Mes chers collègues, j'ai souhaité, avec notre collègue Michèle Demessine, vous présenter le déplacement d'une délégation du groupe d'amitié France-Palestine que j'ai conduite, dans les territoires palestiniens, au cours de la première semaine du mois de mars dernier. Cette délégation comprenait, outre notre collègue Michèle Demessine, notre collègue Esther Benbassa, qui s'excuse de ne pouvoir être présente, ce matin, parmi nous. Je voudrais les remercier l'une et l'autre, comme l'ensemble des membres du groupe d'amitié, pour leur participation à ces travaux.
Aujourd'hui, vous le constatez toutes et tous, la question palestinienne a été balayée par une actualité diplomatique dense, et, comme nos interlocuteurs l'ont souligné sur place, « le conflit israélo-palestinien est peu à peu sorti des écrans radars des pays occidentaux ». Pour autant, le moment dans lequel s'est inscrit ce déplacement fut particulièrement important. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité témoigner devant vous, aujourd'hui, des enseignements que nous tirons de nos entretiens et visites.
Je reviendrai d'abord sur le contexte. Nous nous sommes rendus en Palestine à la demande, notamment, de l'Ambassadeur de Palestine en France, Son Excellence Al Fahoum. Nous souhaitions initialement faire un point sur les négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens, qui, après trois ans de blocage, avaient été relancées à la fin du mois de juillet 2013, à Washington, grâce à une forte impulsion du Secrétaire d'Etat américain John Kerry. Ce dernier avait alors établi un calendrier de neuf mois pour parvenir à un accord, avec une fin théorique programmée fin avril 2014. Arrivant sur place à la fin du round de négociation, nous avons souhaité évaluer au mieux les espoirs, mais aussi les blocages, que suscitaient ces discussions de haut niveau.
Nous le savons bien, le conflit syrien, les troubles politiques en Egypte et le conflit nucléaire en Iran ont été les points focaux de la région au cours des trois dernières années. Pourtant, l'initiative américaine de relance du processus de paix israélo-palestinien a revêtu un caractère inédit, du fait de l'implication de l'administration Obama. L'échec sur lequel ont débouché ces séries de négociations diplomatiques peut être expliqué par nos constats sur le terrain.
Quels ont été ces constats ? D'abord, des blocages politiques profonds. Nous avons observé un blocage évident des négociations sur les cinq questions du statut final, celles des frontières, de la sécurité, de Jérusalem, des réfugiés et de l'eau. Et, vous le savez désormais, ces blocages ont conduit à une suspension des négociations, puisqu'après le refus d'une ultime libération de prisonniers palestiniens par Israël, qui dans un premier temps en avait pourtant accepté le principe, la partie palestinienne a annoncé son souhait de ratifier une série d'accords et de conventions internationales, provoquant, par là même, l'ire des Israéliens.
Néanmoins, il nous apparaît important de dire qu'aujourd'hui la partie palestinienne est disposée à de nombreuses concessions : une souplesse sur la question des réfugiés, en s'accordant sur le non-retour de la totalité d'entre eux et le versement de réparations ; l'acceptation d'échange de territoires, entérinant ainsi l'existence de certaines enclaves de colonisation ; la démilitarisation du futur État palestinien ; la désignation de Jérusalem comme ville « ouverte », sous contrôle international... Toutes ces concessions ont été présentées et répétées par M. Mohammed Chtayyeh, négociateur en chef avec la partie israélienne.
A ces concessions, pourtant, Israël a répondu par plusieurs blocages, à commencer par la demande de reconnaissance, par la Palestine, d'Israël comme État juif. Cette demande, qui, par exemple, n'a pas été adressée à l'Égypte lorsque celle-ci a reconnu Israël, apparaît comme une condition intenable pour la partie palestinienne, puisqu'elle tend à entériner de fait un non-retour des réfugiés. Aussi, l'Autorité palestinienne demande à Israël de chercher à se faire reconnaître comme État juif par les Nations unies, mais pas unilatéralement par les Palestiniens.
En outre, Israël, comme je l'ai indiqué, refuse la libération d'un dernier groupe de prisonniers palestiniens, libération dont le principe avait pourtant été accepté, initialement. L'armée israélienne est maintenue dans la Vallée du Jourdain. Surtout, Israël poursuit sa colonisation à un rythme très intense, notamment à Jérusalem-Est.
Ce dernier point constitue, à nos yeux, le facteur de blocage certainement le plus lourd. Aujourd'hui, en effet, la colonisation dans les territoires palestiniens occupés et dans Jérusalem-Est, annexée en 1967, s'accroît de manière préoccupante. Cette démarche, qui contrevient au droit international, met en danger la solution d'une paix fondée sur deux États. Cet enjeu nous a notamment été présenté par l'ONG israélienne « Ir Amein » : les transformations de la géographie du peuplement dans les territoires occupés rendent désormais complexe la construction de deux États, tant les colonies mitent le territoire palestinien au sein des frontières de 1967 et rendent quasiment impossible une continuité territoriale palestinienne.
Les derniers projets de colonisation, les plus importants, notamment le projet « E1 », à l'est de la vieille ville de Jérusalem, risquent d'empêcher tout retour en arrière, tant les projets immobiliers sont vastes. Dans le même temps, les permis de construire pour les Palestiniens de Jérusalem-Est sont bloqués et les destructions sont légion. À présent, 200 000 Juifs vivent à Jérusalem-Est, et un réseau de routes réservées et de tunnels relient entre elles les colonies et les connectent aux routes principales israéliennes.
