Intervention de Gérard Miquel

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 juin 2014 : 2ème réunion
Nocivité du diesel pour la santé — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Gérard MiquelGérard Miquel, rapporteur :

La proposition de loi qui nous est soumise vise à instaurer une taxe additionnelle de 500 euros à la taxe sur les certificats d'immatriculation des véhicules dont le moteur fonctionne au gazole.

L'objectif de notre collègue Aline Archimbaud est de réduire les émissions de substances polluantes liées au diesel, dans un souci de santé publique, pour répondre au constat scientifiquement prouvé selon lequel les substances polluantes, et tout particulièrement les particules fines, très nocives pour la santé, sont à l'origine de milliers de décès prématurés. C'est d'ailleurs pourquoi des directives européennes fixent des niveaux maximum de particules admissibles dans l'air - régulièrement dépassés dans nos grandes agglomérations.

Les véhicules diesel, majoritaires au sein du parc automobile français, sont une des sources d'émission de particules. Relevons que le niveau d'émission varie beaucoup selon l'âge et la technologie du véhicule diesel. La pollution aux particules est particulièrement le fait des véhicules anciens, soit sept millions de véhicules représentant 27 % du parc en circulation.

Les progrès technologiques et l'évolution de la réglementation européenne ont rendu les nouveaux véhicules diesel légers beaucoup plus performants en matière d'émissions de substances polluantes. Depuis la norme Euro 5 de janvier 2011, les filtres à particules sont obligatoires sur les véhicules diesel et des seuils d'émissions de particules identiques, en masse et en nombre, sont fixées pour les moteurs diesel et essence. J'ajoute qu'avec l'application de la norme Euro 6 à tous les véhicules neufs mis en circulation à compter du mois de septembre 2014, l'écart de pollution liée aux oxydes d'azote entre essence et diesel sera ramené à 20 mg/km, contre 350 mg/km environ au début des années 2000 dans le cadre de la norme Euro 3.

Un exemple concret permet de mesurer l'ampleur des progrès réalisés dans la réduction des émissions de substances polluantes au fil de normes Euro toujours plus exigeantes : un véhicule diesel léger respectant les normes Euro 5 et 6 émet une masse de particules 600 fois plus faible qu'un véhicule Euro 1, datant des années1992-1996. Autrement dit, il faut 600 véhicules diesel Euro 5 et 6 pour émettre autant de particules qu'un seul véhicule diesel ancien. Le problème de la pollution liée au diesel concerne donc d'abord les véhicules les plus anciens.

Pour être complet, il me faut préciser que, contrairement aux véhicules légers, les véhicules lourds tels que camions, bus, engins de travaux publics ont été très tôt équipés de systèmes avec réservoirs d'urée captant le dioxyde d'azote. En revanche, ils émettent encore beaucoup de particules fines, car le filtre à particules ne leur a été imposé que depuis 2005. Il conviendrait de mettre en place un système de contrôle pour vérifier la fiabilité de ces équipements au cours du temps.

Le dispositif proposé par notre collègue Aline Archimbaud est une taxe additionnelle de 500 euros sur les cartes grises des véhicules diesel, dont le montant serait revalorisé chaque année de 10 %. Cette taxe atteindrait ainsi 1 297 euros au bout de dix ans, et 3 364 euros au bout de vingt ans.

Je comprends l'inspiration de ce dispositif qui répond à une préoccupation de santé publique ; il appelle toutefois un certain nombre de remarques.

Tout d'abord, l'assiette de la taxe est très large et n'est pas définie avec suffisamment de précision. Elle ne détermine pas quels véhicules sont concernés et traite donc de manière équivalente les différents types de véhicules - véhicules particuliers, véhicules utilitaires légers, poids lourds - quel que soit leur tonnage, leur âge ou leur usage - transport de marchandises, de voyageurs, véhicules utilisés par les activités artisanales, engins de chantiers, véhicules à usage agricole - indépendamment de leur niveau d'émission de particules.

Ensuite, une ambiguïté demeure sur le champ d'application de la taxe : je crois comprendre que les auteurs de la proposition de loi souhaitaient en limiter l'application aux seuls véhicules neufs, et en exempter les véhicules d'occasion. Cependant, la rédaction proposée aboutit à taxer tous les véhicules fonctionnant au gazole, qu'ils soient neufs ou d'occasion, puisqu'elle s'applique à toutes les délivrances de certificats d'immatriculation et non au seul premier certificat délivré.

La taxe serait recouvrée comme un droit de timbre et s'appliquerait six mois après la promulgation de la loi, pour un rendement estimé à 650 millions d'euros par an. En l'absence d'information sur le marché des véhicules diesel d'occasion, ce chiffrage suppose que la taxe proposée porterait uniquement sur les achats de véhicules particuliers neufs.

