, ne sont pas « hors sol ». Qui dit « académique » ne veut pas forcément dire « hors sol ».

J’ai présidé hier soir un concours de jeunes doctorants qui devaient présenter leur thèse en 180 secondes, soit trois minutes. Je vous assure que l’on osait à peine prendre la parole après eux tant ils étaient bons communicants. Ils étaient extrêmement bons en termes de synthèse, très pédagogues, très clairs et créatifs, y compris dans la gestuelle.

Toutes les personnalités présentes, qu’il s’agisse du président de la conférence des présidents d’université, de M. Alain Mérieux – le concours s’est tenu à Lyon –, des représentants des milieux économiques ou de ceux du ministère de tutelle, étaient franchement moins brillantes qu’eux. Ces étudiants étaient extrêmement concrets. Certains d’entre eux effectuaient de la recherche fondamentale, mais ils imaginaient déjà quelles applications ils pourraient en tirer. Ils avaient un lien avec le réel qui aurait séduit tous les chefs d’entreprise s’ils avaient été là. Je le dis au passage à l’intention de ceux d’entre eux qui hésitent encore à recruter des docteurs, car c’est là un enjeu important.

Néanmoins, il est vrai que l’histoire des IUFM a marqué plus ou moins profondément et plus ou moins positivement certaines académies et que, par conséquent, vous l’avez remarqué, la conversion aux ESPE et l’acculturation entre les universitaires et les praticiens se font plus naturellement dans certaines académies que dans d’autres.

Les praticiens doivent être présents dans la formation, car ils sont sur le sol, dans la réalité du métier, de même que les acteurs de l’éducation populaire, de la culture, cela a été dit, et du monde économique et de la recherche. Il est essentiel qu’ils soient présents, car ils connaissent les métiers de l’intérieur et peuvent les présenter. Tous ces acteurs doivent travailler ensemble, côte à côte, l’élément fédérateur étant finalement le recteur.

L’État est bien là. Des inquiétudes se sont exprimées sur le fait qu’il y aurait des disparités trop grandes entre les territoires, car on laisserait certains prendre des initiatives trop importantes. Je crois justement à la rencontre de ces écosystèmes, de ces initiatives territoriales et d’un État stratège avec un référentiel le moins théorique et le plus vivant possible. Les ESPE sont aussi des organismes vivants adaptés à leur territoire, appelés à évoluer. Je tenais à insister sur ce point.

Nous sommes allés vite parce qu’il y avait urgence, mais les ESPE sont des organismes vivants. Notre pédagogie devrait d’ailleurs s’en inspirer. Dans nos méthodes pédagogiques – je le répète, j’ai aussi été enseignante –, nous sommes souvent dans le tout ou rien. Il ne faudrait démarrer que lorsque tout est bouclé. Eh bien non ! La pédagogie est forcément évolutive. On s’améliore peu à peu, on apprend de ses erreurs. C’est ainsi que l’on progresse. Je pense que c’est une forme de pédagogie nouvelle, que nous devrions intégrer, valable aussi bien à l’université que dans les écoles, les collèges et les entreprises, de même que dans les instances politiques ou de gouvernance en général.

J’évoquerai maintenant la gouvernance et le lien avec les regroupements qui se font dans les universités.

En matière de gouvernance, je ne puis que regretter que l’on ne compte que huit femmes parmi les trente directeurs. Certes, c’est tout de même mieux que pour les présidents d’université. En effet, l’arrivée massive des PU-PH, les professeurs des universités et les praticiens hospitaliers, dans la dernière promotion des présidents d’université a fait que l’on compte aujourd'hui moins d’une dizaine de femmes parmi les plus de soixante-dix présidents.

Huit femmes sur trente directeurs, c’est donc tout de même un meilleur score que celui des présidents d’université et des écoles d’ingénieurs, je le dis au passage. J’espère cependant qu’il s’améliorera. Les études sur le genre devraient le permettre. J’ajoute que les conseils des ESPE sont constitués à parité de femmes et d’hommes.

Les ESPE correspondent-ils exactement aux COMUE, les Communautés d’universités et d’établissements ? Pas forcément. Il y a une trentaine d’ESPE, il y aura vingt-cinq COMUE et cinq associations, l’État n’ayant pas voulu imposer une forme unique pour tout le monde.

Ce sont donc les acteurs de terrain qui ont décidé de leur territoire. Parfois, le regroupement est interacadémique. Parfois, il prend la forme d’une communauté – l’université et l’établissement. Parfois, enfin, il est interrégional, ce qui préfigure d’ailleurs les trois regroupements régionaux, voire peut-être un autre à venir, dans un avenir plus ou moins proche, à savoir celui de la Bretagne et des Pays de la Loire.

Il est vrai qu’il pourra y avoir – pour les COMUE, pas pour les ESPE ni pour les régions – plusieurs ESPE correspondant à une COMUE. Pour autant, un réseau doit se former et des passerelles doivent exister, tout comme d’ailleurs entre l’ESEN et les COMUE.

Des passerelles numériques doivent également exister. À ce sujet, je remercie le rapporteur d’avoir remarqué le MOOC, c'est-à-dire les cours en ligne ouverts et massifs, conçu par l’ENS-Cachan et l’ENS-Lyon, qui compte déjà 10 400 inscrits. Ce cours numérique, qui a démarré au début de mai dernier et qui se terminera à la fin de juin prochain, est gratuit et restera disponible en ligne sur la plateforme France université numérique, lancée en janvier dernier.

Dans ce domaine non plus, nous n’étions pas prêts. Alors que seuls quatorze MOOC étaient d’abord disponibles, ils sont maintenant trente-six. À la fin de l’année, ils seront soixante. À ce jour, on dénombre plus de 300 000 inscrits. Dans ce domaine également, nous progresserons et nous monterons en puissance progressivement. On ne peut plus aujourd'hui enseigner aux enfants nés dans le numérique, les fameux digital natives, comme on le faisait auparavant.

Les ESPE peuvent devenir au sein des universités des centres de ressources pour la formation continue des enseignants, car tout le monde n’est pas spontanément à l’aise avec le numérique. Ce n’est pas forcément une question de génération, même si, en général, on distingue ceux qui lisent les modes d’emploi de ceux pour qui l’apprentissage est intuitif. Vous aurez compris quelle génération lit les modes d’emploi – plutôt la mienne – et quelle génération a un rapport spontané avec le numérique – plutôt les jeunes générations.

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