En choisissant de s'intéresser aux emplois de l'avenir, notre délégation avait dans l'idée, peut-être un peu naïvement, de dresser une sorte de panorama des secteurs d'activités qui embaucheront demain les enfants qui sont actuellement en cours de formation.
Dans le contexte actuel d'un taux de chômage élevé, qui affecte tout particulièrement les jeunes, notre délégation espérait y trouver des signaux plus optimistes à l'intention des générations qui se présenteront d'ici dix ou quinze ans sur le marché du travail.
Notre objectif était d'essayer de dégager quelques grandes tendances et de nous assurer que le système de formation, initiale ou continue, se mettait déjà en phase avec les futurs besoins de recrutement.
La délégation m'ayant confié la lourde responsabilité d'établir ce rapport, j'ai conduit, depuis mars 2013, une soixantaine d'auditions, une visite en collectivité territoriale, ainsi que des déplacements à l'étranger, à Bruxelles et à Cologne. Nous y avons collecté un volume très impressionnant d'informations, de notes, de rapports, d'études en tous genres.
Ma première conclusion, à ce stade, est donc que nous ne souffrons pas d'un manque d'information. Ce serait même plutôt l'inverse : nous disposons d'une masse considérable de données provenant des innombrables intervenants, à des titres divers, dans le secteur de l'emploi et de la formation. Et encore, je suis bien conscient de ne pas avoir rencontré toutes les parties prenantes.
Nous avons à ce titre entendu les acteurs du court terme, Pôle emploi en premier lieu bien sûr, ainsi que les différents services des ministères concernés, de près ou de loin, par les questions d'emplois. J'ai également rencontré plusieurs instances représentatives du monde de l'entreprise ou de l'encadrement qui établissent, pour leur compte, des projections à court ou moyen terme. J'ai consulté les structures plus directement dédiées à la prospective de l'emploi sur longue période : le Conseil d'orientation pour l'emploi, la Dares, le Céreq. Enfin, j'ai interrogé les services de la Commission européenne et de l'OCDE pour essayer d'établir des comparaisons internationales et resituer la position de la France en Europe et dans le monde dans ces questions d'emploi et de formation.
Je dois dire que tous ces interlocuteurs, à l'aune de leurs sphères respectives de compétences, extrapolent le potentiel de tel ou tel secteur d'emploi. Leur raisonnement est parfois étayé de manière très scientifique, sur la base de statistiques par exemple, ou bien il procède de manière plus empirique, en fonction des activités qui sont dans « l'air du temps ». Or, ce ne sont jamais tout à fait les mêmes branches qui sont citées comme prometteuses.
Il se dégage toutefois deux grandes tendances présentes dans toutes les analyses : d'une part, en faveur des nouvelles technologies - l'informatique notamment. Nous savons qu'il manque déjà actuellement 30 000 à 40 000 professionnels dans ce domaine en France ; d'autre part, autour de tout ce qui relève au sens large de l'aide à la personne, y compris le secteur sanitaire et social, en raison du vieillissement attendu de la population française.
Nous savons également qu'il existe une pénurie d'ingénieurs dans des secteurs très technologiques de même que dans le domaine des professions intermédiaires, comme le métier de soudeur.
Pour le reste, qu'il s'agisse par exemple des emplois industriels, de certaines professions intermédiaires, des métiers verts liés au développement durable, les appréciations sont contrastées et parfois même divergentes. Cela ne nous simplifie pas la tâche, ni d'ailleurs celle des parents qui voudraient aider à la future orientation professionnelle de leurs enfants.
Ma deuxième observation nous a conduits à faire preuve d'humilité. En effet, en dépit de toutes ces analyses détaillées, nous ignorons en fait largement quels seront les métiers de demain. Avec l'évolution des techniques, des technologies, du numérique, de la robotique, et j'en oublie, entre un tiers et 70 % des métiers d'avenir - là encore, les chiffres divergent - sont encore inconnus aujourd'hui.
