Les ESPE s’inscrivent aussi dans un processus démocratique. Pourquoi ? Benoît Hamon l’a très bien dit, il faut absolument que notre réussite scolaire bénéficie à l’ensemble des enfants, quels que soient leur territoire ou leur classe sociale d’origine. Pour cela, il faut que les enseignants viennent de milieux sociaux plus diversifiés. On a assisté à une homogénéisation progressive des origines sociales des enseignants, qui sera accentuée par la masterisation si nous ne prévoyons pas de mesure d’accompagnement.
Il ne s’agit pas de stigmatiser, mais de diversifier les origines sociales des enseignants. En effet, on sait que les jeunes se construisent et construisent leur parcours éducatif et leur formation par identification et par projection. Les emplois d’avenir professeurs, qui sont ouverts aux élèves boursiers dès la deuxième année de licence, sont à cet égard un outil de démocratisation de l’enseignement, puisqu’ils contribueront à la réussite d’élèves issus de la diversité sociale et culturelle.
J’en viens à la gouvernance et à la manière dont les moyens ont été redéployés entre les IUFM et les ESPE. Globalement, cela ne s’est pas si mal passé. On a beaucoup insisté sur les dysfonctionnements. Aujourd'hui, seules deux ESPE, sur une trentaine, connaissent des dysfonctionnements ; ce n’est pas un si mauvais score. En tout, 700 équivalents temps plein, ou ETP, sont concernés. La plupart d’entre eux ont été transférés sans problème.
Là où il y a des problèmes, le comité de suivi et les services du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche veillent à ce que les choses se passent le mieux possible et font en sorte qu’il n’y ait pas de perte de postes, afin que le transfert se déroule de manière très fluide. Globalement, je le répète, les transferts de postes et de moyens ont été effectués.
Le passage à l’autonomie a fragilisé les universités, il est vrai, parce qu’il n’y a pas eu d’accompagnement à la conduite du changement et à la formation et parce que le transfert n’a pas tenu compte de l’évolution des carrières. Je pense au glissement vieillissement technicité, le GVT, mais aussi à l’évolution naturelle des carrières et aux recrutements rendus nécessaires par l’augmentation des flux d’étudiants, qui est de l’ordre de 1 % à 2 % par an – cela représente tout de même entre 24 000 et 30 000 étudiants supplémentaires chaque année.
Comme nous étions très conscients de cette situation, nous avons mis en place dès notre arrivée au pouvoir toute une ingénierie d’accompagnement et, surtout, d’anticipation des difficultés. Nous avons procédé à une simplification des intitulés des enseignements, car on ne s’y retrouvait plus dans leur maquis : il y avait 5 500 masters et 10 000 parcours de master, ce qui n’était lisible pour personne. Les étudiants et les familles qui n’avaient pas de décodeur à la maison ou dans leur environnement proche en souffraient particulièrement.
Aujourd'hui, les universités se portent mieux ; ce n’est pas moi qui le dis, c’est un récent rapport de la Cour des comptes. Je ne dirais pas qu’elles se portent toutes très bien, mais elles se portent mieux. Nous sommes passés en deux ans de dix-huit à huit universités en déficit de trésorerie ; là encore, c’est la Cour des comptes qui le dit, en s’appuyant notamment sur le courrier de réponse que lui avait adressé la Conférence des présidents d’université, la CPU, après la publication de son rapport provisoire.
La question de la professionnalisation a également été abordée. Certains d’entre vous estiment que les stages, ou plutôt l’immersion in situ, doivent intervenir plus tôt, dès la licence. Nous en avons discuté ici même il y a peu de temps. Les mêmes intervenants étaient d'ailleurs présents ; cela traduit une certaine stabilité des centres d’intérêt et des engagements ! Nous avons bien répété que les stages faisaient partie intégrante de la formation, qu’ils en étaient un élément indispensable. Les stages sont une période de formation.
