Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 24 juin 2014 à 21h30
Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Je ferai plusieurs remarques sur le sujet qui nous occupe.

Tout d’abord, je vous pose la question, mes chers collègues : est-il raisonnable d’entasser toujours davantage de prévenus et de condamnés dans nos prisons ? La réponse, simple, de bon sens, ne peut qu’être négative. La situation de la population pénitentiaire, dont nous avons vu l’évolution au cours des dernières années, est devenue strictement intolérable. La solution n’est pas de construire de nouvelles prisons, même si, pour un traitement normal des condamnés, ce serait une bonne chose. D’autres réponses doivent donc être apportées.

Je suis souvent intervenu, avec Anne-Marie Escoffier et d’autres orateurs, pour souligner que les lois adoptées durant le quinquennat précédent nous avaient fait entrer dans un système de « noria », qui exigeait l’entrée d’un nombre toujours plus grand de condamnés en prison afin de les en faire sortir de plus en plus rapidement. C’était une aberration, dans tous les sens du terme !

En réalité, la création législative française en matière de droit pénal a été tout autant prolixe que brouillonne. Elle a laissé les praticiens de la justice aux prises avec les questions de l’utilisation judiciaire des lois adoptées comme des modalités concrètes de leur exécution, et avec des problèmes de structure et de personnel. Ce brouillage des pistes a entraîné un véritable épuisement professionnel des acteurs.

Ensuite, nous le savons, c’est une réalité humaine, la population pénale est socialement démunie. Seulement un tiers de la population pénale a un emploi avant l’entrée en prison, 70 % des personnes concernées ont un niveau scolaire inférieur au BEPC, et plus de 13 % d’entre elles sont illettrées, même si ce taux n’est que légèrement supérieur à la moyenne nationale.

La conférence de consensus a souligné les contradictions d’une politique pénale à la fois tournée vers la sanction et se donnant pour objectif de prévenir la récidive. Il n’y a pas – nous le savons tous, qui avons l’expérience de ces dossiers – de véritable corrélation entre la sévérité de la peine et le taux de récidive. C’est une réalité technique, démontrée par toutes les études, par toutes les données.

Nous savons également que, en cas de suivi, la récidive est 1, 6 fois moindre que pour les sorties sèches. Or 80 % des personnes sortant de prison n’en font pas l’objet.

Il n’y a pas de risque zéro. Le crime, malheureusement, est inhérent à la nature humaine. L’objet d’une politique pénale est de réduire ce phénomène. Or je constate que celle qui a été menée depuis une dizaine d’années n’est pas une réussite ; on peut même considérer que c’est un échec.

Le traitement de la récidive a donné lieu à l’adoption d’une législation trop souvent foisonnante, privilégiant une sévérité accrue comme moyen de prévention de la récidive et plaçant l’emprisonnement comme peine de référence. Or, pour citer les mots de Jean-Marie Delarue, pour nous une référence, « l’efficacité de la prison réside moins dans le jour de l’entrée que dans le jour de sortie du condamné ».

L’indicateur le plus parlant de l’échec de cette politique est sans doute le taux d’incarcération, qui a atteint un niveau considérable, identique à celui qui prévalait à la fin du XIXe siècle. La France, en effet, compte aujourd’hui 68 600 détenus.

La révision de la politique pénale est donc nécessaire. Mais, madame le garde des sceaux, vous le savez mieux que nous tous, les moyens financiers et humains manquent ; ils ne sont pas au rendez-vous. Si une volonté politique forte n’y est pas associée, ce projet de loi pourrait se transformer, une nouvelle fois, en un pansement sur une jambe de bois.

La question des moyens est centrale. Nous l’avons tous dit en ces lieux, la loi pénitentiaire de 2009 était porteuse de nombreux espoirs, à contre-courant, d’ailleurs, du climat ultrasécuritaire qui prévalait alors. Le Parlement y avait travaillé dans un esprit consensuel. Malheureusement, cette loi est difficile à appliquer, pour ne pas dire davantage. Or la lutte contre la récidive passe aussi par l’amélioration des conditions de détention.

Je tiens, enfin, à vous faire part d’une observation, madame le garde des sceaux, qui me paraît fondamentale, même si je ne suis pas le premier – et encore moins le dernier – à la faire : la politique pénale laisse trop souvent de côté la question de l’exécution des peines. §C’est très bien de vouloir constamment faire de nouvelles lois, mais si un État n’est pas en mesure d’appliquer les peines que la justice prononce, cela ne sert pas à grand-chose !

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