Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi dont nous allons débattre et qui a déjà été enrichi par les travaux de l’Assemblée nationale et de la commission des lois du Sénat sous l’impulsion Jean-Pierre Michel est un texte visant à protéger la société, puisqu’il tend en priorité à renforcer la sécurité des Français.
Toutefois, vous en conviendrez sans doute volontiers, la sécurité ne peut pas constituer l’horizon de la démocratie. Les phénomènes de déviance sont inhérents à toute organisation sociale, et il serait illusoire de prétendre à une société qui ne connaîtrait aucune forme de délinquance. Ces phénomènes sont pris en charge par la société.
D’ailleurs, Émile Durkheim nous enseigne que la capacité d’une société à régler les conflits en son sein s’exprime nécessairement par le bien. Par conséquent, l’idéal de sécurité totale est à la fois dangereux et trompeur : il est dangereux dans la mesure où il comporte une restriction potentiellement sans limite des droits et des libertés ; il est trompeur en ce qu’il suppose que l’on pourrait éliminer tous les risques.
Cela étant, nous devons faire tout notre possible pour limiter au maximum le nombre de victimes et pour accompagner celles-ci, conformément au devoir de solidarité que leur doit le corps social tout entier, à travers l’action de l’État. Toutefois, nous ne pouvons pas laisser croire que tout acte de délinquance peut être évité.
Nous devons aussi rendre effectif ce devoir de solidarité et faire en sorte non seulement que les personnes ayant enfreint la loi soient sanctionnées à la mesure de l’acte qu’elles ont commis, mais encore que leur réinsertion dans le corps social soit préparée.
Ces deux exigences ont inspiré la rédaction du présent projet de loi, qui, s’il est adopté, confortera le contrat social dans la mesure où il vise à protéger davantage et mieux, et affermira le pacte républicain grâce à l’action de cohésion qu’il prévoit.
Parce qu’il s’agit d’un sujet important qui concerne toute la société, et parce que nous avons le souci de réussir, nous avons choisi une méthode novatrice pour préparer ce texte.
Vous connaissez l’essentiel des travaux conduits pendant cinq mois par la conférence de consensus sur la prévention de la récidive. J’ai eu la chance de pouvoir mobiliser des personnes de très grande qualité, de sensibilités et de parcours différents, qui ont accepté, en dépit de leurs divergences, de travailler ensemble.
Ainsi, le comité d’organisation a pu élaborer un état des savoirs sur la prévention de la récidive à l’échelle nationale et internationale. Il a préparé les travaux du jury de consensus et tenu deux audiences publiques ayant rassemblé 2 300 personnes. Le jury a voté à l’unanimité douze préconisations qu’il nous a soumises, à partir desquelles j’ai ouvert moi-même trois cycles de consultations. Le texte qui en est résulté a évidemment suivi le processus habituel des travaux interministériels. J’ai par ailleurs effectué un tour de France, afin d’informer le plus précisément possible et de convaincre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que vous enrichirez encore en séance plénière le présent projet de loi, qui, je le répète, a déjà été examiné par l’Assemblée nationale et par votre commission des lois.
Ces travaux nous ont permis de dresser un état des lieux le plus rigoureux possible, car nous avons choisi de nous fonder sur des connaissances évaluées, des expériences encadrées qui ont été menées aussi bien en Europe, notamment en France, qu’en Amérique du Nord, principalement au Canada. Nous avons alors constaté l’inefficacité des méthodes employées et l’existence d’un risque psychologique résultant de l’impuissance de l’action publique.
Qu’est-ce qui justifie ce bilan ?
D’abord, l’inflation législative, qui, de par sa propre spirale, a révélé l’inefficacité des choix opérés : ces dix dernières années, la procédure pénale a été modifiée à trente-trois reprises, tandis que le droit pénal l’a été soixante-sept fois !
Puis, une politique du chiffre qui a exercé une pression très forte sur les forces de sécurité de police et de gendarmerie et qui a été dénoncée par les syndicats de police.
Ensuite, une déconnexion entre la politique pénale et la politique carcérale, chacune, d’une certaine façon, vivant sa vie, suivant sa logique et sa propre rationalité, l’une avec sa fureur, en tout cas ses excès, et l’autre avec son embolie, de sorte qu’il a fallu envisager des pis-aller, notamment des automatismes en matière de gestion des flux carcéraux – je pense notamment à la procédure simplifiée d’aménagement des peines ou à la surveillance électronique de fin de peine –, afin de tenter de contenir les effets des automatismes d’incarcération.
