Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 24 juin 2014 à 21h30
Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Ils doivent être étudiés en fonction de la logique de ce qui a été conçu ailleurs, en tenant compte d’un certain nombre de paramètres différant des nôtres. Je pense aux codes sociaux, aux références historiques, aux codes culturels, sans oublier divers critères sociologiques ou états d’esprit collectifs.

En tout état de cause, ce qui est capital, et ce qui, du reste, se révèle efficace, c’est de concevoir les politiques publiques sur la base de l’histoire du pays qui les élabore.

Voilà pourquoi nous avons interrogé l’histoire de la France elle-même. Ce passé forme le terreau d’une politique publique efficace, étant donné qu’il conduit à la penser sur la base d’une trajectoire, ponctuée d’un certain nombre de codes et de références stables.

Dans notre histoire, la question de la réinsertion occupe une place extrêmement importante. Elle s’est, à plusieurs reprises, trouvée au cœur des enjeux pénaux. Au fil du temps, les législateurs ont conçu un droit pénal et des politiques pénales en s’appuyant sur leur propre conception de l’utilité et de l’efficacité de la peine.

Cette tradition pénale, progressivement enrichie, nous vient de la Révolution française, qui marque une inflexion forte en la matière avec le code pénal de 1791. Ce texte a aboli la plupart des supplices – certains d’entre eux ont été maintenus, qu’il a fallu supprimer au cours des décennies suivantes.

Au-delà, je songe à la philosophie des Lumières qui, pour la première fois, a théorisé la limitation de la peine.

En 1789, l’un des rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Adrien Duport, affirmait que, en matière de peines, le minimum était ordonné par l’humanité et conseillé par la politique. Il ajoutait : toutes les fois que la finalité de la loi peut être atteinte par une peine, c’est barbarie et crime pour le législateur d’en employer une plus forte.

Adrien Duport rejoignait en cela un principe très clairement énoncé par Cesare Beccaria, dans son Traité des délits et des peines : celui des peines strictement nécessaires.

Cette conception de l’utilité et de l’efficacité de la peine n’a cessé de s’enrichir et de s’étendre, conformément à une tradition humaniste qui s’inscrit dans l’histoire de la France. Elle appartient à l’héritage républicain, mais pas exclusivement. En effet, si elle s’est développée à une époque où la société tendait à devenir plus laïque, elle a parallèlement été défendue, avec ardeur, par la droite chrétienne.

Sous la Restauration, plusieurs actes forts ont été accomplis, notamment grâce à l’influence et aux initiatives de la Société royale pour l’amélioration des prisons.

Sous la monarchie de Juillet, il faut citer les nombreux débats relatifs au régime pénitentiaire, et l’action de Charles Lucas, inspecteur général des prisons, catholique social, qui a fortement inspiré la loi du mois d’avril 1832. Ce texte a abrogé l’un des supplices qui avaient survécu à l’instauration du code pénal de 1791, à savoir l’amputation du poing en cas de parricide. Il a supprimé la marque au fer rouge pour les personnes condamnées aux travaux forcés. Il a incité les juridictions à déroger aux peines minimales contenues dans le code au vu de la personnalité de l’auteur de l’acte visé et des circonstances de l’infraction.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette conception s’est étoffée à la Chambre des pairs puis au Sénat, notamment grâce au travail du sénateur René Bérenger.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion