Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi est née de l’analyse des très nombreuses auditions, consultations et observations faites à l’occasion de la préparation du rapport sur les polices municipales qui fut présenté à la commission des lois par mon collègue René Vandierendonck et moi-même. Le présent texte tend à mettre en place des réformes, des avancées que nous avions suggérées dans les recommandations émises au terme de ce rapport.
Le constat qui les avait précédées témoigne d’une évolution profonde de la mission de la police du maire. Subissant à la fois une crise de croissance et une crise d’identité, ces forces se différencient selon les besoins des territoires, les attentes de nos concitoyens et les missions qui leur sont confiées. C’est pourquoi notre rapport ne porta pas sur « la » police municipale mais s’attacha à examiner « les » polices municipales.
La crise de croissance tient à ce que cette dernière est assez impressionnante : en 1984, on comptait en France 5 600 agents municipaux affectés à cette mission, contre plus de 18 000 aujourd’hui. Tous statuts confondus, la police des maires représente un effectif global supérieur à 27 000 agents, soit plus de 10% des effectifs cumulés de la police et de la gendarmerie nationales.
La crise d’identité est engendrée par la différence entre les missions exercées et l’évolution de celles-ci. En matière de sécurité publique, les responsabilités sont, a priori, clairement établies : l’État en est le garant sur l’ensemble du territoire de la République, tandis que le maire est chargé de la police municipale, laquelle a, selon l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, « pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».
Sur le terrain, cependant, les compétences apparaissent plus floues, les dérives découlant d’un certain désengagement des forces régaliennes. Les effectifs se sont réduits au cours des dernières années, les implantations territoriales ont diminué. De ce fait, les maires doivent bien souvent pallier le retrait de l’État en étoffant leur service de police municipale.
Le paysage se révèle aujourd’hui confus, les rôles respectifs des uns et des autres sont brouillés ; des questions se posent quant au statut des personnels, aux modes opératoires, à la coopération entre les différents intervenants, à l’augmentation progressive des pouvoirs judiciaires des polices municipales.
L’ensemble de ces considérations conduit donc à s’interroger sur l’équilibre général des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. C’est pourquoi, avec mon collègue René Vandierendonck, après avoir procédé à un état des lieux des polices municipales, de leur cadre juridique, nous proposons quelques évolutions.
Certes, le cadre général des missions de toutes les polices municipales est posé par différentes lois, dont celle du 15 avril 1999, qui a étendu les missions et les compétences des agents, puis, par celles de 2001, de 2003, de 2007 et de 2011.
Pour autant, il existe une grande diversité des pratiques sur le terrain, la physionomie de chaque police municipale dépendant, pour l’essentiel, des décisions prises par le maire. Qu’y a-t-il en effet de commun entre la petite police municipale qui ne comprend que quelques agents et celle qui est dotée de très nombreux agents, d’un système de vidéosurveillance et d’un centre de supervision urbain ?
Traditionnellement, la police municipale doit d’abord assurer la mise en œuvre des pouvoirs de police administrative du maire, principalement tournée vers la prévention des troubles à l’ordre public, à seule fin d’assurer la préservation du « bien vivre ensemble ». Il s’agit donc de régler des conflits sociaux par la médiation, la persuasion, la dissuasion, en s’appuyant sur le sens civique des citoyens, une pratique qui domine encore dans de nombreuses communes, en particulier les plus petites.
Les gardes champêtres, dont les effectifs ont connu une érosion massive depuis un siècle, exercent des compétences souvent proches de celles des policiers municipaux, bien que davantage orientées vers les problèmes ruraux. Il est à souligner que le rôle qu’ils jouent dans le domaine environnemental – protection du patrimoine naturel, police de l’eau, des réserves naturelles et réglementation de l’accès à la nature – ira croissant.
Si l’activité traditionnelle de la police municipale est ainsi à dominante préventive, les règles du « bien vivre ensemble » impliquent une part de répression sous forme de contraventions prévues par la loi ou par des arrêtés municipaux. Ainsi, les agents des polices municipales verbalisent principalement les contraventions aux arrêtés de police du maire, aux codes de la route et les infractions à un certain nombre d’arrêtés pris en vertu de pouvoirs de police spéciale.
La diversité des compétences de la police municipale soulève la question de l’unité du corps chargé d’assumer la diversité des missions. Il lui est, en effet, possible de verbaliser des infractions couvrant un panel très large puisqu’il s’agit de sanctionner des manquements au code de santé publique, au code rural, au code de la voirie routière, au code des débits de boisson ou au code de l’urbanisme.
