Intervention de Dominique Garcia

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 11 juin 2014 : 1ère réunion
Archéologie préventive — Table ronde

Dominique Garcia, vice-président du Conseil national de la recherche archéologique :

Le Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) est une instance placée auprès de la ministre de la culture et de la communication, ce qui constitue en soi un point d'ambiguïté puisque l'archéologie touche un domaine plus large, interministériel, qui comprend notamment l'enseignement supérieur et la recherche. Nos missions, sur lesquelles je reviendrai, méritent d'être renforcées par rapport au droit en vigueur.

Je suis, pour ma part, professeur à l'Institut universitaire de France et à l'université d'Aix-Marseille, ainsi que vice-président du CNRA. Je crois donc être à cette table le seul archéologue de métier. La ministre de la culture et de la communication m'avait confié, de l'automne 2012 jusqu'au printemps 2013, la présidence de la commission chargée de l'évaluation scientifique, économique et sociale du dispositif d'archéologie préventive, dont le bilan, dix ans après l'adoption de la loi du 1er août 2003, a été présenté sous la forme d'un Livre blanc. Cette commission, composée de 27 membres, réunissait l'ensemble des acteurs de l'archéologie : des universitaires, du personnel du ministère de la culture et de la communication, les représentants des structures privées et les représentants des collectivités territoriales, ainsi que des inspecteurs généraux des affaires culturelles, des finances et de l'archéologie. Nous avons auditionné, pendant plusieurs mois, l'ensemble des acteurs concernés. Nous avons élaboré une série de propositions afin de nourrir le projet de loi annoncé sur les patrimoines. Le diagnostic que nous avons établi et les propositions qui s'en dégagent ont été approuvés par l'ensemble des membres de cette commission, dans leur diversité. Lors du vote électronique réalisé pour l'adoption du document, on a comptabilisé huit abstentions, motivées par le fait que nous n'allions pas assez loin dans la défense de l'opérateur historique qu'est l'INRAP.

La nouvelle loi devrait avoir pour objectif d'affirmer l'unicité de la discipline archéologique, en rappelant que l'opération de fouille ne constitue qu'un chainon de l'activité archéologique qui part généralement d'une programmation scientifique, de la définition de problématiques et d'une action de collecte de la documentation, d'une exploitation de cette documentation, ce qu'avait peut-être oublié la loi de 2003. Il est indispensable d'affirmer clairement le caractère scientifique et la particularité de cette discipline. Les archéologues sont les seuls à produire leurs propres archives. Les travaux programmés ou préventifs fournissent une documentation qui renouvelle de façon importante la connaissance du passé. Les informations recueillies sur le terrain permettent de revisiter des problématiques nouvelles. Les fruits des lois de 2001 et 2003 sont visibles et évalués par l'ensemble de la communauté archéologique internationale. Les synthèses européennes et internationales démontrent que l'archéologie, grâce à sa force de frappe affirmée par ces deux lois, permet de contribuer de manière extrêmement novatrice à la documentation archéologique.

L'archéologie n'est pas une documentation renouvelable, les archéologues s'en emparent de façon opportuniste au gré des aménagements du territoire. Il nous appartient de préserver certaines zones archéologiques mais aussi de recueillir cette documentation avec un maximum d'attention et de précision.

L'archéologie n'a jamais disposé d'autant de moyens et n'a jamais créé autant de professionnels de l'archéologie. Quand j'ai débuté mes études d'archéologie à la fin des années 1970, j'ai suivi en parallèle une licence de psychologie compte tenu du peu de débouchés professionnels observés dans le secteur de l'archéologie. Aujourd'hui, 75 % de nos étudiants en licence peuvent trouver un emploi.

Le pilotage de ces dernières années et les éléments de contrôle scientifique n'ont pas été assez affirmés. Il convient, dans la future loi, de renforcer le rôle de l'État en région en matière de contrôle scientifique et technique des opérations de fouille, qu'elles soient exécutées par un opérateur privé, un opérateur des collectivités territoriales ou par l'INRAP. Le dossier scientifique joint à l'opération de terrain doit être crédible. Nous ne sommes pas là simplement pour dégager un terrain de ses éléments anciens pour que les opérations d'aménagement puissent se dérouler sans difficulté ou à moindre coût... L'intervention d'un archéologue doit être justifiée par un dossier de qualité pour l'ensemble des opérateurs. Le contrôle des services de l'État sur le terrain est incontournable.

