Je pensais, j’espérais, je croyais donc que, sur ces questions si difficiles mais si essentielles, dans le respect le plus absolu de la souffrance des victimes et de leurs familles et la volonté de réparer autant que faire se peut les torts qu’elles ont subis, dans la recherche des moyens les plus performants pour lutter contre la récidive, dans la prise en compte aussi de la désespérance de bon nombre de condamnés, nous pourrions nous retrouver, de droite, de gauche, du centre ou d’ailleurs, côte à côte et non frontalement opposés.
La lecture du compte rendu des débats qui se sont déroulés à l’Assemblée nationale n’a guère répondu à mes attentes. J’y ai retrouvé un manichéisme que je croyais dépassé, une opposition paraissant irréductible entre deux camps, aussi convaincus l’un que l’autre de détenir le monopole de la vérité et parfois, pour ne pas dire souvent, méprisants à l’égard de ceux qui ne partageaient pas leurs convictions.
D’un côté de l’hémicycle, j’ai cru comprendre qu’il fallait arrêter tout travail de réinsertion, de peur d’inciter les personnes à passer par la case prison pour devenir prioritaire pour en bénéficier... De l’autre côté, une collègue s’adressait à ses « camarades, et seulement à eux » dans une appréhension pour le moins cloisonnée de la démocratie.
Enfin, j’ai quelques difficultés à comprendre qu’une loi de la République portant sur la rétention de sûreté puisse être à de multiples reprises disqualifiée et traitée de loi honteuse. J’entends et respecte les arguments de ceux qui veulent son abrogation, mais en quoi est-il honteux, mes chers collègues, de voter une législation dont on attend qu’elle puisse éviter un certain nombre, même limité, de crimes, et épargner un nombre, même limité, de victimes potentielles ? On ne peut condamner cette loi pour son manque d’application puisque, comme toute loi pénale plus sévère, elle ne pouvait être rétroactive. N’ayant pas été suivi sur ce point en tant que rapporteur du Sénat, j’avais dit que le Conseil constitutionnel me donnerait raison, c’est ce qui s’est passé, et je n’entrerai pas ici dans le débat entre peine et mesure de sûreté.
Je me permets simplement de rappeler une audition qui m’a profondément marqué, celle d’une jeune femme responsable d’une association de victimes, elle-même victime d’un violeur en série. Elle était allée trouver le garde des sceaux de l’époque, à la veille de la libération de l’homme qui l’avait violée, lui demandant de ne pas le laisser sortir, tant elle était certaine de l’immédiateté de sa récidive, ce qu’il affirmait d’ailleurs lui-même. La rétention de sûreté n’existait pas, la peine avait été purgée, le délinquant fut libéré et il a récidivé comme il l’avait annoncé. Elle me disait encore, sans l’ombre d’une volonté de vengeance, que ce qu’elle ne supportait pas c’est que, pendant son incarcération, « il avait simplement fait de la fonte », c'est-à-dire de la musculation – c’est en effet ce qu’on arrive à faire le plus facilement en prison – mais n’avait suivi aucun traitement, participé à aucun groupe de parole, ni bénéficié d’aucun soin de nature à éviter ou même à limiter le risque de récidive.
Je veux aussi dire ici combien les associations de victimes savent faire preuve de réflexion, de modération et de proposition, bien davantage que les associations qui s’expriment à la place des victimes, prétendant parler en leur nom.
Je connais ainsi bien des familles de victimes qui s’impliquent dans la justice restaurative et qui pourraient être bien inutilement blessées par certains commentaires pour le moins hâtifs, évoquant des séances de « câlinothérapie » destinées à faire se rencontrer auteurs et victimes. §Je n’invente rien, ces propos ont été tenus à l’Assemblée nationale.