Je me souviens que vous m'aviez invité en mars 2012 ; je suis depuis resté disponible pour le Sénat comme pour l'Assemblée nationale. La tradition d'audition des commissaires européens que vous avez créée devrait être systématisée.
Je ne sais quelle leçon vous tirez de ce qui s'est passé le 25 mai ; mais faute qu'il ait eu lieu avant l'élection, le débat doit être engagé maintenant : rétablissons le lien entre ce que nous faisons à Bruxelles et à Strasbourg, dans ce jeu institutionnel européen un peu complexe, et les enjeux nationaux. Ce lien passe d'abord par les parlements nationaux : ils doivent utiliser leur capacité d'écoute et d'influence pour reconnecter ces deux débats, faute de quoi il ne faudra pas s'étonner que les choses s'aggravent encore.
Je suis très heureux de venir pour rendre des comptes, d'autant que je n'attache pas moins d'importance à l'effet de suivi qu'aux effets d'annonce. Quatre ans, c'est un temps suffisant pour tirer les leçons de la crise qui en 2008 a failli faire tout exploser ; mais c'est aussi l'occasion de dire quelle est la valeur ajoutée de l'action européenne face à une telle crise. Nous nous trouvions dans une situation d'instabilité et de volatilité générales sur les marchés ; beaucoup d'épargnants craignaient à juste titre pour leur patrimoine et la zone euro était au bord de l'implosion. Je me souviens des questions que l'on me posait ; je serai demain soir à Washington, pour la huitième fois depuis le début de mon mandat, et j'y ai souvent entendu demander : « Quand la zone euro va-t-elle exploser » ?
Les responsabilités sont partagées : il y a eu le choc externe, massif, venu des États-Unis et du comportement irresponsable de certaines banques, des bonus inexplicables sinon par la prise de risques que l'on fait payer finalement au contribuable, de l'absence de supervision, des produits toxiques, de la dérégulation générale - encouragée d'ailleurs par l'Europe pendant trente ans, gouvernements de gauche et de droite confondus -, une confiance excessive dans l'autorégulation, enfin l'absence d'une gouvernance mondiale, que sont venues pallier en 2008 et 2009 les réunions du G 20.
Au-delà de ce choc externe, la crise a révélé d'un coup toutes les faiblesses de l'Europe, notamment celle que Jacques Delors avait clairement identifiée au début de l'euro : on ne peut avoir l'union monétaire dans la désunion économique, budgétaire et fiscale. À ces faiblesses collectives touchant la gouvernance de la zone euro, aggravées par le défaut de supervision et de régulation financière, se sont ajoutées celles de chacun des États membres. La crise l'a bien montré : l'Europe est une zone où le problème de l'un devient très vite le problème de tous ; cela est vrai des banques et des États, et pas seulement de la Grèce.
Il est clairement apparu que, face à ce risque systémique, il n'y avait pas de bonne réponse nationale. Dans un monde globalisé comme l'est celui de la finance, nous devons élaborer une réponse européenne et collective. J'ai eu la preuve qu'aucun régulateur national ne peut à lui seul encadrer les produits dérivés, dont la masse se monte à 600 000 milliards de dollars, dont la plupart sont sous la table - over the counter, de gré à gré. Nous avons commencé à changer cela, en imposant des règles : la transparence, l'enregistrement et la compensation de ces produits dérivés. Mais un seul régulateur ne peut maîtriser de tels échanges ; pire, il y a lieu de craindre que si les superviseurs nationaux restent juxtaposés, leur action ne soit contre-productive : certains superviseurs ont ainsi demandé aux banques de leur pays de cantonner leurs actifs dans les frontières nationales, ce qui a limité les possibilités de financement transfrontalier et fragmenté le marché interbancaire au détriment des entreprises et des particuliers.
Face à une crise globale, la réponse doit être au moins européenne. Je m'y suis consacré depuis quatre ans et demi, avec mon cabinet et mes équipes : nous avons présenté et fait voter quarante et une lois de régulation financière...