En clair, la solution à deux États est compromise. Sur place, nos interlocuteurs ont insisté sur le fait que nous nous trouvons à un point de « non-retour ». Encore une ou deux années de colonisation à ce rythme, et la solution à deux États risque de n'être plus qu'une idée inapplicable sur le terrain. C'est pourquoi l'Europe et les États-Unis, qui condamnent avec la plus grande fermeté la colonisation dans les territoires occupés, doivent agir.
Par ailleurs, notre déplacement a été l'occasion de constater que la situation économique et financière de l'Autorité palestinienne reste particulièrement précaire. Le ralentissement économique se confirme, avec un taux de croissance passé de 5,9% en 2012 à 2,5% en 2013. Malgré l'aide financière internationale, dont celle de la France (à hauteur de 43 millions de dollars), l'Autorité palestinienne ne parvient qu'à parer au plus pressé, et les conditions de développement d'une économie viable ne sont pas réunies. Le taux de chômage dans les territoires palestiniens, qui s'élève à 23,7%, connaît une hausse préoccupante : il atteint 43,1% chez les jeunes de 20 à 24 ans.
Ce qui étouffe l'économie palestinienne, ce sont la colonisation et les mesures de sécurité israéliennes. Nos rencontres avec des hommes d'affaires et industriels palestiniens nous ont notamment permis de constater que les contrôles des permis de construire par l'administration militaire israélienne, les contrôles des exportations, ainsi que les restrictions de circulation des personnes et des biens, sont autant d'entraves au développement de l'activité économique, et que ces entraves vont croissant, empêchant toute possibilité de reprise économique dans les territoires occupés.
Au-delà de la situation économique, je souhaite évoquer devant vous l'inquiétante situation des droits de l'Homme. Notre Consul général à Jérusalem a longuement évoqué avec nous sa crainte que, sur cet aspect, la situation ne se détériore encore davantage. Lors d'une session de travail avec la communauté des organisations humanitaires, on nous a présenté un alarmant panorama.
Les organisations internationales et les ONG s'accordent à dire que la situation humanitaire se dégrade fortement dans les territoires occupés, principalement en zone C (sous contrôle total de l'armée israélienne, soit 62% des territoires occupés) et à Gaza. Les destructions de constructions réputées « illégales », qui visent notamment des communautés bédouines ou troglodytes en zone C, sont en hausse. Les projets humanitaires internationaux, qui font l'objet de procédures d'approbation lentes et aléatoires, sont parfois menacés par l'armée israélienne. Ainsi, à la suite de la destruction par Tsahal de tentes fournies aux bédouins palestiniens, voici quelques mois, le Comité international de la Croix Rouge a, pour la première fois, évoqué la suspension de ses activités en zone C.
Je reprends les mots de notre rapport écrit et j'y insiste : ces éléments de violence à l'endroit des travailleurs internationaux et autres volontaires sont nouveaux et inquiétants. Et nos diplomates souhaitent que la représentation nationale en soit informée.
De surcroît, la communauté des humanitaires s'alarme de ce que Gaza disparaît peu à peu de l'information internationale et donc, corollairement, de l'aide internationale. La situation sur place, d'après les associations humanitaires rencontrées, puisque nous ne nous y sommes pas rendus, est particulièrement tendue ; et ces associations n'y opèrent qu'avec difficulté. Le territoire enclavé ne dispose que de huit heures d'électricité par jour. Le blocus imposé par l'armée israélienne sur les matériaux de construction nécessaires sur place rend les conditions de vie précaires. La situation humanitaire se dégrade fortement, et l'armée égyptienne a intensifié ses opérations de destruction des tunnels, entre Gaza et la péninsule, par lesquels transitent armes, personnes, mais aussi flux commerciaux, provoquant ainsi l'étouffement de cette enclave palestinienne.
Vous le comprendrez, si nous avons souhaité témoigner, c'est que ce que nous avons vu, lors de notre déplacement, dépasse largement ce qui est relaté, en général, de la situation dans les territoires palestiniens. Nous avons été saisis par la volonté de concessions de la partie palestinienne, et attristés par le plus grand point de blocage que constitue la prolongation d'un mouvement sans précédent de colonisation israélienne. Si la paix est introuvable, pour reprendre le titre de notre rapport, la situation sur place pourrait se dégrader très rapidement, avec la fin de la possibilité d'une solution à deux États, l'accroissement de la violence des colons, et même, selon les craintes de certains responsables palestiniens, une explosion de violence en Cisjordanie.
Depuis notre retour, nous avons appris la fin du processus officiel de discussions entre Israël et la Palestine, et la ratification de conventions internationales par l'Autorité palestinienne pour opposer à Israël l'illégalité de son occupation. À ce contexte tendu est venue s'ajouter la surprise de la réconciliation inter-palestinienne. La nomination d'un gouvernement technique chargé de préparer les prochaines élections ne peut qu'être saluée après des années de division. Contrairement à la volonté israélienne, les États-Unis se sont déclarés disposés à travailler avec ce « cabinet technique », tout comme l'Union européenne.
Cependant, rien n'est résolu, et nous pensons que l'Union européenne, et la France en particulier, ont toute leur place à jouer dans la diplomatie entre les deux parties. Je veux d'ailleurs saluer, à cet égard, l'initiative du Pape François, dimanche dernier, au Vatican. Nous ne pouvons pas abandonner les revendications palestiniennes de construire leur État aux côtés d'Israël dans des frontières sûres. Mais puisqu'aucun règlement de paix ne sera trouvé sans que cesse la colonisation illégale de la Cisjordanie, nous devrions peser pour que notre ministre des affaires étrangères pousse plus avant la condamnation de cette colonisation.