Je vous remercie, Madame la présidente. Mon propos sera centré sur la façon dont le Conseil d'État cadre la question du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, notamment à l'occasion d'un avis rendu à l'automne 2012 à la demande du Gouvernement.
Le Conseil d'État était saisi des interrogations suivantes :
- Dans quelle mesure le législateur peut-il confier directement à des collectivités territoriales le soin d'édicter des mesures d'application d'une loi ?
- Les collectivités territoriales peuvent-elles, sur le fondement de l'article 72 de la Constitution, faire usage de leur pouvoir réglementaire sans y avoir été spécialement habilitées par la loi ?
- Comment s'articulent, pour l'application d'une loi, le pouvoir réglementaire du Premier ministre et celui des collectivités territoriales ?
- Dans quelle mesure le législateur peut-il, dans le cas d'une compétence partagée entre plusieurs collectivités territoriales, hiérarchiser les différents pouvoirs réglementaires locaux ?
- Le législateur peut-il édicter une disposition générale qui définirait les conditions et les limites dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent faire usage de leur pouvoir réglementaire ?
J'indique d'emblée le sens global de la réponse : oui, il est possible de doter les collectivités territoriales du pouvoir de fixer les modalités d'application de la loi, dans la limite de leurs compétences, compte tenu des spécificités locales et dans le respect des exigences constitutionnelles, en particulier le principe d'égalité. Mais cela ne peut se faire qu'au cas par cas et selon les matières. Il serait en revanche illusoire de rechercher une formule générale et transversale, à l'effet de doter les collectivités territoriales d'un pouvoir général d'adaptation des lois et décrets.
Une réponse analogue avait été faite à propos de l'art 1er de la proposition de loi déposée en 2011 par le sénateur Éric Doligé. Cette analyse a été confortée, depuis l'avis de novembre 2012, par l'examen de deux importants projets de loi de décentralisation : celui dont est issue la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, et le projet de loi en cours d'élaboration.
Pour clarifier la problématique, mais aussi pour tester la cohérence des réponses apportées, j'ai versé aux débats un schéma logique qui a la prétention de résumer l'approche que je vous propose. Ce schéma vous a été distribué.
Je commencerai par poser le problème. Aux termes du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités [les collectivités territoriales] s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences ». Cette précision sur le pouvoir réglementaire des collectivités a été introduite dans la Constitution par l'article 5 de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.
La nouvelle formulation énonce explicitement des règles dégagées dès avant 2003, tant par le Conseil d'Etat que par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision du 17 janvier 2002 sur la loi relative à la Corse - considérants 12 et 13 -, et constamment appliquées par la suite, par exemple : CC, 12 août 2004, loi relative aux libertés et responsabilités locales.
Le troisième alinéa de l'article 72, dans sa rédaction issue de la révision de 2003, s'est donc borné à énoncer explicitement, à consacrer, le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales dans son contenu et ses contours antérieurement admis par la jurisprudence des deux ailes du Palais-Royal.
Il n'y a rien en soi d'inconstitutionnel, ni même d'inhabituel, à ce que le législateur dote une catégorie de collectivités territoriales d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice d'une compétence déterminée.
Les compétences confiées par la loi aux autorités décentralisées ne se réduisent pas, en effet, à la capacité d'effectuer des opérations matérielles, de passer des contrats ou de prendre des décisions individuelles. L'exercice de la compétence transférée réside souvent dans le pouvoir de fixer des règles générales (il suffit de penser à la réglementation de l'urbanisme).
Il n'en reste pas moins que le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales n'est ni autonome, ni originel, comme l'est, en vertu de l'article 21 de la Constitution, celui du Premier ministre. En effet, l'article 21 ne fait, s'agissant du pouvoir réglementaire du Premier ministre, qu'une réserve : celle des prérogatives réglementaires que le Président de la République tient de l'article 13. L'article 21 ne réserve pas le pouvoir réglementaire reconnu aux collectivités territoriales par l'article 72. Il en résulte, selon une doctrine constante et constamment rappelée par les conclusions des rapporteurs publics des formations contentieuses du Conseil d'Etat, que le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, quoique potentiellement large in concreto, a un caractère constitutionnellement résiduel.
Par ailleurs, ce pouvoir réglementaire local doit se couler sans friction dans l'environnement juridique dans lequel se situent les collectivités : il doit respecter les lois et règlements, ainsi que les principes de valeur supra-réglementaire.