Troisièmement, la taxe pose un problème de cohérence fiscale. Elle est contradictoire avec le bonus-malus. La coexistence des deux dispositifs pourrait aboutir à ce que certains modèles soient à la fois subventionnés et taxés ! Par exemple, une Peugeot 208 1,4 litre e-HDi serait pénalisée de 500 euros par la nouvelle taxe, tout en bénéficiant de 150 euros de bonus (barème 2014) en raison d'un niveau de CO2 de 87 grammes par kilomètre.

Il convient également de rappeler que le diesel n'est pas l'unique source d'émission de particules. Le domaine du transport dans son ensemble est responsable de 14 % des émissions de particules fines de moins de 2,5 micromètres (PM 2,5) au niveau national, contre 41 % pour le secteur résidentiel tertiaire et 31 % pour l'industrie manufacturière. On peut relever qu'un chauffage au bois très performant du point de vue environnemental selon le classement de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) produit annuellement autant de particules que 1 000 véhicules diesel récents. Ajoutons que les moteurs à essence à injection directe de dernière génération émettent eux aussi des particules.

Enfin, du point de vue des émissions de CO2, le diesel présente un avantage sur l'essence. Je rappelle à cet égard que les normes européennes portent à la fois sur les émissions de substances polluantes - ce sont les normes Euro - mais aussi sur les émissions de CO2, dans le cadre d'un règlement qui impose des objectifs particulièrement stricts - 95 grammes de CO2 par kilomètre à l'horizon 2020 pour les véhicules neufs - aux constructeurs automobiles, qui comptent sur le diesel pour les atteindre. C'est ainsi que l'on voit le parc automobile allemand, mais aussi américain, se diéséliser. Le diesel joue donc un rôle important dans la lutte contre le changement climatique, alors que le taux de CO2 dans l'atmosphère atteint des sommets. Ainsi, l'Organisation météorologique mondiale vient de révéler que, pour la première fois, la concentration de CO2 dans l'air que nous respirons a dépassé le seuil symbolique de 400 parties par mission (ppm) dans l'ensemble de l'hémisphère nord.

Or, la taxation de 500 euros sur chaque véhicule diesel ne permettrait pas aux constructeurs automobiles de rentabiliser les investissements réalisés pour atteindre les normes européennes, dans un contexte déjà difficile pour eux. En outre, l'application de la taxe se traduirait par des coûts supplémentaires liés à la reconversion de leur outil industriel afin de le mettre en mesure de répondre à la hausse non anticipée de la demande de véhicules à essence.

Mais une telle reconversion prend du temps, et, dans l'intervalle, cette offre pourrait être fournie par les constructeurs étrangers, alors que la compétition est particulièrement intense. Cette mesure aurait donc pour conséquence de fragiliser notre industrie automobile.

Enfin, la taxe vise indifféremment les véhicules anciens et les véhicules neufs. Elle ne cible donc pas spécifiquement les véhicules les plus anciens qui demeurent très présents dans le parc automobile, tout en étant de loin le plus polluants. Sa conséquence probable étant de ralentir le renouvellement du parc automobile en dissuadant les automobilistes roulant beaucoup de changer de véhicule, elle ne permettrait pas de réduire significativement et durablement les effets nocifs du diesel sur la santé.

Pour conclure, je pense que la fiscalité ne peut être qu'un outil parmi d'autres pour répondre au problème de santé publique posé par le diesel. Il ne me paraît pas opportun de créer une taxe de plus dans le contexte actuel, d'autant plus que son efficacité n'est pas démontrée. Je relève en outre que cette proposition de loi, qui porte sur un dispositif fiscal, ne respecte pas le principe du monopole des lois de finances.

Je crois que la meilleure manière d'améliorer rapidement la qualité de l'air en zone urbaine consiste d'abord à prendre des mesures ciblées sur les véhicules anciens - telle que la prime à la casse - pour accélérer le renouvellement, sachant qu'il faut environ huit ans pour renouveler 50 % et 20 ans pour renouveler 90 % du parc automobile. Mais en avons-nous vraiment les moyens ? Il s'agit, ensuite, de creuser la piste d'une évolution du bonus-malus pour introduire dans son barème une composante liée aux émissions de substances polluantes. Je compte pour ma part déposer un amendement en ce sens dans le prochain collectif budgétaire ou en loi de finances pour 2015. Le bonus-malus, qui ne tient compte aujourd'hui que des émissions de CO2, n'est pas complet : il faudrait lui ajouter un paramètre relatif à l'émission de particules fines.

Je remercie Aline Archimbaud de nous avoir permis de lancer ce débat. Toutefois, pour les raisons précédemment évoquées, je vous invite à ne pas adopter la présente proposition de loi. Je vous rappelle que si nous n'adoptions pas de texte, la discussion en séance porterait sur le texte de la proposition de loi tel que rédigée par ses auteurs.

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