Enfin, un élargissement du champ contentieux, par l’entrée de certains actes qui relevaient jusque-là des contraventions dans le champ délictuel, et une aggravation de la durée des peines, et donc de la durée d’incarcération, qui, en moyenne, est passée ces dix dernières années, de huit à onze mois. Il en est évidemment résulté une augmentation de la population carcérale de 35 % qui est sans corrélation avec l’augmentation de la démographie, d’environ 7 % sur la même période, ou avec l’évolution des taux de délinquance.
Quels ont été les résultats obtenus ?
Premièrement, l’objectif affiché de lutter contre la récidive n’a pas été atteint. En effet, le taux de condamnation pénale de la récidive légale a crû de 4, 9 % à 12, 1 % au cours de la période considérée, c’est-à-dire entre 2001 et 2011.
Deuxièmement, la surpopulation carcérale qui en est résultée a entravé le travail de préparation à la sortie de prison, précisément destiné à prévenir la récidive. Souvenons-nous que 76 % des personnes condamnées exécutent une peine de prison de moins d’un an et 56 % une peine de moins de six mois. Ces délais sont trop courts pour qu’il soit possible de préparer convenablement une réinsertion sociale. De surcroît, 98 % de ces condamnés entrent dans la catégorie des sorties sèches. Ces dernières se font sans aucune mesure d’accompagnement ou d’encadrement, sans la moindre contrainte.
La plupart du temps, lorsqu’elles sont libérées, ces personnes subissent une rupture sociale plus forte encore qu’à leur entrée en prison. De fait, 7 % des personnes incarcérées sont sans domicile fixe. En tout, 14 % des individus sortant des établissements pénitentiaires n’ont aucune solution d’hébergement. De cette situation découle une rupture sociale aggravée.
Et je n’insisterai pas sur les taux d’addiction. Au moins 25 % des détenus présentent une addiction. Une part un peu plus élevée encore en présente deux. Le taux d’illettrisme s’établit quant à lui à 27, 8 % environ au sein des établissements pénitentiaires, niveau bien supérieur à la moyenne nationale.
Le taux d’incarcération n’a cessé de croître. Aujourd’hui, le surpeuplement des maisons d’arrêt avoisine les 140 % – il est, pour être tout à fait précise, de 138, 8 %. Quelque 1 200 prisonniers dorment sur des matelas posés par terre ! On ne peut pas prétendre que ce sont là les conditions idéales pour préparer la sortie des détenus, pour garantir que, de retour dans la société, ils cessent d’être des dangers potentiels.
Voilà quelques instants, j’évoquais la pression du chiffre exercée sur les services d’enquête. Cette méthode a évidemment contribué à engorger les tribunaux. Elle a surtout saturé les services d’enquête et accaparé leurs effectifs, leurs moyens, leur temps et leur énergie, pourtant si nécessaires au démantèlement des réseaux criminels.
Sur la base de ces éléments, nous avons jugé utile de concevoir une politique pénale rationnelle, fondée sur la connaissance et l’évaluation de la situation réelle, bref sur l’expérience. Cette politique répond très clairement à un principe essentiel : l’efficacité de la peine.
Il s’agit d’élaborer un certain nombre de critères pour bien définir la peine. Je songe notamment à son individualisation.
Plus généralement, la condamnation doit servir à punir, mais son exécution doit préparer la réinsertion.
Ce principe est valable pour les longues peines, qui punissent les crimes. Il l’est également pour les courtes peines, qui répriment les délits. Je rappelle à ce propos que le présent projet de loi ne vise que les délits : il s’agit en l’espèce d’apporter des réponses efficaces à ce que l’on appelle la « petite » délinquance. L’adjectif renvoie au niveau de gravité des actes, eu égard à leur place sur l’échelle des peines. Cela étant, cette délinquance peut avoir des conséquences redoutables pour les victimes, notamment pour les plus vulnérables d’entre elles.
Pour mener ce travail méthodique et rigoureux, nous avons bien sûr pris soin d’observer ce qui se pratiquait dans d’autres pays. Mais, lorsque nous procédons ainsi, nous agissons avec discernement : les exemples étrangers ne doivent pas être transposés de manière mécanique en France.