Parmi ces principes, une place spéciale doit être faite au principe d'égalité. Selon une jurisprudence constante, les conditions essentielles de mise en oeuvre des libertés publiques, la liberté de l'enseignement par exemple, et, par suite, l'ensemble des garanties que celles-ci comportent ne sauraient dépendre des décisions de collectivités territoriales et ainsi varier sur l'ensemble du territoire (n° 84-185 DC du 18 janvier 1985 ; n° 93-329 DC du 13 janvier 1994, loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales).
Le problème ainsi posé, je vais, dans un second temps, évoquer les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent être amenées à édicter des mesures d'application des lois. Le premier élément de réponse est dans l'importance décisive des dispositions prises au cas par cas par le législateur. Il appartient à chaque texte législatif régissant les compétences des collectivités territoriales de préciser les règles dont l'édiction est confiée aux collectivités territoriales pour l'exercice de cette compétence. Une telle dévolution du pouvoir réglementaire n'est justifiée que si - et dans la mesure où - la modulation qu'elle permet ne se heurte pas aux règles et principes constitutionnels, et plus particulièrement au principe d'égalité.
Aussi le principe d'égalité permet-il à la loi, selon les matières, d'attribuer aux collectivités territoriales un pouvoir réglementaire (qui va du régime des aides aux entreprises au barème des indemnités versées aux personnels locaux, en passant par les règles d'urbanisme local et la tarification des services publics locaux), la loi et le décret encadrant cet exercice de façon plus ou moins étroite selon le domaine. Il permet aussi d'attribuer seulement un pouvoir de gestion. Il peut, en outre, s'opposer à l'attribution de quelque pouvoir que ce soit, individuel ou réglementaire. Pour ne prendre qu'un exemple : l'éloignement des étrangers en situation irrégulière.
Il a été, par exemple, considéré par les formations consultatives du Conseil d'Etat que l'attribution et le suivi du revenu de solidarité active pouvaient être confiés aux départements, mais que les caractéristiques principales de son mode de calcul devaient, pour respecter l'égalité entre allocataires, être définies par une norme nationale. En matière de RSA, il n'y a donc pour l'essentiel, au niveau des départements, qu'une compétence de gestion...
Eu égard aux exigences des articles 34 et 72 de la Constitution, l'exercice d'un pouvoir réglementaire par les collectivités territoriales, pour l'exercice d'une compétence, devra être le plus souvent explicitement prévu par la loi et assorti par celle-ci de l'encadrement approprié. Il peut cependant résulter implicitement des dispositions législatives attributives d'une compétence ou aménageant une compétence déjà attribuée.
Un pouvoir réglementaire non expressément prévu peut être sous-entendu par le législateur. Ainsi en est-il lorsque le législateur confie aux régions, sans autre précision ni renvoi au décret d'application, le soin de distribuer des aides aux entreprises. Il est bien naturel en pareil cas, ne serait-ce que pour éviter l'arbitraire et par souci de transparence et de sécurité juridique, que chaque région s'impose des règles d'allocation et de suivi de ces aides et publie lesdites règles, autrement dit qu'elle règlemente.
Le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales peut également s'exercer sur le fondement, il est vrai imprécis, des clauses dites de compétence générale.
La clause de compétence générale a encore un avenir puisqu'elle n'est abolie par le projet de loi du printemps 2014 que pour les départements et les régions. Mais elle ne peut fonder un pouvoir réglementaire local que dans une double limite, qu'illustrent divers précédents :
- La matière doit être spécifiquement liée aux affaires de la collectivité, comme il en va de l'organisation et du fonctionnement d'un service public local ;
- Ce pouvoir réglementaire sans base textuelle précise, intéressant le fonctionnement de la collectivité ou de ses services publics, doit s'exercer dans le respect des lois et règlements, des compétences des autres collectivités territoriales et des principes de valeur supra-réglementaire (proportionnalité des contraintes, égalité...).
En revanche, il serait contraire aux articles 21 et 72 de la Constitution de confier aux collectivités territoriales le soin de fixer des règles d'application d'une législation qui ne régirait pas une compétence locale. Pour ne prendre que cet exemple, la loi ne saurait confier aux régions, aux départements ou aux communes le soin de fixer la durée minimale de l'entretien préalable à une décision de licenciement pour motif personnel (procédure dont les modalités sont aujourd'hui renvoyées au décret par l'article L. 1232-6 du code du travail).
J'en viens à l'articulation du pouvoir réglementaire des collectivités avec celui du Premier ministre. Celui-ci ne peut intervenir, en vertu du pouvoir réglementaire autonome qu'il tient de l'article 37 de la Constitution, dans les domaines afférents à la compétence des collectivités territoriales.
