Nous vous présentons aujourd'hui les conclusions de la mission que la commission nous a confiée sur la protection de l'enfance. Celle-ci poursuivait deux objectifs : dresser un état des lieux de la mise en oeuvre de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et proposer, le cas échéant, des améliorations du dispositif actuel.
Depuis le début de l'année 2014, date de lancement de nos travaux, nous avons effectué une quarantaine d'auditions et nous nous sommes rendues dans trois départements - le Rhône, la Loire-Atlantique et le Pas-de-Calais -, des territoires différents par bien des aspects, mais fortement investis sur cette question. Ces auditions et déplacements ont été l'occasion de rencontrer de très nombreux acteurs de la protection de l'enfance : travailleurs sociaux, magistrats, professionnels de santé, représentants associatifs, personnels des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance (ASE), responsables d'administrations centrales, chercheurs...
Nous avons également adressé un questionnaire sur l'application de la loi de 2007 à 47 conseils généraux, dont les présidents ou l'un(e) des vice-président(e)s sont également sénateurs(rices). Il nous semblait en effet important, compte tenu du rôle pivot des départements dans cette politique publique, de savoir concrètement comment ils la mettaient en oeuvre sur le terrain et de recueillir leur point de vue sur d'éventuelles évolutions du système. Le taux de retour est très satisfaisant puisque 31 réponses nous sont parvenues, dans leur grande majorité, bien documentées et très instructives. Nous remercions donc vivement nos collègues de la commission, président de conseil général ou vice-président, et, à travers eux, leurs services, de leur précieuse collaboration.
Avant d'en venir à la présentation de nos constats et propositions, rappelons quelques chiffres clés de la protection de l'enfance et les principaux enjeux de la loi de 2007. Selon les dernières données disponibles, le nombre de jeunes pris en charge par les services de la protection de l'enfance est estimé à environ 296 000, dont 275 000 mineurs et 21 000 jeunes majeurs. Le placement représente pour les mineurs et les jeunes majeurs, respectivement 48 % et 83 % des mesures. Le milieu ouvert, c'est-à-dire les actions de protection mises en oeuvre dans le cadre d'une prise en charge à domicile, représente pour les mineurs et les jeunes majeurs, respectivement 52 % et 17 % des mesures. La quasi-totalité des interventions en protection de l'enfance sont financées par les conseils généraux. Ceux-ci ont consacré à l'ASE 6,9 milliards d'euros en 2012, ce qui représente plus de 21 % de leurs dépenses totales d'aide sociale.
Fruit d'une large concertation nationale et locale, la loi du 5 mars 2007 a réformé en profondeur le dispositif tel qu'hérité des grandes lois de décentralisation : elle a remplacé la notion d'enfants « victimes de mauvais traitements » par celle, plus large, d'enfants « en danger ou en risque de l'être » ; se référant à l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant, elle a défini les priorités de la protection de l'enfance : « l'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins et le respect de ses droits » ; elle a conforté la place des parents dans la démarche de protection en développant les actions de soutien à la parentalité ; elle a défini une nouvelle articulation des modalités d'intervention, en donnant la priorité à la protection sociale sur la protection judiciaire ; elle a confié au président du conseil général une responsabilité essentielle dans l'organisation et le pilotage de la protection de l'enfance ; elle a fait obligation aux départements de mettre en place un observatoire départemental de la protection de l'enfance (ODPE) ; elle a introduit, pour la première fois, un volet « prévention », prenant appui sur la protection maternelle et infantile (PMI) et la médecine scolaire ; elle a réorganisé le dispositif d'alerte et de signalement en prévoyant la création, dans chaque département, d'une cellule chargée du recueil, du traitement et de l'évaluation des informations préoccupantes (la Crip) ; elle a créé de nouvelles modalités d'accueil et d'intervention afin de sortir de l'alternative traditionnelle « aide à domicile/placement de l'enfant » ; elle a encouragé l'individualisation de la prise en charge en posant l'obligation, pour chaque enfant protégé, d'établir un « projet pour l'enfant » (PPE) ; enfin, elle a fixé une obligation de formation, initiale et continue, pour l'ensemble des professionnels concernés.
De l'avis général, la loi de 2007 est globalement une bonne loi, qui a permis au dispositif de gagner en lisibilité et en efficacité. Cependant, confrontée à l'épreuve du terrain, son déploiement connaît des retards et des inerties. Elle est en outre insuffisamment dotée pour répondre au problème de l'instabilité des parcours de prise en charge de certains enfants.
Aussi, avons-nous décidé de structurer notre rapport autour de trois grands objectifs : améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l'enfance ; rendre le dispositif plus optimal à tous les stades : la prévention, le repérage et la prise en charge ; sécuriser le parcours de l'enfant protégé.
Notre premier constat porte sur le caractère encore très parcellaire de la connaissance de la population des enfants protégés. L'agrégation et la comparaison des données produites au niveau local sont rendues difficiles tant par la dispersion des sources, la grande hétérogénéité des statistiques disponibles, que par l'absence de nomenclatures et de méthodologies communes. Les réponses au questionnaire montrent que la capacité des services départementaux à fournir des éléments précis sur le volume et la provenance des informations préoccupantes (IP), le nombre de signalements, les mesures de protection mises en places ou l'importance des PPE conclus sur leur territoire est très aléatoire.
La loi de 2007 impose pourtant aux départements de faire remonter un certain nombre d'informations à l'Observatoire national de la protection de l'enfance (Oned). La capacité d'établir un état des lieux exhaustif de la protection de l'enfance est en effet un préalable indispensable à toute prise de décision tant nationale que locale. Les efforts de mise en cohérence des données sous l'égide de cet observatoire national doivent donc impérativement être renforcés.
D'un point de vue plus qualitatif, l'approfondissement des connaissances sur la protection de l'enfance achoppe sur l'insuffisance des travaux de recherche. Les études longitudinales en particulier, qui permettent de suivre les parcours des jeunes après leur sortie du dispositif et de contribuer ainsi à l'évaluation des mesures mises en oeuvre, font encore largement défaut. Plusieurs départements ont également insisté sur la nécessité, compte tenu de l'évolution rapide des besoins et de l'apparition de nouvelles problématiques en protection de l'enfance, de mener des études à visée prospective. De nombreux interlocuteurs ont effectivement attiré notre attention sur les changements qui caractérisent les enfants protégés depuis quelques années : outre la montée des situations de précarité, les services de l'ASE sont davantage confrontés qu'auparavant à des enfants « à grosses difficultés », dont la prise en charge s'avère plus complexe (handicaps, troubles psychiques ou psychiatriques, violences). Il apparaît donc nécessaire d'encourager davantage les travaux de recherche dans tous les domaines (épidémiologique, clinique, sociologique, économique ou encore psychologique), ce qui passe notamment par un soutien accru aux équipes existantes, la poursuite des appels à projets et le financement d'études de cohortes.