Nous avons aussi souligné que, si les stages étaient très présents au niveau du master, ils ne l’étaient pas suffisamment au niveau de la licence ; ils ne concernent par exemple que 2 % des étudiants de première année. Les stages sont pourtant utiles pour confirmer ou infirmer une vocation. En plus des emplois d’avenir professeurs, qui prévoient une immersion à partir de la deuxième année de licence, il faut développer des stages, pas nécessairement de longue durée, mais accessibles dès la première ou au moins la deuxième année de licence, pour les étudiants attirés par l’enseignement.
L’organisation de la formation au sein des ESPE préfigure la réforme pédagogique que nous souhaitons introduire à l’université. Je veux parler de la spécialisation progressive en licence, qui favorisera l’interdisciplinarité, indispensable à un enseignement de qualité, que beaucoup d’entre vous appellent de leurs vœux. Le socle général de formation sera plus large. Un étudiant de dix-huit ou dix-neuf ans sait généralement ce qu’il ne veut pas faire plutôt que ce qu’il veut faire ; il sait globalement quels domaines l’attirent, mais il ne sait pas encore précisément vers quoi il va s’orienter. La spécialisation progressive en licence lui permettra de se réorienter sans redoubler, ce qui favorisera les étudiants issus des milieux moins favorisés.
La dernière question posée est celle de l’attractivité. Benoît Hamon y a déjà répondu en partie. Les difficultés de recrutement dans certaines disciplines ne font que refléter les difficultés qui existent au niveau universitaire. Je pense d'abord aux mathématiques. Comme on manque de professionnels dans le numérique, les étudiants en mathématiques se dirigent moins vers la recherche, alors même que nous sommes au premier rang mondial pour la recherche en mathématiques.
Nous avons obtenu onze médailles Fields. La médaille Fields, qui constitue une sorte de prix Nobel pour les mathématiques, est attribuée à un ou plusieurs mathématiciens de moins de quarante ans. Vous connaissez sans doute Cédric Villani, qui est le plus spectaculaire titulaire de cette distinction, mais il y a eu dix autres lauréats français. Il n’y a pas encore eu de femme lauréate, mais j’espère que la prochaine médaille en récompensera une ; nous avons déjà repéré deux gagnantes potentielles.
Les États-Unis ont quant à eux obtenu douze médailles Fields ; si on rapporte le nombre de médailles à la population, nous sommes donc bien le premier pays au monde.
Cependant, il faut être vigilant, car nous avons des difficultés à recruter des enseignants en mathématiques. Nous devons améliorer l’attractivité de cette discipline pour séduire davantage de jeunes. Nous manquons non seulement d’enseignants, mais également de chercheurs et de professionnels en mathématiques appliquées, en particulier dans le domaine de l’informatique.
Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit au sujet de la culture scientifique et technique. Il est indispensable de la promouvoir si on veut éviter les postures sur des sujets qu’il faut savoir aborder sans tabou. Ce n’est pas une attitude responsable que de se disputer en opposant principe de précaution et principe d’innovation. Les deux ont leur légitimité. Ce qui compte surtout, c’est d’avoir à la fois une culture de la prévention, de l’anticipation et de la précaution, ainsi qu’une culture de l’innovation. C’est mieux que de figer les choses dans une loi, car, ensuite, on est ennuyé par le caractère contradictoire des jurisprudences, qui crée des controverses.
Il faut développer les différentes cultures. Des associations comme « La main à la pâte » y concourent. La loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a délégué la promotion de la culture scientifique et technique aux vingt-deux régions, qui seront demain quatorze – sauf si le Parlement en décide autrement…
Nous pourrions discuter encore longtemps de ce sujet passionnant, mais il est l’heure de conclure. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la qualité de vos interventions et de la sérénité du débat, que j’apprécie chaque fois que je viens au Sénat – si vous alliez à l’Assemblée nationale, vous comprendriez pourquoi… Il est important d’avoir une réflexion commune sereine et pacifiée sur ce sujet, car c’est l’intérêt de nos enfants, donc l’avenir de notre pays, qui est en jeu. Cela nous tient tous à cœur, quelles que soient nos convictions politiques.
Je vous remercie de nous accompagner dans cette ambition partagée.