Il ne saurait le faire, en vertu des dispositions de l'article 34 de la Constitution relatives à la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources, que s'il y est habilité par le législateur.
Il appartient donc au législateur de définir le périmètre d'intervention des décrets d'application des lois touchant aux compétences locales avec une précision suffisante et dans le respect du principe de libre administration (en ce sens : CC, 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains).
C'est à chaque texte législatif qu'il revient d'articuler de façon cohérente les deux types de pouvoir réglementaire.
Les règles fixées localement par les collectivités territoriales devront respecter le cadre général fixé non seulement par la loi elle-même, mais encore par le décret d'application, si la loi l'y habilite.
De son côté, le décret d'application ne devra pas s'emparer des matières réglementaires que la loi a confiées aux collectivités territoriales.
Cette bonne articulation a des implications chronologiques : l'édiction des règles confiées par la loi aux collectivités territoriales ne devra pas intervenir avant la mise en place du cadre général dont la détermination est renvoyée par la loi au décret.
La « retenue » du pouvoir réglementaire national peut ouvrir un espace à l'intervention du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
- La loi a laissé au décret toute latitude pour fixer ses modalités d'application ;
- Elle n'a pas réparti de façon étanche les règles confiées au décret et celles confiées aux collectivités territoriales.
Il ne faut cependant pas se cacher que la situation résultant de l'abstention partielle du décret, comblée par les autorités locales, poserait problème si le décret complétait ultérieurement les règles initialement fixées par lui et affectait, ce faisant, les règles entretemps arrêtées par les collectivités territoriales.
Cette nouvelle intervention du pouvoir réglementaire national appellerait des précautions particulières, je pense à des dispositions transitoires évitant que soient brutalement privées d'effet les réglementations locales contraires aux nouvelles règles établies par décret.
L'absence de renvoi au décret par une loi régissant une compétence locale est interprétée par le juge administratif comme habilitant indirectement une collectivité territoriale à arrêter elle-même les règles qu'appelle l'exercice de cette compétence.
Mais cette règle connaît une limite : c'est qu'il n'apparaisse pas qu'un décret soit nécessaire.
Lorsque le législateur n'a prévu ni directement, ni indirectement, ni au plan national, ni au plan local, de mesure réglementaire d'application, mais que l'entrée en vigueur effective de la loi suppose nécessairement que certaines modalités soient fixées au niveau national, seul peut intervenir le pouvoir réglementaire d'application des lois de droit commun, c'est-à-dire le Premier ministre, pour fixer ces modalités.
Le décret d'application ne peut alors fixer que les précisions sans lesquelles la loi ne pourrait recevoir application et qui, pour des raisons logiques, matérielles ou tenant au respect d'exigences législatives ou constitutionnelles, ne sauraient être apportées au niveau local et ne peuvent l'être qu'au plan national.
Après celle de l'articulation avec le pouvoir réglementaire du Premier ministre, je vais maintenant aborder la question de l'articulation entre les différents pouvoirs réglementaires locaux Dans le cas de compétences partagées, il appartient au législateur d'articuler de façon cohérente l'exercice éventuel de plusieurs pouvoirs normatifs locaux. Il devra cependant éviter, ce faisant, de méconnaître la portée d'une compétence qu'il a attribuée à une catégorie de collectivité territoriale et n'entend ni lui retirer, ni transférer à une autre.
Il devra non moins éviter d'instituer une tutelle, prohibée par le cinquième alinéa de l'article 72 de la Constitution, d'une collectivité sur une autre.
Tel serait le cas si le législateur :
- conférait à une collectivité un pouvoir d'opposition, de réformation ou de substitution, en matière réglementaire, à l'égard d'une autre ;
- ou subordonnait l'exercice du pouvoir réglementaire d'une collectivité à l'approbation d'une autre ;
- ou permettait à une collectivité d'enjoindre à une autre de réglementer ;
- ou habilitait une collectivité à prescrire à une autre telle ou telle règle de procédure ou de fond pour l'élaboration de sa réglementation locale.
Je renvoie ici au considérant 22 de la décision du Conseil constitutionnel du 9 décembre 2010 (loi de réforme des collectivités territoriales) qui définit la tutelle d'une collectivité sur une autre :
- comme le pouvoir de la première de « substituer ses décisions » à celles de la seconde ;
- ou comme le pouvoir de la première de « s'opposer » aux décisions de la seconde ;
- ou encore comme le pouvoir, pour la première, de « contrôler l'exercice des compétences » de la seconde.
