… et qu’il fallait penser à d’autres solutions que la détention.
Ce texte de très grande qualité a reçu un vote unanime, après avoir été enrichi par tous les groupes du Sénat selon leurs sensibilités.
C’est dire que lorsque je parle de tradition pénale humaniste, qui s’inscrit dans la durée, je parle de la vôtre, de la nôtre, celle qui veille avec constance à l’avancée des sociétés humaines. Elle est tournée vers le rétablissement du lien social, quand celui-ci se déchire de toutes parts, et vers le respect de la dignité, qui occupe une place centrale dans la modernité.
C’est la dignité des victimes, que nous devons respecter et accompagner, auxquelles nous devons offrir réparation et que nous n’avons pas le droit de réduire en quelque sorte à des boules de vengeance.
C’est la dignité des condamnés, qui, parce qu’ils doivent pouvoir réintégrer le corps social, ne peuvent être réduits à l’acte qu’ils ont commis, et encore moins à ceux qu’ils pourraient commettre.
C’est enfin la dignité, souvent oubliée, des personnels pénitentiaires, qui doivent pouvoir exercer leur mission dans des conditions ni indécentes ni absurdes, comme elles le sont pourtant trop fréquemment.
Par ailleurs, la peine est tournée vers l’avenir : c’est la condition de son efficacité.
Dans cette logique, le présent projet de loi, tel que nous l’avons conçu, pose le principe de l’individualisation de la peine. Un nouvel article du code pénal énoncera les finalités et fonctions de celle-ci : sanctionner et favoriser l’amendement, l’insertion et la réinsertion de la personne condamnée.
Lors des travaux de la commission des lois, M. le rapporteur a affirmé éprouver un certain malaise envers le mot « amendement », qu’il suspecte, si j’ai bien compris sa pensée, d’être quelque peu étranger à la sémantique séculière. Pourtant ce terme appartient à la tradition que je viens d’évoquer, et indique simplement que le condamné, le coupable, l’auteur de l’acte doit prendre conscience de sa responsabilité vis-à-vis non seulement de lui-même, mais aussi d’autrui à qui il a infligé un préjudice, et de la société. Cette prise de conscience est indispensable pour garantir les conditions d’une réinsertion durable.
La peine est prononcée avec sa dimension tant rétributive qu’afflictive : elle pose la stigmatisation de l’acte par rapport aux principes, aux valeurs et aux règles de la société, un acte qui, selon Durkheim, offense des « états forts […] de la conscience collective » que la sanction, justement, affermit.
En outre, la peine doit favoriser l’amendement, l’insertion et la réinsertion. À cette fin, la personne est prise en compte eu égard à sa responsabilité d’individu que l’individualisation n’annule pas, au contraire ! Les travaux de l’école de la défense sociale nouvelle, après ceux de Raymond Saleilles, indiquent bien que cette responsabilisation constitue le moteur de la resocialisation. Elle n’est donc pas écartée. Pour autant, la peine doit être prononcée au regard de l’individualité, du parcours du condamné et des circonstances.
Nous avons ainsi décidé de supprimer les automatismes qui limitaient le pouvoir d’appréciation du juge, de façon à lui permettre de prononcer la peine la plus adaptée.
Les statistiques font apparaître que les peines planchers, le premier de ces automatismes, concernent essentiellement ce que l’on appelle des « petits » délits : 47 % des vols et des atteintes aux biens en font l’objet. Ces peines ont changé les pratiques des juridictions, qui ont prononcé des sanctions plus sévères pour les délits passibles d’une peine inférieure ou égale à trois ans de détention. Auparavant, des peines équivalentes à ces peines minimales étaient prononcées dans 14 % des cas ; après l’entrée en vigueur de la loi, elles l’ont été dans 44 % des cas.
Quels ont été les résultats de cette plus grande sévérité ?
Monsieur Détraigne, lors des débats relatifs à la loi pénitentiaire, vous vous posiez la question. Vous aviez ainsi déclaré : « si la fonction de la peine est notamment d’être efficace et dissuasive, je ne suis pas certain que l’aggravation et la systématisation des peines d’emprisonnement soient la meilleure manière de lutter efficacement contre la récidive. »
Les statistiques vous donnent raison : à l’issue d’une période d’incarcération, le risque de récidive est deux fois plus élevé qu’au terme d’un sursis avec mise à l’épreuve. De surcroît, le code pénal est déjà sévère et prévoit des circonstances aggravantes d’où résultent des peines très lourdes. Aujourd’hui, comme, déjà, le code pénal de 1791, il inclut la condition de récidive, emportant un doublement de la peine encourue.
