Ce dernier a œuvré de concert avec le sénateur Victor Schœlcher, pour lequel, vous le savez, j’ai une estime et une affection particulières. René Bérenger, catholique affiché, siégeait au centre de cet hémicycle. Victor Schœlcher, pour sa part, était un républicain résolu et un athée assumé. Il a d’ailleurs été surpris de l’émoi de la déclaration qu’il avait faite, à ce propos, dans cette enceinte. Tous deux ont conduit une commission d’enquête sénatoriale relative aux conditions de détention.
J’ajoute que René Bérenger est à l’origine de la loi du 14 août 1885 créant la libération conditionnelle, puis de la loi du 26 mars 1891 instaurant le sursis simple.
La gauche est évidemment très marquée par cet héritage, par cet humanisme pénal. Entre 1875 et 1885, elle s’est révélée très active et très unie contre les lois d’exclusion, notamment contre les lois de relégation des multirécidivistes dans les bagnes coloniaux, en Nouvelle-Calédonie puis en Guyane.
Clemenceau, figure emblématique de cette époque, s’est opposé à ces textes législatifs, en déclarant que toute pénalité n’aboutissant pas à l’amendement du coupable était une mesure insuffisante de préservation sociale, et qu’elle devenait inutile dès lors que cet objectif était atteint.
Tel est bien l’esprit qui a inspiré la conception de la contrainte pénale, qui doit être adaptée, ajustée et évaluée.
Au début du XXe siècle, cet engagement de la gauche, quant à l’utilité et à l’efficacité de la peine, et la conception humaniste de la sanction, qui se doit d’être socialement utile, ont été incarnés par Jean Jaurès. Souvenons-nous en particulier de son combat, en 1908, contre la peine de mort.
Au sortir de Seconde Guerre mondiale, le Conseil national de la résistance a inspiré, dans ce domaine, l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante défendue par le général de Gaulle. L’exposé des motifs de ce texte dispose : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. »
C’est à cette même époque qu’a été mise en œuvre la réforme pénitentiaire, ou réforme Amor. Le premier de ses quatorze principes a affirmé, comme finalité essentielle de la peine privative de liberté, l’amendement et le reclassement social du condamné.
Durant toute cette période se déploie la défense sociale nouvelle, chère au cœur et à l’esprit de M. le rapporteur, créée et animée par Marc Ancel dans le sillage des travaux et de la réflexion de Raymond Saleilles, qui, le premier, a conçu l’individualisation des peines. Ce courant a donné lieu à la création du sursis avec mise à l’épreuve en 1958. §
Viennent ensuite les travaux et les initiatives de Robert Badinter en tant que garde des sceaux. En 1982 a été votée la première loi de protection des victimes d’infractions, cependant qu’était créé le premier bureau d’accueil des victimes. Il s'agissait de donner à ces dernières une place dans le procès pénal. Surtout, il faut rappeler l’action menée pour l’abolition de la peine de mort, sans oublier la création, en 1983, du travail d’intérêt général.
Par le biais de la loi du 15 juin 2000, Élisabeth Guigou a renforcé la présomption d’innocence, étendu la protection des victimes et créé le juge des libertés et de la détention.
Le Sénat s’inscrit durablement dans cette tradition humaniste, dans cette conception de l’utilité sociale de la peine.
J’ai rappelé les travaux de Bérenger et de Schœlcher. Il y en a eu d’autres, et ce plus récemment, vous le savez parfaitement. Les références sont nombreuses. Je citerai par exemple le rapport publié en 2000 par la commission d’enquête menée par MM. Hyest et Cabanel. Avec le rapport du premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, l’ouvrage du docteur Vasseur et les travaux de l’Assemblée nationale, ce document a contribué à la prise de conscience, dans notre société, de la nécessité de penser la peine et le régime pénitentiaire. Il fallait préparer nos concitoyens à cette idée : la prison doit être un espace de droit.
Ces travaux s’inscrivent dans une dynamique marquée, en 1995, par un revirement de la jurisprudence du Conseil d’État. À cette époque, ce dernier a cessé de considérer que les décisions de l’administration pénitentiaire relevaient simplement de mesures d’ordre interne. Il a engagé la construction d’une jurisprudence reconnaissant les droits fondamentaux des détenus, lesquels ont commencé à être considérés comme des sujets de droit.
D’une certaine manière, ce processus a abouti, en 2007, à la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Les attributions de celui-ci ont été enrichies et renforcées sur l’initiative de la Haute Assemblée avant le départ de M. Delarue, ce sur la base d’une proposition de loi de Mme Catherine Tasca.
Bien entendu, la loi pénitentiaire de 2009 constitue un second aboutissement. Elle a été fortement enrichie par le Sénat.