Le législateur peut-il hiérarchiser l'exercice des pouvoirs réglementaires locaux, de telle sorte qu'une catégorie de collectivités contraigne la latitude normative d'une autre catégorie ?
Cette question est difficile à trancher, car, en dépit de ses considérables implications pratiques, c'est celle qui est la moins explorée par la jurisprudence et par la doctrine.
Je ne crois une telle hiérarchie envisageable que dans l'hypothèse où le législateur confie une compétence principale à une catégorie de collectivités territoriales, et attribue, dans le même domaine, une compétence - obligatoire ou facultative - à une ou plusieurs autres catégories, en subordonnant l'exercice de cette compétence à un rapport de compatibilité avec les règles édictées par la collectivité investie de la compétence principale.
Tel est le cas des schémas divers établis, en vertu de la loi (lorsque les compétences sont enchevêtrées), par une collectivité « englobante ».
La contrainte que le schéma établi par une collectivité de niveau supérieur fait peser sur des collectivités de niveau inférieur n'a jamais été admise qu'en termes de rapports de compatibilité. Il en va ainsi, par exemple, des rapports de compatibilité que le législateur peut prévoir entre schémas d'aménagement et plans d'urbanisme, pour autant que les documents de rang supérieur ne fixent pas de règles d'une précision telle qu'ils déterminent nécessairement le contenu des documents de rang inférieur.
Les formations consultatives du Conseil d'Etat veillent à ce que les schémas établis par la collectivité « englobante » ne vident pas de leur substance, à force de précision, les compétences des collectivités englobées. Cet excès de précision est assimilable soit à une tutelle, soit à une atteinte à la libre administration de la collectivité dont la compétence est ainsi « étouffée ».
La loi elle-même ne saurait, sans méconnaître le principe énoncé à l'article 72 de la Constitution selon lequel aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre, soumettre à une obligation de stricte conformité à un schéma régional les actes des autres collectivités territoriales.
Pour éviter tout risque de méconnaissance de ce principe, le législateur doit préférer à l'obligation de conformité une obligation de compatibilité (qui, au demeurant, correspond mieux au rapport devant exister entre un schéma régional fixant des orientations dans tel domaine de l'action locale - aides aux entreprises par exemple - et les décisions prises, dans ce domaine, par les autres collectivités territoriales et leurs groupements).
L'articulation entre pouvoirs réglementaires de diverses collectivités territoriales peut désormais être prévue par le législateur en vertu des dispositions de l'article 72 de la Constitution selon lesquelles : « Lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune. ».
Sur ce fondement, la loi peut, parmi des collectivités territoriales ayant vocation à agir de façon coordonnée pour l'exercice d'une compétence, confier à titre principal le pouvoir réglementaire à l'une d'entre elles, la collectivité ainsi désignée étant appelée à fixer les modalités de leur collaboration, ainsi qu'à animer leur action commune.
En revanche, l'autorisation donnée par la loi à une collectivité d' « organiser les modalités de l'action commune » de plusieurs collectivités, au sens de l'article 72 de la Constitution, ne saurait lui conférer un pouvoir de décision pour déterminer seule cette action commune (Conseil constitutionnel, 24 juillet 2008, Loi relative aux contrats de partenariat, cons 30 à 33).
Il est donc prudent, pour le législateur, de ne prévoir un tel « chef de file » que sur la base du consentement des collectivités participantes. Et c'est en effet dans cette voie que s'est engagé le législateur depuis trois ans.
L'articulation entre pouvoirs réglementaires locaux peut également prendre la forme d'une délégation de compétences. À cet égard, l'article L. 1111-8 du code général des collectivités territoriales (CGCT), issu de l'article 73 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (et modifié par l'article 27 de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles) permet à une collectivité territoriale de déléguer par convention à une collectivité territoriale relevant d'une autre catégorie ou à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre l'exercice d'une compétence dont elle est attributaire.
Il est vrai que l'article L. 1111-8 du CGCT - qui n'a été contesté devant le Conseil constitutionnel ni en décembre 2010, ni - l'occasion étant fournie par sa modification - en décembre 2013 présente une certaine fragilité par rapport au considérant 57 de sa décision du 26 janvier 1995 (Loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire), aux termes duquel :
« (...) le législateur ne saurait renvoyer à une convention conclue entre des collectivités territoriales le soin de désigner l'une d'entre elles comme chef de file pour l'exercice d'une compétence ou d'un groupe de compétences relevant des autres sans définir les pouvoirs et les responsabilités afférents à cette fonction (...) »
Toutefois, aucun des mécanismes de délégation de compétences par une collectivité territoriale à une ou plusieurs autres ou à un organisme de coopération intercommunal, figurant dans la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, n'a été remis en cause par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014.