Nous avons donc décidé de supprimer les automatismes, les peines planchers et la révocation automatique des sursis. Il va de soi, toutefois, qu’une juridiction pourra décider de révoquer un sursis, si elle le juge utile.
Nous avons également introduit la césure du procès pénal, autorisant la juridiction à procéder en deux temps : elle déclarerait d’abord rapidement la culpabilité et prononcerait les mesures d’indemnisation de la victime, ou des victimes, s’il y en a, puis, à partir d’éléments concernant l’auteur recueillis par enquête, elle déciderait de la sanction. C’est une option offerte, et non une obligation.
Nous créons la contrainte pénale : une peine autonome, en milieu ouvert, déconnectée de la prison, contrairement au sursis avec mise à l’épreuve qui est une peine d’emprisonnement aménagée partiellement ou totalement par la suite. Cette différence de conception produit une rupture symbolique avec l’idée selon laquelle l’incarcération, la prison, est la seule réponse possible en sanction d’un acte délictueux.
La contrainte pénale diffère du sursis avec mise à l’épreuve – nous y reviendrons au cours de la discussion des articles –, car elle s’appuie sur une évaluation préalable obligatoire de la personnalité et de la situation du condamné et débute dès le prononcé de la sanction, étant exécutoire par provision. Le juge d’application des peines peut, en outre, prononcer des obligations et des interdictions plus larges que dans le cadre d’un sursis avec mise à l'épreuve. Le contrôle est effectué à l’aide d’un programme de responsabilisation, permettant de prononcer une peine ajustée, évaluée régulièrement et adaptable.
Grâce à certaines dispositions, les forces de sécurité de police et de gendarmerie pourront participer au contrôle, sous forme de retenues ou de visites domiciliaires. Le fichier des personnes recherchées se trouve en outre enrichi des obligations importantes permettant de procéder à ce contrôle.
Bien entendu, le constat d’un échec total conduirait à une incarcération.
Cela étant, la contrainte pénale est appelée à être prononcée en cas d’infractions qui font l’objet aujourd’hui d’un sursis avec mise à l'épreuve et dont l’auteur, en raison de sa personnalité, nécessite un suivi, ou lorsque de courtes peines d’emprisonnement sont encourues. Actuellement, selon la loi pénitentiaire, si aucun mandat de dépôt n’est délivré, ces peines doivent être aménagées et ne sont donc pas immédiatement exécutoires.
M. le rapporteur a introduit une disposition nouvelle en la matière, que nous étudierons ultérieurement. Comme je l’ai indiqué devant la commission des lois, nos philosophies divergent un peu : pour notre part, nous entendions faire référence non pas à certains types d’infractions, mais plutôt à la personnalité de l’auteur de l’acte nécessitant un suivi plus ajusté.
Par ailleurs, les études et les statistiques l’ont prouvé, les risques de récidive sont plus élevés dans le cas d’une sortie sèche que dans celui d’une libération conditionnelle. Nous avons donc introduit la libération sous contrainte : aux deux tiers de l’exécution de la peine, un rendez-vous judiciaire obligatoire permettra à la commission d’application des peines de décider éventuellement d’une telle libération, sous forme de placement à l’extérieur, tels le placement sous bracelet électronique, la semi-liberté, ou de libération conditionnelle. Cette commission pourra évidemment s’en tenir au maintien en détention.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les principales dispositions du présent projet de loi, dont nous nous allons débattre.
Pour répondre à la préoccupation que vous avez exprimée à plusieurs reprises, je vous l’assure, le Gouvernement s’est donné les moyens pour accompagner ces mesures normatives. Tout d’abord, il prévoit une augmentation de 25 % du corps des conseillers d’insertion et de probation grâce à un millier de recrutements en trois ans ; 400 postes seront créés en 2014, après les 63 qui l’ont été l’année dernière. Malgré le contexte budgétaire contraint, nous avons également créé l’an dernier 49 postes de juge d’application des peines, ainsi que des postes de greffier, mesure que nous réitérons cette année.
Monsieur Lecerf, dans votre rapport sur l’application de la loi pénitentiaire, vous aviez observé que le renforcement du corps des conseillers d’insertion et de probation était important pour ce qui concerne l’aménagement des peines.