Évidemment, la question du candide que je suis qui en découle est la suivante : comment peut-on se former à des emplois dont on ignore à peu près tout ? Surtout si l'on ajoute que, avec l'accélération de notre société et de la mondialisation, ce que l'on apprend aujourd'hui sera souvent déjà obsolète deux ans plus tard.
La conclusion à en tirer est double à mon sens.
D'abord, il faut nous attendre, et ces tendances sont déjà à l'oeuvre, à une modification profonde des conditions selon lesquelles on travaillera demain. Horaires, environnement externe et interne à l'entreprise, localisation des emplois, déroulement des carrières : tout est en train de changer et nous devons impérativement intégrer cette dimension de mobilité à notre réflexion.
Ensuite, il nous faut remettre en question la nature des savoirs à enseigner à nos enfants, pour qu'ils acquièrent ce concept barbare d'« employabilité » qui leur permettra, demain, d'entrer sur le marché du travail. Par exemple, plutôt que de continuer à les former à des métiers très précis - qui peut-être n'existeront plus le moment venu - ne faudrait-il pas leur inculquer des compétences transversales, qu'ils sauront mobiliser quel que soit leur futur secteur d'exercice professionnel ? Je pense notamment à la maîtrise des langues étrangères et de l'informatique, à la compréhension des enjeux du développement durable, à la capacité de s'exprimer en public, à défendre un projet, à travailler en équipe.
Je m'interroge également sur la capacité de notre système éducatif à effectuer cette mutation, au moment où les enquêtes Pisa ou d'autres encore, mettent en lumière une dramatique dégradation du niveau scolaire des jeunes Français.
De la même manière, il m'est apparu que le dispositif de formation professionnelle initiale des jeunes, comme celui de formation des demandeurs d'emplois, restait trop ignorant des besoins réels des entreprises et pouvait encore orienter les uns et les autres dans des voies professionnelles sans débouchés ou non opérationnelles.
Ce qui est inquiétant par ailleurs, et j'en viens à ma quatrième conclusion, c'est que bon nombre des difficultés qui m'ont été signalées pendant que je préparais mon rapport ne sont pas nouvelles. Que l'on parle de l'image de marque des cursus professionnels dans l'opinion publique, l'apprentissage notamment qui reste trop souvent un choix par défaut, que l'on évoque les faiblesses nationales dans les secteurs scientifiques ou de l'ingénierie, que l'on déplore la place réduite des femmes dans certaines carrières, la fuite des cerveaux ou les inégalités devant la formation tout au long de la vie, que l'on mentionne le potentiel de développement du télétravail, tous ces sujets et bien d'autres sont discutés depuis longtemps sans qu'il en résulte d'améliorations spectaculaires. Que faut-il faire pour que les choses évoluent enfin ?
Tels sont, brièvement évoqués, les thèmes de réflexion que je souhaitais porter à votre attention, en remerciant nos intervenants du jour d'avoir accepté de nous aider à y voir plus clair.
Les débats sont animés par M. Julien Damon, professeur associé à Sciences Po.
Ont participé à ces débats Mme Sandrine Aboubadra, chef de projet prospective métiers et qualifications, Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) ; Mme Sabine Bessière, chef du département métiers et qualifications, Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) ; M. Damien Brochier, chef du département travail-emploi-professionnalisation, Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq) ; Mme Sandra Enlart et M. Olivier Charbonnier, cofondateurs de D-Sides, laboratoire d'innovation et de prospective, et co-auteurs de l'ouvrage À quoi ressemblera le travail demain ? ; Mme Isabelle Le Mouillour, responsable de l'internationalisation et du suivi des systèmes de formation professionnelle, Institut fédéral allemand de la formation professionnelle (BIBB) ; M. Pierre Lamblin, directeur du département études et recherches, Association pour l'emploi des cadres (Apec) ; Mme Sylvie Delattre, responsable de l'activité métiers au département études et recherches, Apec ; M. Matar Mbaye, directeur des formations et services, Centre national d'enseignement à distance (Cned) ; M. François Velu, directeur de l'unité d'affaires Langues et culture, Cned ; M. Fabrice Bergeron, responsable de la délégation à la prospective et à l'évaluation des politiques publiques, Conseil économique, social et environnemental (Cese).