Il faut également garantir un contrôle de l'opérateur, quel qu'il soit, dans l'exercice de ses missions, notamment de la qualité de la formation des archéologues ou de leur capacité à définir des problématiques et à y répondre. C'est précisément le rôle du CNRA qui examine les dossiers des opérateurs des collectivités territoriales et des opérateurs privés. C'est sur la base de son avis que le ministre établit ses arrêtés d'agrément. Il convient, en particulier, d'être attentif à la qualité du projet scientifique, afin de rétablir un équilibre entre les différents types d'opérateurs. On a pu constater, en effet, que l'INRAP pouvait être, pour certaines opérations, sensiblement plus cher que les opérateurs privés. Lorsque ces derniers se verront appliquer le même niveau d'exigence scientifique, de recrutement et de formation du personnel, ils devront nécessairement augmenter le prix de leurs prestations.

En matière de missions patrimoniales et scientifiques, les collectivités territoriales devront accompagner leurs agents pour relever leur niveau de recrutement, de formation et de rendu des résultats de cette activité archéologique vers la communauté entendue au sens large, y compris le grand public et les chercheurs.

Depuis un an, à la demande de la ministre de la culture et de ses services, une attention toute particulière a été portée à des projets scientifiques proposés par les opérateurs. Dix ans après l'adoption de la loi, il ressort clairement que, à l'occasion du renouvellement de leur agrément, certains services de collectivités territoriales ont la capacité de réfléchir à un véritable projet scientifique, de réaliser un bilan de leur personnel, de prévoir, éventuellement, un plan de formation et de s'associer avec des équipes universitaires ou du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ces démarches et réflexions se font dans l'intérêt de tous.

Nous avons également constaté, au CNRA, qu'il était aisé de distinguer les collectivités territoriales ayant une véritable envie de s'investir, de celles pour lesquelles l'activité archéologique n'était qu'anecdotique. Ce constat a encore été fait récemment : le service départemental du Pas-de-Calais, par exemple, a été capable de fournir un dossier scientifique de qualité. L'ancien président du Comité national du CNRS, rapporteur de ce dossier, en a confirmé le haut niveau d'exigence. Ceci nous fournit un exemple de collectivité capable de s'investir, de constituer un dossier solide, et dès lors, de justifier son intervention.

Il en est de même pour les opérateurs privés : certains ont fait la preuve de leur capacité à fournir un dossier scientifique, atteignant le niveau d'exigence qui a été évoqué tout à l'heure ; d'autres, malheureusement, n'ont pas été en mesure de réaliser cette ambition scientifique. C'est là un point faible de la loi de 2003. Un exemple récent a trait à un opérateur privé dont nous avons pu constater, à l'occasion du renouvellement de son agrément, qu'il n'était pas en situation d'équilibre financier. Par ailleurs, cet opérateur, dans le but de faire des bénéfices, proposait ses services pour intervenir sur le terrain, alors qu'il n'avait pas rendu de rapport de fouilles, que le mobilier d'autres opérations était laissé en deshérence, et que le personnel qualifié avait fui la structure agréée et migré vers une entreprise où l'exigence archéologique était davantage respectée. Dans cette opération, par le biais d'un système complexe, on constate que le moins-disant l'emportait. Parmi les opérateurs privés, il est donc également possible de distinguer ceux qui ont une véritable ambition de recherche conformément à ce que prévoit la loi de 2003 et ceux qui ne l'ont pas. Aujourd'hui, un élément clé pour faire respecter ce niveau d'exigence est le contrôle scientifique et technique des opérations de terrain, mais également les missions d'évaluation de la recherche, qui concernent les opérateurs privés et les collectivités territoriales, mais également l'INRAP. Son conseil scientifique, ainsi que sa programmation interne, ont d'ores et déjà été évoqués. Le fait que l'INRAP soit doté d'un conseil scientifique et d'une programmation interne est un élément positif. Il convient cependant que cette programmation réponde à des attentes nationales, notamment celles du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, et que ses travaux et ses missions s'inscrivent dans le cadre plus large de la recherche archéologique dans notre pays.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion