Notre deuxième constat a trait aux nombreuses disparités territoriales dans la mise en oeuvre de la loi. Sans prétendre à l'exhaustivité, citons les principales : grande diversité des modes de recueil et d'évaluation des IP, manque de lisibilité sur la mobilisation des diverses mesures de protection, recours très variable aux PPE, prise en charge très inégale des jeunes majeurs.
Plus préoccupant, les ODPE ne couvrent que très imparfaitement le territoire national : 35 % des départements n'en sont toujours pas pourvus. En outre, la capacité de travail des ODPE existants est souvent compromise par la faiblesse de leurs moyens humains et budgétaires. Ces observatoires sont pourtant susceptibles de jouer un rôle clef dans la mise en relation et la connaissance mutuelle des différents acteurs de la protection de l'enfance. Leur caractère partenarial et leur rôle complémentaire de l'échelon national (Oned) devraient en faire un lieu d'observation et d'évaluation central, mais aussi et surtout, une force de proposition et d'animation privilégiée dans chaque département.
Au total, si l'existence de pratiques et d'interprétations disparates est un risque intrinsèque à toute politique décentralisée, ainsi que la contrepartie du principe de libre administration des collectivités territoriales, une coordination a minima s'avère indispensable, ne serait-ce qu'au regard des garanties dont doivent pouvoir bénéficier les enfants protégés et leurs familles en matière d'égalité de traitement.
A ce titre, les initiatives d'harmonisation apparaissent insuffisantes et il manque plus largement à la politique de protection de l'enfance un cadre qui permette de lui donner une réelle impulsion nationale. C'est pourquoi nous nous associons pleinement à la proposition formulée par le rapport du groupe de travail « Protection de l'enfance et adoption » consistant à créer une instance nationale, placée auprès du Premier ministre et regroupant tous les acteurs (départements, Etat, associations, autres organismes...) sur le modèle de ce qui existe dans d'autres champs des politiques sociales. Ce « Conseil national de la protection de l'enfance » se substituerait à deux comités qui ne se réunissent plus aujourd'hui et serait chargé d'une triple mission : proposer au Gouvernement les grandes orientations de la politique de protection de l'enfance ; formuler des avis sur toute question s'y rattachant ; suivre et évaluer l'application des orientations retenues. Cette démarche aurait le mérite de prolonger l'expérience partenariale, qui avait marqué les travaux préparatoires à l'élaboration de la loi de 2007 et qui continue d'être jugée très positivement aujourd'hui.
Notre troisième constat concerne la coopération entre les acteurs de la protection de l'enfance, que la loi de 2007 avait pour objectif de développer. La création d'une interface commune - la Crip - a indéniablement favorisé le dialogue entre les différents partenaires, en particulier entre les services départementaux et l'autorité judiciaire, permis une meilleure compréhension mutuelle et encouragé une évaluation partagée des situations familiales à risque. Les réponses au questionnaire montrent ainsi que, dans la grande majorité des cas, l'installation des Crip s'est accompagnée de la signature d'un protocole interinstitutionnel permettant de formaliser officiellement cette démarche partenariale.
L'apport des ODPE à cette dynamique semble moins évident, compte tenu de leur grande hétérogénéité : certains, très actifs, ont réellement permis de structurer les synergies entre professionnels, d'autres n'ont pas eu cet effet faute le plus souvent de moyens humains et financiers dédiés. En dehors des Crip et des ODPE, des initiatives de coopération originales ont vu le jour dans les territoires, comme la mise en place d'une commission partenariale spécialisée dans le traitement des dossiers les plus complexes en Haute-Loire, la signature d'un protocole interinstitutionnel pour organiser la continuité des interventions dans le Loiret, ou la constitution d'équipes pluridisciplinaires pour certaines modalités d'accueil dans le Maine-et-Loire.
Malgré ces avancées locales, le constat général est celui d'une coopération globalement insuffisante et surtout d'un cloisonnement encore très marqué entre les différents secteurs d'intervention (ASE, justice, médico-social, santé, éducation nationale...). Nombre d'interlocuteurs ont ainsi insisté sur la difficulté à faire émerger une « culture commune » de la protection de l'enfance, chaque sphère restant attachée à la défense de son pré-carré.
La collaboration entre acteurs de terrain est pourtant une condition sine qua non de la qualité de la prise en charge. Comment, en effet, assurer la cohérence et la continuité des parcours des enfants confiés si les professionnels concernés interviennent indépendamment les uns des autres ? Le travail en réseau présente en outre l'avantage de ne pas entraîner de coût supplémentaire pour les finances départementales puisqu'il s'agit principalement d'une question de volonté et d'organisation. Afin de relancer la dynamique partenariale et d'encourager le décloisonnement entre les secteurs, nous proposons, d'une part, d'inclure systématiquement dans la liste des signataires des protocoles relatifs aux IP l'ensemble des acteurs de la protection de l'enfance, en particulier les représentants du secteur médical (hôpitaux et médecins libéraux via leur ordre départemental), d'autre part, de généraliser la pratique consistant à associer l'ensemble des partenaires à l'élaboration du schéma départemental de la protection de l'enfance.
Nous ne pouvons conclure ce chapitre « gouvernance » sans soulever la question du fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNFPE) qui, nous le savons, préoccupe beaucoup nos collègues présidents ou vice-présidents de conseil général. Créé par la loi de 2007, ce fonds a une double mission : compenser aux départements la charge résultant de la mise en oeuvre de cette réforme et financer des actions innovantes en matière de protection de l'enfance. Ses ressources sont constituées par un versement annuel de la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), dont le montant est arrêté en loi de financement de la sécurité sociale, et par un versement annuel de l'Etat, dont le montant est arrêté en loi de finances. Après avoir reçu, en 2011, 30 millions d'euros de la Cnaf - répartis sur trois ans - et 10 millions de l'Etat, le fonds n'a plus été abondé. Certes, la situation des finances publiques s'est fortement dégradée depuis 2007, mais cette absence de dotation revient à faire peser sur les départements la totalité du coût de la réforme, entraînant inévitablement la progression du poste budgétaire « ASE » dans leurs dépenses d'aide sociale.