Enfin, et j’en termine sur la rétention de sûreté, ne pensez-vous pas que sa suppression pourrait entraîner ou entraînera peut-être inéluctablement l’allongement des peines par les jurys populaires, puisque ces derniers sauront qu’à l’issue d’une peine plus modérée aucun examen de dangerosité, réalisé sur de longues durées par des équipes pluridisciplinaires dans un centre national d’évaluation ne pourrait plus conforter ou infirmer la mise à l’écart de la société ?
Mais sur le projet de loi lui-même, j’ai d’autant moins de critiques à formuler qu’il s’inscrit, on l’a dit, dans l’étroite continuité de la loi pénitentiaire de 2009. Il en va ainsi du sens de la peine, qui concilie la sanction du condamné, la protection de la société, les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue pour lui permettre, disait-on en 2009, de mener une vie responsable et exempte d’infractions. Il n’avait d’ailleurs pas été facile, en 2009, d’introduire le sens de la peine. On nous avait reproché d’être bavards et moralisateurs. Je me réjouis que les opinions aient évolué.
Il en va de même de la volonté, en matière délictuelle, de faire de la prison l’exception et de l’aménagement de peine la règle. Grâce à notre rapporteur, nous en revenons même aux dispositions de la loi pénitentiaire s’agissant du seuil permettant un aménagement de peine. Jean-Jacques Hyest a évoqué précédemment le nombre de fois où il a fallu ferrailler pour éviter la remise en cause de cette disposition d’une loi dont l’encre était à peine sèche.
En outre, je suis convaincu de l’absolue nécessité de rétablir ou de confirmer – peu importe – la confiance à l’égard des magistrats et de leur donner la plus grande liberté d’appréciation. La suppression des peines planchers comme l’absence de toute libération anticipée automatique vont dans ce sens, tandis que la contrainte pénale devrait offrir une nouvelle opportunité de sanctionner et de réinsérer, détachée, du moins dans un premier temps, de l’univers carcéral.
Mais – car il y a un « mais », madame le ministre ! – ce sont d’abord les moyens financiers, et donc les capacités d’accompagnement de ces politiques, essentiellement par des personnels d’insertion et de probation, mais aussi par des associations spécialisées, qui décideront du succès ou de l’échec de cette réforme.
Une fois encore, je me souviens de la loi pénitentiaire. L’étude d’impact qui y était jointe prévoyait le recrutement de 1 000 conseillers d’insertion et de probation pour faire face aux enjeux de la réforme. Ils ne furent pas assez nombreux au rendez-vous, sans doute parce que nous étions engagés dans la suite du programme Perben de construction de 12 000 nouvelles places de prison, qu’une place de prison coûte aujourd’hui entre 120 000 et 150 000 euros et que, bien entendu, ces établissements nouveaux ne peuvent fonctionner sans les personnels de surveillance nécessaires.
Or, en l’état de nos budgets, et gouvernement après gouvernement, notre budget de la justice fait quelque peu figure de parent pauvre des budgets européens. Il serait bien aventureux de vouloir intervenir significativement à la fois dans l’extension du parc pénitentiaire et dans le recrutement d’agents d’insertion et de probation.
Les programmes Chalandon, Méhaignerie, Perben ont permis la mise à disposition d’environ 30 000 places supplémentaires, qui étaient indispensables.
Le ratio d’incarcération de notre pays ne peut, certes, se comparer à celui des États-Unis ou de la Russie, mais serait-ce bien raisonnable ? Il est certes inférieur à celui de la Grande-Bretagne, mais supérieur à celui de l’Allemagne ou des pays nordiques.
L’urgence aujourd’hui c’est bien de se donner les moyens de la réussite dans les aménagements de peines et la contrainte pénale, tout en cherchant à lutter contre la surpopulation carcérale, source de tous les maux dans nos prisons, tant pour les personnes détenues que pour le personnel pénitentiaire, et notamment le personnel de surveillance dont le nombre n’évolue guère en fonction de cette surpopulation.
Je rappelle aussi la présence envahissante, dans nos prisons, de la maladie mentale.
Un rapport sénatorial réalisé par les commissions des lois et des affaires sociales estimait à 10 % de la population carcérale les personnes souffrant de problèmes psychiatriques tels que la peine n’a aucun sens à leur égard. Cette proportion demeure importante.
S’il est difficile de sortir ces personnes de l’univers carcéral – et la création des unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, permet de prendre acte de cette situation anormale –, peut-être pourrait-on au moins faire en sorte, par une grande loi sur la santé mentale et le rétablissement de lits psychiatriques en milieu fermé, de ne plus les y faire entrer. Dans une démocratie aussi avancée que la nôtre, la prison ne doit pas se transformer en asile du XXIe siècle.
Enfin, qu’il me soit permis de remercier notre rapporteur, Jean-Pierre Michel, d’avoir introduit dans le projet de loi le dispositif de la proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, déposée par Christiane Demontès, Gilbert Barbier et moi-même, texte dont il était le rapporteur, ce qui explique d’ailleurs qu’il n’en était pas cosignataire. L’altération du discernement cessera ainsi d’être une circonstance aggravante pour devenir une circonstance atténuante, et les garanties concernant l’obligation de soins seront renforcées pendant et après la détention.
Bien qu’elle ait été adoptée à l’unanimité au Sénat, contre l’avis du Gouvernement, le 25 janvier 2011, cette proposition de loi jouait la belle au bois dormant entre le palais du Luxembourg et le Palais-Bourbon ; une situation d’ailleurs assez fréquente... Merci de l’avoir réveillée !
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, même si ce n’est pas le plus important, je crois aussi que la discussion de ce projet de loi représentera pour le Sénat, dont les pouvoirs et l’utilité sont parfois aujourd’hui, çà et là, contestés, l’opportunité de montrer son rôle irremplaçable dans notre démocratie. §