Notre réflexion s'est appuyée sur l'introduction du rapport d'information que vous avez présenté, Monsieur le président, à l'automne dernier, avec votre collègue, Chantal Jouanno, sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées. Car si la prostitution prête à controverse, c'est qu'elle, je vous cite, « renvoie à deux sujets tabous entre tous que sont la sexualité et l'argent, suscitant à la fois des réactions de rejet et de fascination qui semblent empêcher toute construction d'un discours apaisé susceptible d'être partagé par le plus grand nombre. » C'est pourquoi notre commission, pour se forger un avis circonstancié sur cette question à la fois complexe et clivante, a conduit un grand nombre d'auditions depuis novembre dernier.
Si un très large consensus s'est dégagé pour renforcer la lutte contre l'exploitation et la traite, la notion phare de la proposition de loi, à savoir le « système prostitutionnel », est apparue comme réductrice puisque ne prenant pas en considération la prostitution librement assumée et ne relevant d'aucun réseau.
Nos travaux se sont également appuyés sur le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) consacré aux enjeux sanitaires de la prostitution qui insiste sur la diversité des situations des personnes prostituées. Nous insistons sur l'utilisation du terme « personnes » : la prostitution n'est pas un état permanent ; une personne peut se retrouver, à un moment de sa vie, en situation de prostitution, elle ne doit pas être discriminée pour cela et continue d'avoir des droits.
Je centrerai mon propos sur deux volets de la proposition de loi.
Tout d'abord, concernant le volet répressif, notre commission se félicite de l'abandon du délit de racolage instauré par la loi sur la sécurité intérieure de 2003 lequel, en instillant de l'invisibilité, a conduit à reléguer les personnes se prostituant dans la clandestinité et à accroître leur vulnérabilité. Cependant, la pénalisation des clients, telle qu'en disposent les articles 16 et 17 de la proposition de loi, aboutit de facto à interdire la prostitution sans que la France ne devienne ouvertement un pays prohibitionniste. D'ailleurs, le motif d'atteinte à la dignité de la personne humaine, mis en avant pour légitimer cette pénalisation, nous semble, à la suite des avis rendus par les plus hautes juridictions que sont le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat, ainsi que par le comité de réflexion sur le préambule de la Constitution présidé par Simone Veil, trop ambivalent pour légitimer une telle démarche. En outre, la pénalisation du client ne nous paraît pas non plus un moyen d'assurer l'égalité entre les hommes et les femmes, comme en dispose la proposition de loi, du fait de l'existence d'une prostitution masculine et transsexuelle.
Il ne s'agit bien évidemment pas de légitimer la violence perpétrée par les hommes à l'encontre des femmes. Mais il existe d'ores et déjà un arsenal pénal pour lutter contre les violences qui sont très souvent présentes dans la prostitution.
Une autre question soulevée par la proposition de loi est celle des personnes handicapées qui ont également droit à une vie affective et sexuelle.
Au-delà de ces principes, la remise en cause de la pénalisation du client se fonde sur l'anticipation des éventuelles conséquences de sa mise en oeuvre qui, à l'instar de l'interdiction du racolage passif et actif en vigueur depuis 2003, risque d'accroître la dissimulation de la prostitution et de renforcer les réseaux clandestins. Le précédent constitué par le faible impact de la pénalisation des clients de mineurs prostitués doit également être pris en compte. En outre, une telle démarche risque de renvoyer le problème vers les Etats limitrophes qui ne pénalisent pas le client.
En se limitant à une contravention de cinquième classe, la pénalisation elle-même n'est que symbolique et ne saurait contribuer à responsabiliser le client. En outre, pour être effective, elle devrait s'accompagner d'une généralisation de la surveillance des individus, ce qui nous paraît contraire aux principes de liberté qui doivent être ceux de notre société.
Au-delà du volet répressif, il est nécessaire que l'accès aux droits économiques et sociaux soit assuré aux personnes prostituées, dont les situations sont hétérogènes et ne peuvent être abordées de manière uniforme. Nous saluons la création d'un fonds dédié tout en nous interrogeant sur les moyens qui pourront effectivement lui être alloués. Plutôt que le parcours de sortie de la prostitution que définit la proposition de loi, nous préconisons un projet d'insertion sociale qui prenne davantage en compte les situations individuelles auxquelles il s'adresse et l'action des associations. L'accompagnement de ces personnes, doit respecter leur libre-arbitre. Il doit avoir été librement choisi.
Notre commission déplore par ailleurs l'absence de dispositions en matière de droit d'asile et d'accès aux droits des personnes transgenres, qui se trouvent en situation de grande détresse et d'extrême précarité. Notre avis du 27 juin 2013 préconisait un assouplissement des conditions de changement d'état civil via une procédure démédicalisée et une moindre judiciarisation.
En conclusion, l'éducation, plus que la répression, nous semble le moyen idoine pour lutter contre les stéréotypes et la discrimination dont souffrent les personnes prostituées.