Ainsi, l'article 26 de la loi du 27 janvier 2014 (relatif à la métropole de Lyon, qui est une collectivité territoriale de plein exercice) prévoit, dans le cadre assez souple de l'article L. 3641-4 du CGCT, une possibilité conventionnelle de délégation de compétences de la région Rhône-Alpes à la métropole de Lyon. Or le Conseil constitutionnel, saisi de l'ensemble de l'article 26, n'a rien trouvé à redire au nouvel article L. 3641-4.
Le projet de loi en préparation étend encore les possibilités de délégations conventionnelles des compétences entre collectivités territoriales.
Le mécanisme de la délégation, comme celui du chef de filat, y compris lorsqu'ils portent transmission d'un pouvoir normatif, ont donc acquis droit de cité dans notre droit positif, moyennant un encadrement législatif plus ou moins strict selon les matières.
Au travers de ces mécanismes, le législateur semble entendre pallier l'impossibilité de déterminer des blocs de compétences clairs et distincts, ainsi que l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre. Instruments d'une « réforme par le bas », ils cherchent à adapter la répartition des compétences à la diversité des territoires.
Cette évolution a lieu sous le regard tacitement compréhensif du Conseil constitutionnel. Le prix à payer, pour cette évolution, est la complexité. Deux interrogations majeures à ce sujet :
- Tout d'abord, la pratique tiendra-t-elle la promesse des textes, notamment lorsque la procédure de passation des conventions est lourde et comporte des risques contentieux ?
- Par ailleurs, la nouvelle articulation, assez sophistiquée, des pouvoirs normatifs locaux (schémas, chefs de filat, délégations de compétence) pose un problème de publicité.
Aussi peut-on penser que la mise en oeuvre des « conventions territoriales d'exercice concerté d'une compétence » (article L. 1111-9-1 CGCT), par exemple pour le « schéma régional de développement touristique », de même que celle des délégations de compétence (article L. 1111-8) que pourra, par exemple, prévoir le « schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation », aboutiront à une dévolution des compétences des collectivités territoriales et de leurs groupements complexe et différente d'une région à une autre et d'un département à un autre.
Il faut assurer une accessibilité suffisante à tous ces schémas, conventions et délégations, et mobiliser, au-delà de la publication de ces actes « au fil de l'eau », les moyens, notamment électroniques, propres à permettre aux citoyens et à l'ensemble des usagers et des interlocuteurs des collectivités territoriales et de leurs groupements de savoir à quelle porte frapper.
Nous en arrivons ainsi à la dernière question : la possibilité d'une règle législative générale définissant le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. La réponse est nette : il est vain de chercher à définir, dans une disposition législative, générale et normative, les cas et conditions dans lesquels la loi peut confier aux collectivités territoriales un pouvoir réglementaire. Une telle disposition ne pourrait au mieux que tirer les conséquences nécessaires de la Constitution et n'aurait dès lors pas de portée normative propre. Mais la difficulté de sa rédaction la conduirait vraisemblablement à violer la Constitution, en retranchant ou en ajoutant à celle-ci.
Le législateur peut certes énoncer une évidence du type : « Le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse s'exerce dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi » (article L 4422-16 du CGCT) mais un tel énoncé, dépourvu de toute portée prescriptive, serait un « neutron législatif ».
Seuls permettraient de répondre aux critiques légitimes des élus locaux contre l'inflation normative un travail patient sur « le stock » et une discipline sur « le flux ».
À cet égard, il conviendrait de prévoir au cas par cas (en particulier dans le cadre de la codification pour le stock et dans celui de l'évaluation des normes pour le flux) des allègements ou adaptations. Ainsi, l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 pourrait être complété aux fins d'inclure dans les études d'impact les motifs pour lesquels sont ou non prévus :
- des mécanismes de modulation, d'adaptation ou de dérogation ;
- en fonction des caractéristiques des collectivités territoriales concernées ;
- par renvoi encadré aux décrets d'application ou par attribution aux collectivités territoriales d'un pouvoir réglementaire d'adaptation ou de dérogation.
L'étude d'impact aurait notamment à s'expliquer sur la répartition des modalités réglementaires d'application de la loi entre décret et collectivité territoriale au regard du principe de subsidiarité. Ce serait un moyen d' « activer » le principe de subsidiarité qui, depuis son insertion au deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution par la révision de 2003 (« Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon »), est resté quelque peu en sommeil.