Force est de reconnaître que nous assistons depuis plusieurs années à un élargissement et à un certain « durcissement » de la notion de tranquillité publique, laquelle est expressément mentionnée par l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. Il est de plus en plus fréquent que les maires, quelle que soit leur tendance politique, développent une politique comportant une « dose » de répression plus forte, dans le but de lutter, d’une part, contre un « sentiment d’insécurité », d’autre part, de répondre aux sollicitations d’administrés qui tolèrent de moins en moins des comportements « incivils » eux-mêmes en progression.
Naguère considérés comme quelque peu obsolètes, les pouvoirs de police liés à la tranquillité publique sont réactivés et renforcés, avec de nombreux arrêtés municipaux dans le domaine de la prévention de la délinquance des mineurs ou de leur protection ; je fais là allusion aux arrêtés instituant, par exemple, un couvre-feu, aux dispositions prises pour lutter contre la mendicité agressive ou le racolage, contre la consommation d’alcool sur la voie publique, les rassemblements nocturnes, la circulation bruyante de véhicules à deux roues, voire les sonneries de cloches – je pourrais vous donner quelques exemples jurisprudentiels sur ce point !
Parallèlement à cette évolution, les polices municipales les plus importantes, par le nombre d’agents et l’extension de leurs fonctions, tendent à mettre moins l’accent sur l’îlotage et la présence sur la voie publique pour devenir plus réactives aux demandes des maires et des citoyens en matière de tranquillité publique. L’exemple emblématique est certainement celui de Nice, dont les 578 agents qui composent sa police municipale ont des missions si larges qu’elles se rapprochent de celles des forces nationales. Placée sous le signe de la réactivité et du professionnalisme, la police municipale niçoise est dotée d’équipements extrêmement modernes.
Le maire d’Évry illustre également cette évolution, considérant même que « la police municipale est le premier niveau de la sécurité, pas de la tranquillité ». Comme le souligne la sociologue Virginie Malochet, les habitants évaluent désormais la qualité d’une police municipale autant par sa capacité à répondre rapidement aux demandes que par sa présence visible sur le terrain.
Au-delà du renforcement des actions de « tranquillité publique », les missions des agents des polices municipales ont tendance à se rapprocher de celles des forces nationales en se « judiciarisant ».
Cette transformation accompagne un infléchissement des missions vers davantage d’interventions, de répression et de travail judiciaire. Au sein de certaines polices municipales, l’accent est ainsi mis de manière croissante sur la verbalisation, les flagrants délits, les interpellations suivies de mises à disposition de la police ou de la gendarmerie nationales, avec lesquelles elles sont en relation quotidienne. Il s’agit avant tout de faire appliquer les lois et de combattre vigoureusement la délinquance de voie publique.
En matière d’infractions routières, les policiers municipaux ont progressivement acquis une palette très large de prérogatives. Dans le cadre des conventions de coordination, certaines polices municipales interviennent fréquemment en soutien des forces de sécurité nationale. La vidéosurveillance, devenue un passage quasi obligé pour une politique de sécurité locale qui se veut dynamique, peut constituer un élément structurant de la coopération entre ces deux corps, surtout dans les zones urbaines connaissant un taux élevé de délinquance.
Enfin, la communautarisation des polices municipales est menée au sein de communautés d’agglomération et de communautés de communes, même si elle préserve le pouvoir de police des maires.
Le passage au niveau intercommunal a ainsi permis à certaines communes rurales dotées de peu de ressources de bénéficier d’une présence policière accrue. La police intercommunale, qui ne peut guère porter de nom plus adapté que « police territoriale », permet d’assurer aussi la continuité de l’action de la police municipale au-delà des limites géographiques de la commune.
Tel est le constat, très synthétisé. Vous pourrez retrouver toutes les informations sur l’état des lieux dans le rapport publié le 24 septembre 2012.
Tendant vers six objectifs principaux, vingt-cinq propositions communes ont été formulées par René Vandierendonck et moi-même. Elles contiennent des préconisations pragmatiques, non partisanes, entrant dans les espaces législatifs et réglementaires.
En cet instant, je tiens à saluer l’excellente collaboration et la parfaite entente qui ont régné entre nous, ainsi que le travail très ouvert que nous avons ensuite mené avec les deux ministres de l’intérieur qui se sont succédé depuis 2012, M. Manuel Valls, puis vous-même monsieur le ministre.
C’est dans cet esprit que René Vandierendonck va maintenant vous présenter les axes de notre proposition de loi, sur l’ensemble desquels notre accord est entier. §