Intervention de Michel Barnier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 juin 2014 : 2ème réunion
Audition de M. Michel Barnier commissaire européen chargé du marché intérieur et des services

Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services :

Toutes n'ont pas la même importance, beaucoup étant des lois d'application. Mon objectif a été de créer un unique cadre réglementaire pour les vingt-huit pays : only one single rule book, y compris pour le Royaume-Uni et tous les pays qui ne sont pas dans la zone euro. Quant à l'union bancaire, elle consiste à mettre en oeuvre dans la zone euro, où nous avons un risque systémique et une solidarité obligée entre banques et États, les mêmes règles bancaires qui s'imposent aux autres, mais appliquées de manière intégrée et beaucoup plus efficace, en un mot fédérale.

Lors de mon arrivée en 2010, ma priorité a été de mettre en oeuvre le rapport de Jacques de Larosière sur la supervision. Les trois autorités de régulation qu'il prévoyait étaient plutôt des coordinations de superviseurs nationaux : l'Autorité bancaire européenne (ABE), l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP). Vous avez la mémoire de cette période très grave, vous mesurerez donc à quel rythme les esprits évoluent : il était à l'époque inimaginable d'aller plus loin que la création de ces trois autorités. L'idée de Jacques de Larosière de créer un seul superviseur pour la zone euro semblait irréalisable ; pourtant cela a été possible deux ans plus tard en raison de la gravité de la crise. Nous avons créé ces trois autorités et le Comité européen du risque systémique.

La sous-capitalisation des banques a trouvé sa réponse dans la mise en oeuvre de Bâle III, les marchés dérivés ont fait l'objet du règlement EMIR (European Market Infrastructure Regulation) et l'union bancaire a imposé l'application rigoureuse et homogène de ces règles aux 6 200 banques de la zone euro, qu'il s'agisse de leur supervision cohérente par la BCE avec un même manuel ou de la résolution bancaire, c'est-à-dire de la mise en faillite ordonnée des banques, afin que les banques payent pour les banques quand elles sont en difficulté, pas les contribuables.

Vous avez suivi tout cela avec attention, et j'ai toujours été très heureux de lire et d'utiliser les rapports du Sénat - je pense notamment à celui de François Marc de février 2014 et à celui de Richard Yung sur le mécanisme de résolution unique ; vous êtes toujours les bienvenus à Bruxelles.

Par rapport à l'agenda que je m'étais fixé et que j'avais annoncé devant le Parlement européen en janvier 2010, nous avons réalisé 80 % de notre objectif. Restent trois points : faire adopter, tout d'abord, les 20 % des textes de régulation financière que j'ai présentés au nom de la Commission européenne et qui sont dans le pipe-line législatif du Parlement européen et du Conseil. Ainsi la réforme structurelle des banques, qui concerne les vingt-neuf plus grandes d'Europe : chacune a un bilan tellement lourd par rapport au PIB des pays où elle se trouve - parfois équivalent, sinon supérieur - qu'une difficulté pour l'une d'entre elles créerait un problème systémique auquel les législations nationales ne sauraient répondre. Les quelques critiques qu'a suscitées en France la création de ce cadre européen ne m'empêcheront pas d'avancer.

Deuxièmement, le système bancaire parallèle ou shadow banking, au sujet duquel j'ai présenté plusieurs textes qui doivent être adoptés. La tâche est très lourde, étant donnée l'amplification des transactions sur le marché parallèle. Je ne le condamne pas idéologiquement, car il rend à l'économie et aux territoires des services que le secteur traditionnel n'a pas rendus, mais il doit être régulé et astreint à des règles de transparence. Cela doit devenir la première tâche du G 20, maintenant que l'essentiel de ses recommandations ont été mises en oeuvre par chacun de ses partenaires.

Il faut prendre garde à un certain essoufflement de la régulation financière et à l'idée que, la crise étant finie, on serait revenu au business as usual. Loin s'en faut : les lois que nous avons fait adopter ne sont pas toutes opérationnelles et de grands secteurs appellent des règles nouvelles. Ne relâchons pas nos efforts et n'ayons pas la mémoire courte, dans un contexte général où les taux sont historiquement faibles et où les liquidités très abondantes peuvent inciter certains acteurs à prendre des risques non contrôlés.

Le troisième texte auquel je tiens beaucoup porte sur les indices, comme l'Euribor, qui donnent lieu à des manipulations scandaleuses. J'espère qu'il sera adopté avant la fin de l'année.

Ces réformes, parfois très techniques, doivent être mises en oeuvre ; peut-être faudra-t-il, au terme de leur nécessaire évaluation, revoir à la hausse certains de nos accords politiques. Mes textes contiennent pour cela beaucoup de clauses de revue et d'évaluation avec des périodes transitoires : ainsi celui sur les hedge funds, particulièrement pertinent dans le contexte actuel, celui sur l'audit, dont la réforme n'a pas été à la hauteur de ce que j'aurais souhaité ou encore ceux sur les agences de notation.

Il faudra enfin observer l'impact de cette législation sur l'économie ; nous avons pour l'instant vu celui, dramatique, de l'absence de régulation. J'ai veillé très précisément au triple calibrage de chacun de ces textes, pour qu'ils soient efficaces et justes, cohérents entre eux et propices à la coordination transatlantique - c'est pour cela que je vais demain pour la huitième fois aux États-Unis : il s'agit de veiller à ce que ceux qui ont pris les mêmes engagements pour réguler la finance internationale mènent bien, dans le même temps, des actions parallèles.

Le rétablissement de la stabilité et de la confiance des marchés financiers, dont nous sommes trop dépendants, est la condition préalable de toute initiative de croissance et de relance économique. Nous y sommes presque parvenus : le Conseil européen du 29 juin 2012 - le premier auquel ait participé le président Hollande - a réuni toutes les réponses à la crise, et y a ajouté l'union bancaire et le volet de croissance. Cette réponse très forte a rendu à l'Europe un peu de calme et de sérénité ; c'est pourquoi je me suis attaché immédiatement après à mener à bien l'union bancaire ; j'ai proposé en septembre suivant la première proposition sur la supervision, moins d'un an après celle sur la résolution et, moins de deux ans après, tout avait été voté, ce qui dans le temps démocratique européen est extrêmement rapide.

Il s'agit maintenant de relancer la croissance. Le marché unique - 500 millions de consommateurs, 22 millions d'entreprises - est dans une situation paradoxale : il serait la première victime de la crise si elle entraînait le retour du protectionnisme, mais il est aussi le premier atout pour sortir de la crise. Pourvu que son fonctionnement s'améliore, on peut y trouver deux à trois points de croissance supplémentaire, sans sortir de chez nous : nous n'avons pas d'excuse pour ne pas aller la chercher. C'est pourquoi j'ai établi un agenda de cinquante mesures très concrètes : le brevet unique que les entreprises attendent depuis des années, la simplification des marchés publics pour ne plus en détourner les PME, le e-commerce, la signature électronique, ou encore l'entreprenariat social - une entreprise sur quatre qui se créent en Europe appartient au secteur de l'économie sociale et solidaire, dont Bruxelles ne s'était jamais vraiment occupé. Cela est vrai aussi de toutes les formes nouvelles de financement, comme le crowdfunding - le financement participatif.

L'agenda prioritaire de la croissance et du financement de long terme contient de nouvelles idées que nous testons : une bonne titrisation, contrôlée, serait notamment un outil pour faciliter le financement des PME et permettre à l'économie de trouver des prêts bancaires. On peut en créer un marché actif et bien régulé.

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